
La transition vers les énergies propres alimente une course mondiale aux minéraux critiques, transformant en actifs stratégiques un certain nombre d’éléments tels que le lithium, le cobalt et les terres rares. Au cœur de cette nouvelle guerre des ressources intervient la rivalité croissante entre la Chine et les Etats-Unis, deux puissances parfaitement conscientes de la nécessité fondamentale de contrôler les chaînes d’approvisionnement de minéraux pour établir leur domination technologique.
Les minéraux critiques – en particulier le lithium, le nickel, le cobalt, le manganèse et le graphite – sont indispensables à plusieurs secteurs tels que les semi-conducteurs, les batteries de véhicules électriques, les énergies renouvelables et la défense. Les terres rares sont par exemple cruciales pour les aimants permanents utilisés dans les éoliennes et les moteurs de véhicules électriques, de même que les réseaux électriques qui sous-tendent les économies modernes dépendent d’immenses quantités d’aluminium et de cuivre.
L’importance géopolitique des minéraux critiques s’accentue depuis quelques années, en raison non seulement de leur rôle dans la transition écologique, mais également de la fragilité croissante des chaînes d’approvisionnement concentrées. Raffinant plus de 60% du lithium, 85% des éléments de terres rares et 95% du manganèse au niveau mondial, la Chine domine actuellement le traitement mondial des minéraux.
Cette domination crée de nouvelles vulnérabilités stratégiques. Les récentes restrictions à l’exportation de gallium et de germanium imposées par la Chine démontrent par exemple comment les grandes puissances peuvent user d’intrants essentiels comme d’une arme leur permettant d’acquérir un avantage technologique.
En fin de compte, la trajectoire de la transition écologique dépendra non seulement de l’emplacement des gisements de minéraux, mais également de la manière dont les gouvernements s’adapteront. En se détournant des combustibles fossiles, les Etats risquent de remplacer une forme d’insécurité liée aux ressources par une autre, s’ils ne s’attaquent pas à la dynamique complexe de l’offre et de la demande de minéraux. Or, une grande partie du débat actuel se concentre sur l’expansion de l’offre, négligeant ainsi les gains d’efficience potentiels, ainsi que les progrès en matière de recyclage et de substitution des matériaux.
Il est important de souligner que la domination chinoise en matière de ressources n’est pas le résultat de vastes réserves minérales dans le pays, mais plutôt d’une prévoyance stratégique. Bien qu’elle ne possède qu’une fraction des gisements de minéraux de la planète, la Chine a consacré plusieurs décennies au renforcement de ses capacités de traitement, grâce à des politiques industrielles ciblées, ce qui lui a permis de contrôler les étapes clés de la chaîne de production mondiale. La technologie est ainsi devenue l’axe central du réalignement géopolitique.
Si les Etats-Unis conservent un avantage compétitif en matière de conception et de fabrication de semi-conducteurs avancés, la Chine domine les chaînes d’approvisionnement d’énergies propres, des panneaux solaires jusqu’aux batteries. Les Etats-Unis demeurent à 100% dépendants des importations pour 15 minéraux essentiels – dont le gallium et les terres rares – et à plus de 50% pour 34 autres.
La Chine étant le principal fournisseur d’environ la moitié de ces minéraux, la dépendance des Etats-Unis en matière de ressources constitue clairement une menace stratégique pour plusieurs secteurs clés, notamment la production de semi-conducteurs, la défense et les énergies propres. Conscient de ces vulnérabilités croissantes, l’ancien président américain Joe Biden a signé en 2022 le CHIPS and Science Act afin de stimuler la fabrication de semi-conducteurs. L’administration du président Donald Trump poursuit actuellement une approche encore plus nationale, consistant à accélérer l’extraction de minéraux critiques tout en rationalisant le processus d’autorisation de projets miniers sur les terres fédérales.
