Un stimulus hyperinflationniste?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Un chiffre de l’emploi médiocre

Alors que le scénario de reflation était en train de pousser les rendements vers leurs plus hauts depuis la crise COVID, les taux longs US se sont calmés vendredi après-midi, à la suite de la publication des données de l’emploi. Sans être catastrophiques, ces statistiques ont montré que les Etats-Unis ne sont pas sortis de l’ornière, en validant deux constats mentionnés récemment par le duo Powell-Yellen. Le premier avait affirmé que le véritable taux de chômage était plus proche de 10% que les 6,7% officiels et vendredi, nous avons eu confirmation que, même si le taux officiel est descendu à 6,3%, le taux de sous-emploi reste au-dessus de 11%. La seconde a mentionné, au cours du week-end, le fait que, sans stimulus, le pays ne retrouverait le plein emploi qu’en 2025 au lieu de 2022 avec son plan. Et c’est probablement exact. Dès hier, les marchés avaient déjà oublié ces chiffres de l’emploi pour repartir sur la tendance reflation-steepening. Le 30 ans a atteint 2% et ce n’est peut-être pas terminé. En fait, derrière ces discussions animées entre «reflationnistes» et «inflation-sceptiques», se cache un autre débat: celui de la solidité intrinsèque de l’économie américaine. 

Pour le clan Biden-Yellen, cette crise sans précédent nécessite
d’employer la manière forte et tant pis pour les dérapages.

Ceux qui estiment que l’Amérique peut se relever de la crise qui secoue le monde depuis un an grâce à des fondamentaux solides sont très inquiets car le stimulus des Démocrates leur paraît beaucoup trop surdimensionné. Ils ont trouvé ce week-end un porte-parole idéal en la personne de Larry Summers qui a déclaré qu’un plan trop ambitieux pourrait générer des pressions inflationnistes d’une ampleur inédite depuis une génération. On ne peut pas caricaturer en opposant les partisans d’un «Great America» qui seraient plutôt Républicains et les interventionnistes, plutôt Démocrates et Keynésiens. Larry Summers est Démocrate et ex-Secrétaire du Trésor de Bill Clinton. Son avis est d’autant plus fort et écouté qu’il n’émane pas d’un Républicain ultra et nostalgique de Trump. Pour le clan Biden-Yellen, cette crise sans précédent nécessite d’employer la manière forte et tant pis pour les dérapages. Finalement, nous pouvons donc analyser ce débat sur l’inflation sous l’angle des 1'900 milliards destinés à réparer le pays. Si vous estimez que ce stimulus est justifié car nécessaire, alors vous ne devez pas craindre le retour de l’inflation mais si, en revanche, vous pensez, comme Larry Summers, que la Maison Blanche en fait trop car les fondations de l’édifice n’ont pas été fondamentalement ébranlées, vous devriez plutôt vous retrouver dans le camp des «reflationnistes».

Un steepening à 1'900 milliards

Nous restons pour l’instant dans le camp des pragmatiques. Tout d’abord, ce plan n’est pas voté et un compromis pourrait être trouvé avec un montant moins généreux mais voté par une plus large majorité composée de Démocrates et Républicains modérés. Nous ne croyons toujours pas à un dérapage significatif de l’inflation mais sommes depuis longtemps sensibles au fait que les marchés y croient (et c’est l’essentiel!). Nous avons bien fait de conserver nos TIPS longs. Les craintes inflationnistes se retrouvent d’ailleurs dans les breakevens: 2,21% à 10 ans et 2,16% à 30 ans. Nous sommes en présence d’une inversion caractéristique des craintes de poussée inflationniste à horizon 2-5 ans! La pente de la courbe a déjà fait du chemin (et au passage, les bilans des banques la remercient). 

Nous avons du mal à accréditer le scénario de reflation tant que nous
n’avons pas le moindre indice à propos de la date de la sortie de la pandémie.

Toutefois, les nouvelles sur le front de la pandémie ne sont pas bonnes. L’Afrique du Sud vient de stopper la campagne de vaccination utilisant le vaccin AstraZeneca, arguant du fait que son efficacité n’est pas prouvée en présence du variant sud-africain. L’Europe se bat toujours dans une course contre la montre effrénée entre vaccinations et propagation du variant anglais. L’évolution de la pandémie est clairement le sujet qui nous bloque dans notre analyse concernant l’inflation. Nous avons du mal à accréditer le scénario de reflation tant que nous n’avons pas le moindre indice à propos de la date de la sortie de la pandémie. Les experts nous prédisent un 10 ans US à 1,70% dans les prochains mois, pourquoi pas? Mais personne ne peut exclure totalement un retour à 0,70% en cas de scénario «apparition de variants agressifs/vaccinations lentes et inefficaces/reconfinements». Nous ne sommes pas sortis de la crise sanitaire et dans ces conditions, il nous paraît prématuré d’envisager des scénarios clairs et définitifs de sortie de crise économique puisque ces derniers dépendent de la première. Les marchés obligataires ne peuvent compter que sur eux-mêmes car il est illusoire de croire que les marchés actions vont nous envoyer des signaux d’alarme. Il nous reste le message des banquiers centraux et des gouvernements, ou des «Hommes d’Etat hybrides» comme en Italie!

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