Dire ce que l'on fait et faire ce que l'on dit

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Lauréat du Swiss Sustainable Funds Awards deux années consécutives, DPAM déploie une stratégie ESG solide. Entretien avec Ophélie Mortier.

A la lumière de la crise actuelle, les investissements ESG sont plus résilients que les autres. Stratège ESG chez DPAM (Degroof Petercam Asset Management), Ophélie Mortier en a la conviction et les enquêtes récentes corroborent la bonne tenue des sociétés les mieux notées sur le plan ESG. La gamme sustainable de la société de gestion belge a d’ailleurs très bien résisté aux turbulences du premier semestre. Entretien à l’occasion du Geneva Forum for Sustainable Investment (GFSI)

Votre processus ESG s’applique-t-il à tous vos fonds ou seulement à une gamme spécifique?

Notre processus ESG s’applique à tous nos produits car les facteurs non-financiers ont un impact matériel sur l’ensemble de nos décisions d’investissement. Nous pouvons aller plus loin que notre ligne de conduite normale sur certaines thématiques et ajouter des exclusions spécifiques, en particulier au sein de la gamme sustainable. Nous excluons le tabac, l’armement et l’extraction de charbon quelle que soit la stratégie ou la classe d’actifs. Par contre, si des investissements peuvent avoir une exposition à la fabrication intermittente d’électricité à base de nucléaire ou de charbon dans nos portefeuilles généraux, ils n’entreront pas dans notre gamme sustainable. C’est le cas des obligations souveraines françaises ou allemandes1

«Nous n’investissons pas sur les actifs gouvernementaux chinois
en raison du non-respect des droits humains.»
Que représente votre gamme sustainable et comment se définit-elle?

La gamme sustainable représente environ le quart de nos actifs sous gestion, soit à peu près 10 milliards d’euros. C’est une gestion d’impact autour de thèmes comme le recyclage ou l’éducation. Le reste de nos produits s’aligne sur une optique macroéconomique. 

Dans un souci de cohérence, vous n’investissez pas en Chine.

Effectivement. Compte tenu des études de Freedom House et de l’Indice de démocratie2, nous n’investissons pas sur les actifs gouvernementaux chinois en raison du non-respect des droits humains. Il est aussi difficile de se prononcer sur les entreprises chinoises car un certain nombre d’entre elles sont instrumentalisées par leur gouvernement. Mais que dire des entreprises américaines qui fournissent des outils de reconnaissance faciale aux Chinois ? Ou des entreprises sud-coréennes qui tracent la population ? Compte tenu du poids énorme que représentent des sociétés comme Alibaba et Tencent, nous sommes en train de regrouper des sources d’information et de mener une réflexion pour comprendre où poser les frontières. Car nous nous heurtons aussi aux différences culturelles : certains comportements considérés comme non-démocratiques chez nous semblent parfaitement acceptables dans d‘autres pays. 

Quelle est votre attitude vis-à-vis de l’industrie du pétrole?

C’est un autre sujet de réflexion. Prenons le cas de Total qui compte parmi les plus gros investisseurs en renouvelable. Faut-il l’exclure? L’exclusion est-elle trop simpliste et donc un outil inefficace? L’engagement actionnarial est-il plus pertinent et peut-il faire davantage évoluer les comportements? Dans ce domaine, nous suivons les recommandations de la TCFD3, en analysant systématiquement chaque émetteur pour ne retenir que les acteurs les plus exemplaires. 

Votre recherche ESG est-elle exclusivement propriétaire ou utilisez-vous aussi des indicateurs venant d’agences?

Les principaux fournisseurs de données ESG nous fournissent des informations de base mais notre recherche est propriétaire car les agences ne sont souvent pas suffisamment sophistiquées. Nous les mettons d’ailleurs parfois au défi.

Comment s’articule votre recherche?

