Réglementation de l'UE sur la finance durable: un immense défi

Ophélie Mortier, DPAM

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Pour que l’investisseur puisse prendre ses décisions en pleine conscience, les acteurs de la finance devront réviser tous leurs processus.

Le Plan d’action 2018 de la Commission européenne (CE) sur la finance durable a entraîné ces derniers mois un raz-de-marée de textes réglementaires pour les questions de durabilité et de responsabilités financières et extrafinancières des entreprises. Mais leur mise en œuvre constitue un défi considérable pour la CE, car il sera difficile de trouver un équilibre entre un besoin criant de standardisation et la minimisation des effets négatifs dus à une réglementation trop fermée.

Réorienter les capitaux vers l’économie réelle

Le Pacte vert européen revoit à la hausse les ambitions environnementales de l’Union européenne en visant la neutralité climatique pour 2050. Il met l’accent sur cinq thèmes concrets: la sécurité énergétique et les énergies propres et abordables, la biodiversité, la pollution zéro, l’économie circulaire et la production alimentaire durable.

Un fonds d’investissement qui se fixe des objectifs
environnementaux devra largement s’aligner sur la taxonomie.

Il en va de même pour la taxonomie européenne, cadre qui pour l’instant couvre les domaines de la mitigation et de l’adaptation au changement climatique et qui, à terme, sera étendu à d’autres objectifs de la Commission tels que la prévention de la pollution, la gestion des déchets, l’équilibre des écosystèmes et la protection de l’eau.

Avec l’obligation, dès 2022, pour les acteurs financiers, d’évaluer leurs investissements afin de vérifier qu’ils font bien partie des secteurs d’activité définis par la taxonomie, ce nouveau cadre favorise les investissements dans les activités vertes. Un fonds d’investissement qui se fixe des objectifs environnementaux devra largement s’aligner sur la taxonomie: il en va de sa crédibilité. Mais cela risque de faire qu’un fonds dont les objectifs sont exclusivement d’ordre social affichera un niveau d’alignement à la taxonomie de 0%.

Ailleurs, le règlement en matière d’indices «bas carbone» s’inscrit dans une logique de lutte contre l’écoblanchiment et de promotion des produits financiers affichant des objectifs environnementaux et climatiques. Deux nouvelles catégories d’indices viennent d’être définies par la CE, à savoir les indices de transition climatique et indices d’alignement sur l’Accord de Paris. Toutes deux visent à améliorer la transparence des critères et de la méthodologie utilisés par les créateurs d’indices. 

Le nouveau standard européen pour les obligations vertes de la CE lutte également contre l’écoblanchiment grâce à la création d’un cadre défini de minima nécessaires à l’obtention de l’appellation «obligation verte» qui permet donc d’être reconnu comme émetteur contribuant à la transition énergétique et à une finance plus durable.

Le risque climatique est systémique

Le risque environnemental et le risque climatique en particulier sont reconnus officiellement par l’UE comme des risques matériels et financiers. Ils doivent par conséquent faire l’objet d’une analyse, d’une gestion et d’un suivi comme tout autre risque financier et fait désormais partie du devoir fiduciaire de tout gérant de portefeuille.

Le Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité
dans le secteur des services financiers (SDR) vise également à plus de transparence.

Tel est l’objectif du Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SDR) qui vise également à plus de transparence. Ce règlement inclut l’obligation de publication d’informations sur l’intégration des risques de durabilité et sur la promotion des caractéristiques environnementales ou sociales dans les prises de décision en matière d’investissement. Le but est, entre autres, de s’assurer que les produits d’investissement correspondent à un profil adéquat pour l’investisseur qui, grâce à ces informations, pourra prendre sa décision en connaissance de cause. L’impact de ce règlement se fera sentir à tous les échelons des institutions financières, y compris au niveau du stockage de données et de l’élaboration des produits et contrats.

Cette obligation d’intégration du risque de durabilité dans les décisions d’investissement sera de plus en plus formalisée et détaillée dans les amendements aux directives et autres réglementations existantes de la CE. Par exemple, elle est déjà inscrite dans la Directive sur les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelles, mais elle sera renforcée via la révision d’autres directives et règlements régissant le secteur. Il en va de même pour le secteur de l’assurance avec la révision prévue de la Directive de distribution d’assurance et pour le secteur des investisseurs particuliers avec les amendements prévus à la Directive sur les marchés d’instruments financiers (directive MIFID).

Transparence & long terme

La transparence et en particulier la lutte contre l’écoblanchiment sous-tendent les différents textes adoptés. Rien n’interdit de mettre en avant la durabilité des investissements, des indices de référence ou des instruments financiers si cette caractéristique est clairement définie et qu’il est possible de procéder à des vérifications grâce à des indicateurs et informations traçables et comparables.

L’univers d’investissement des fonds dits durables ne se limite
pas aux grandes capitalisations cotées en Europe.

Le Règlement SDR va exactement dans ce sens. Mais au-delà de la simple obligation de publication de données, il exige une classification des produits financiers selon trois catégories définies par la Commission: (1) les produits «durables» visant des objectifs environnementaux et/ou sociaux (2) les produits qui font «la promotion de caractéristiques environnementales ou sociales» et (3) les autres produits. La frontière entre les deux premières catégories reste assez floue et les textes techniques censés apporter une clarification ne seront disponibles qu’à la fin mars 2021. De plus, les indicateurs et informations requis atteignent un tel degré de complexité et technicité que l’application du règlement devient très difficile, voire irréalisable.

En ce qui concerne plus spécifiquement le reporting des informations durables conformément aux exigences du règlement SDR, la Commission travaille en parallèle sur la Directive sur la publication d’informations non-financières. Cette directive ne s’applique qu’aux entreprises européennes avec minimum de 500 employés, ou de 34 millions d’euros de revenu annuel ou de 17 millions de bilan. Or l’univers d’investissement des fonds dits durables, quelle que soit leur catégorie selon la CE, ne se limite pas aux grandes capitalisations cotées en Europe.

Par ailleurs, le règlement SDR s’applique également aux portefeuilles investis en obligations souveraines. Cependant, les indicateurs exigés ont été conçus et formulés pour l’analyse des entreprises et ils sont donc difficilement transposables à l’analyse pays.

L’impact de la directive mentionnée ci-dessus et du règlement SRD est colossal et crée une charge de reporting qui exige une remise en question des stratégies des entreprises ou des investissements, de leur mise en œuvre et des politiques déployées en matière de communication sur la durabilité. Pour la CE, le défi reste considérable.

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