La sécurité dans le domaine des minéraux ne pouvant cependant être atteinte au seul moyen de la production intérieure, l’administration Biden s’est rapprochée de plusieurs alliés, dont l’Australie, le Canada et l’Union européenne, afin de mettre en place le Partenariat pour la sécurité des minerais – une initiative de «friendshoring» de la production minière. Trump adopte pour sa part une approche beaucoup plus affirmée, menaçant d’acquérir le Groenland «d’une manière ou d’une autre», et faisant pression sur l’Ukraine pour qu’elle conclue un accord sur les minéraux essentiels.
La course aux minéraux essentiels pourrait entraîner des conséquences géopolitiques majeures, les pays en voie de développement riches en ressources se retrouvant courtisés à la fois par les Etats-Unis et par la Chine. Dans le même temps, les industries mondiales sont confrontées à la perspective de chaînes d’approvisionnement fragmentées et divisées selon les lignes géopolitiques.
L’Afrique, qui abrite environ 30% des réserves minérales connues, dont 85% du manganèse ainsi que 80% du platine et du chrome, s’inscrit désormais au cœur de la concurrence autour des ressources. C’est particulièrement vrai pour des pays tels que la République démocratique du Congo (RDC), qui détient environ 70% des réserves mondiales de cobalt, ou encore l’Afrique du Sud, riche en platine.
Le décalage entre les vastes richesses en ressources de l’Afrique et son développement économique limité demeure néanmoins frappant. De nombreuses économies africaines, dont celle de la RDC, dépendent fortement des exportations de matières premières, n’ayant pas investi significativement dans le traitement à valeur ajoutée. Résultat, les économies subsahariennes ne récupèrent en moyenne que 40% des recettes potentielles liées à leurs ressources naturelles – un écart qui reflète une incapacité systémique plus profonde à libérer le plein potentiel économique de ces actifs.
La bauxite illustre particulièrement les formidables opportunités économiques gâchées en raison de la poursuite d’exportations de matières premières non transformées. Tandis que le minerai brut de bauxite se vend environ 92 dollars la tonne, sa forme raffinée – l’aluminium – s’échange aux alentours de 2438 dollars la tonne.
La RDC, qui abrite pourtant la majorité des réserves mondiales de cobalt, demeure fortement dépendante des exportations de matières premières. Cette dépendance excessive, combinée à un manque d’intégration verticale et de diversification économique, rend le pays vulnérable à de sérieux ralentissements en cas de chute des prix mondiaux du cobalt durant une période prolongée.
Pour que les pays africains riches en minéraux et pour que les industries mondiales qui dépendent de leurs ressources en tirent des avantages mutuels, il est nécessaire de s’éloigner des modèles d’exploitation qui façonnent depuis trop longtemps l’économie mondiale. Les Etats-Unis sont idéalement positionnés pour proposer une telle alternative. Il leur faut pour cela promouvoir un cadre «E3»: économiquement réalisable, environnementalement durable, et éthiquement fondé.
Au-delà de l’innovation technologique, il est nécessaire que la politique américaine en matière de minéraux critiques soit guidée par un engagement éthique et par le développement d’infrastructures. Le corridor de Lobito – un projet soutenu par les Etats-Unis, consistant à rénover les voies ferroviaires qui relient l’Angola aux mines de cobalt et de cuivre enclavées de RDC et de Zambie – illustre comment le développement stratégique des minéraux peut générer de la valeur pour les économies locales, en soutenant le traitement au sein du pays, en lieu et place du seul recours aux exportations de matières premières.
Constat encourageant, les Etats-Unis manifestent la volonté de s’engager auprès de pays subsahariens riches en minéraux. La présence limitée d’opérations minières du secteur privé américain dans la région, ainsi que l’évolution rapide du paysage géopolitique, soulignent toutefois la nécessité d’une approche stratégique innovante, axée sur la création de valeur à long terme et sur des partenariats mutuellement bénéfiques.
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