Nous avons trois équipes. L’une de recherche fondamentale divisée en actions et obligations, une seconde de macro et la mienne, dédiée à l’ESG. Les trois – qui comptent au total une quarantaine de personnes – sont très internationales et complètement intégrées. Ce fut d’ailleurs parfaitement visible au GFSI où un gérant est venu présenter notre approche ESG. L’équipe de recherche ESG est composée de quatre personnes dont le background est éco-financier (j’ai moi-même une formation en économie) mais qui sont également dotées d’une expertise en environnement et questions sociales. 

«L’ESG s’applique à ce que nous cherchons à financer
au sens large et pas seulement à notre gamme sustainable.»
Nombre de sociétés d’asset management prétendent à l’ESG. Comment vous différenciez-vous?

«Dire ce que l'on fait et faire ce que l'on dit», c’est ainsi que je résumerais notre approche. Nous sommes signataires des UN-PRI4 depuis 2011 et pour, la quatrième année consécutive, nous avons obtenu la notation PRI la plus élevée. Initié avec deux fonds, le processus ESG est maintenant appliqué sur la globalité de nos encours. Comme je l’évoquais plus tôt, l’ESG s’applique à ce que nous cherchons à financer au sens large et pas seulement à notre gamme sustainable. Chez DPAM, le changement de mentalité date du tout début des années 2000. En l’absence de standards, nous avons su progressivement construire une vraie expertise (exclusion, puis best-in-class, puis encore davantage) et avons désormais plus de 15 ans de track record. 

Cette année DPAM a gagné les Swiss Sustainable Funds Awards dans deux catégories (Actions Monde et Actions Europe). L’an dernier votre société avait obtenu le prix du jury. En êtes-vous fiers? Ces prix augmentent-ils votre crédibilité auprès des clients et des prospects?

Fiers? Oui, certainement. Il est très agréable de gagner une reconnaissance dans différents pays. Cela démontre que notre processus tient la route en dépit des différences culturelles et que le travail accompli sur plusieurs années a été fait de manière sérieuse. Cela nous permet également de distinguer nos points forts et nos points faibles. Car dans l’évaluation PRI, par exemple, nous n’avons pas obtenu le maximum partout, ce qui nous donne des indications sur les aspects à améliorer. Les prix augmentent la crédibilité auprès des investisseurs surtout dans le cas d’un prix décerné de manière indépendante et objective comme les Swiss Sustainable Funds Awards. Et puis, DPAM est bien connu en Suisse mais pas de tous. En particulier, pas suffisamment des fonds de pension.

A la lumière de la crise actuelle, peut-on estimer que les investissements ESG sont plus résilients que les autres?

J’en ai la conviction et les enquêtes corroborent la bonne tenue des sociétés les mieux notées sur le plan de l’ESG. Notamment si on observe les sociétés plus alertes sur leur force de travail qui ont su réagir vite et ont subi moins d’interruption. Toutes les conclusions vont dans ce sens même s’il y existe des exceptions. Chez nous, la gamme sustainable a très bien résisté.

Avez-vous des ambitions particulières en Suisse?

Nous sommes aujourd’hui bien connus en Suisse (quoique moins qu’en Belgique ou en France) mais davantage du côté purement distribution qu’auprès des institutionnels (fonds de pension, compagnies d’assurance). C’est la raison pour laquelle nous participons au GFSI et participerons également au Zurich Forum for Sustainable Investment (ZFSI). 

 

1 En France l’énergie nucléaire représente environ 75% de l’électricité produite. Le premier exploitant nucléaire mondial est EDF dont l’Etat français contrôle 84% du capital. 
2 La Chine se place en 130e position sur 167 pays sur l’Indice de démocratie 2020 publié par The Economist.
3 TCFD: Task Force on Climate-related Financial Disclosures, groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives au climat mis en place par le Conseil de stabilité financière (FSB).
4 Principles for Responsible Investment est un réseau international d'investisseurs soutenu par les Nations Unies.

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