Une baisse de taux à reculons

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Powell moins bon communiquant que Draghi…

Il n’y a pas photo. Pendant plus d’une heure, les marchés ne savaient pas sur quel pied danser. Plus Jerome Powell tentait de se justifier, plus il s’emberlificotait dans des explications qui semaient le doute. Pour résumer, nous ne sommes pas – a priori – au début d’un véritable cycle de baisses de taux mais ce geste n’a pas vocation à être isolé. Il aurait été pourtant simple de réunir en quelques points-clés les facteurs qui ont abouti à cette première baisse de taux depuis 2008. Un autre tabou a été brisé la veille, lorsque Janet Yellen n’a pas respecté son devoir de réserve en affirmant que la Fed devait baisser son taux directeur de 25 points de base. 

C’est un peu la cacophonie à Washington, bien loin de la communication bien huilée de Francfort (qui le restera sans nul doute sous le règne de Christine Lagarde). Force est de constater que désormais, un sens aigu de la communication doit absolument faire partie de la panoplie du banquier central digne de ce nom. 

Le FOMC nous a réservé la bonne surprise de mettre un terme immédiat
à sa politique de réduction de la taille de son bilan.

Cela dit, la décision de la Fed a été, selon nous, très subtile. Afin de ménager la chèvre et le chou (les partisans de -25 bp contre les plus dovish réclamant 50 d’un coup), le FOMC nous a réservé la bonne surprise de mettre un terme immédiat à sa politique de réduction de la taille de son bilan (Quantitative Tightening) avec deux mois d’avance! Ce qui nous amène à penser que la véritable baisse se situe «quelque part» entre -25 et -50 points de base. Bien joué! Les marchés, en revanche, n’ont pas eu l’air d’apprécier et, un peu comme pour la BCE le 25 juillet, ont manifesté leur déception relative. Il n’y avait sans doute pas de quoi mais à force d’attendre trop, on finit par se comporter en mode «buy the rumour, sell the news». 

Ce qui est clair dans notre esprit, c’est que lorsque Monsieur Powell affirme que cette baisse ne marque pas le début d’une série d’assouplissements, son propos a autant de crédibilité que lorsqu’il affirmait en novembre dernier que le Quantitative Tightening était «sous pilote automatique» ou, en décembre qu’il fallait s’attendre à trois hausses de taux en 2019!      

…et moins fort que Trump

Si les marchés obligataires n’ont finalement pas tellement bougé à l’issue du FOMC, l’annonce par le Président Trump d’une surtaxe de 10% sur 300 milliards d’importations chinoises épargnées jusqu’à maintenant a fait l’effet d’une douche froide. Le 30 ans est retourné flirter avec 2,40% et notre objectif de 1,70% sur le 10 ans n’est plus utopique à partir du moment où nous naviguons autour de 1,85%. En revanche, le steepening de courbe que nous craignions la semaine dernière a été balayé par l’ambigüité des propos de Monsieur Powell. 

Ce nouvel épisode de guerre commerciale confirme nos convictions: lorsqu’il s’agit de risque sur le commerce mondial et d’un retour du protectionnisme, les taux baissent et les Treasuries remplissent parfaitement leur rôle de valeur-refuge lorsque les actions passent dans le rouge. En revanche (nous l’avons constaté au cours de l’allocution de Jerome Powell mercredi soir), lorsque les marchés réagissent – en bien ou en mal – à un changement de comportement de banque centrale, actions et obligations évoluent de concert et il est illusoire de vouloir couvrir dans ce cas une position actions par de la duration.

Draghi a posé la bonne question

Le moment qui nous a le plus frappé lors de l’intervention de Super Mario à l’issue de la réunion de la BCE le 25 juillet était le constat que la BCE n’arrive pas à comprendre pourquoi la courroie de transmission entre les pressions salariales et l’inflation ne fonctionne pas en zone euro et en Allemagne en particulier. A la lecture du rapport mensuel sur l’emploi aux Etats-Unis vendredi après-midi, nous nous sommes posé la même question. Finalement, le constat de Monsieur Draghi est tout aussi valable pour les Américains. 

Les average hourly earnings se maintenaient à +3,2%.

Mercredi soir, la Fed déclarait vouloir se battre contre une inflation trop faible (raison principale de sa décision d’allègement) et vendredi, à l’occasion de la publication des chiffres de l’emploi, nous constations, une fois de plus, que les average hourly earnings se maintenaient à +3,2%. Il va donc falloir accorder une attention toute particulière à ce phénomène afin de ne pas se faire piéger par surprise si, tout à coup, la courroie de transmission hausses de salaires/inflation se remettait à fonctionner (a fortiori des deux côtés de l’Atlantique). Nous semblons, pour l’instant, en être loin et nos banquiers centraux confirment que les politiques monétaires à venir serviront justement à «faire le job». 

Prochain épisode le 12 septembre, avec sans doute un redémarrage du QE européen et un taux de dépôt abaissé à -0,5%. Il y a un an, Mario Draghi était censé confier à son successeur, à l’automne 2019, une BCE débarrassée de ses taux négatifs…

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