La Géorgie repeint le Sénat en bleu

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Grand Chelem

Certains médias ont pointé du doigt les marchés financiers parce qu’ils ont ignoré les événements dramatiques du Capitole. C’est pourtant tout à fait logiquement que Wall Street a préféré regarder du côté de la Géorgie. C’est dans cet état que tout a basculé avec la victoire de deux sénateurs démocrates, offrant une victoire totale au parti de Joe Biden avec la Maison Blanche, la Chambre des Représentants et le Sénat. Ce grand Chelem signifie deux conséquences à court terme: la poursuite du rallye des actions, dopé par une dose supplémentaire de stimulus ainsi que la pentification de la courbe des taux avec le retour probable de mesures «gauchistes» (en langage Trumpien) qui seraient tombées dans les oubliettes avec un Sénat à majorité républicaine. Dans cet environnement, les taux longs US se sont donc tendus mais sans jamais céder au sell-off. 

Les niveaux actuels ne nous permettent pas d’affirmer
que nous sommes rentrés en bear market.

Le 10 ans au-dessus de 1,10% est tout de même un premier signal d’alerte. Ce signal est également valable pour les crédits car si les spreads se détendent légèrement, ils ne compensent pas suffisamment la tension sur les taux sous-jacents et les rendements corporates remontent. Certes, en relatif, ils font bien mieux que les titres gouvernementaux mais en absolu, les cours des obligations d’entreprises sont en légère baisse. Il en est de même pour les TIPS qui ont très bien résisté dans la hausse des taux. A la faveur de craintes inflationnistes persistantes, les breakevens d’inflation se sont tendus et finalement les taux réels ont peu bougé. Que faut-il en penser? Tout d’abord, les niveaux actuels ne nous permettent pas d’affirmer que nous sommes rentrés en bear market. Ensuite, il faut attendre la réaction de la Fed face à ces événements. Va-t-elle laisser filer les taux longs? Jusqu’à où? Certains affirment qu’elle n’interviendra seulement lorsque le 10 ans se rapprochera de 2%. Cela nous paraît exagéré, sauf si la croissance repart vraiment très fort et que l’inflation s’installe pour de bon. Nous attendions les chiffres de l’emploi de vendredi pour nous donner une première indication.

Destructions d’emplois

Le marché attendait un chiffre de créations d’emplois plutôt faible en décembre, de l’ordre de 50'000 et nous avons eu droit à 140'000 destructions de postes. Certes, le chiffre du mois précédent a été révisé de +245'000 à +336'000 mais le choc a tout de même été perceptible. Le taux de chômage, grâce à la révision du chiffre de novembre est resté à 6,7% et finalement, la donnée-clé qui a retenue l’attention du marché obligataire, c’est le +0,8% des Average Hourly Earnings sur le mois, poussant le YoY à +5,1% (contre +4,5% attendu). Alors est-ce l’arrivée tant attendue de cette fameuse inflation salariale, condition sine qua non pour que l’inflation s’installe définitivement dans le paysage? Ces progressions sont peu significatives et il va falloir pas mal de patience pour décortiquer les statistiques des prochains mois pour se faire une idée plus précise de la tendance à moyen terme. Ce qui est sûr, c’est que cette batterie de données de l’emploi qui, abordée superficiellement, aurait pu être favorable à la stabilisation des taux longs a finalement et logiquement concouru à la tension du 10 ans vers 1,10% vendredi.

Quelle stratégie pour janvier?

Nous en sommes au premier tiers du mois de janvier et certains tirent déjà des conclusions hâtives. Certes, les taux longs sont sous pression mais pour l’instant rien ne nous permet d’affirmer que c’est une véritable tendance. Nous avons poursuivi timidement nos achats de crédits émergents et européens hybrides en espérant que le marché primaire se réveillerait à la mi-janvier, nous offrant de meilleures opportunités d’investissement. 

Il faut se tenir prêts à remettre à tout moment de la duration pure.

Aujourd’hui, nous regardons avec inquiétude la progression du COVID et de sa variante dite «britannique». Une folle course contre la montre se met en place: les vaccins arrivent lentement et d’un autre côté la pandémie redouble de vigueur en Europe avec des reconfinements de plus en plus nombreux. Nous sommes tentés de reconsidérer des investissements en 10 et 30 ans US si les rendements s’approchent respectivement de 1,20% et 2% sachant que l’apparition de la variante anglaise sur le sol américain semble inéluctable. Une telle nouvelle ferait vaciller les marchés et redonnerait du sens à l’investissement en Treasuries. La présence des vaccins et une meilleure organisation des soins ne nous ferait certainement pas basculer dans les excès de février-mars 2020 mais personne ne peut affirmer quoi que ce soit. En décembre, nous annoncions qu’en 2021 nous devrions rester pragmatiques et que la vérité de janvier serait peut-être totalement fausse en février. Il faut donc considérer cette option COVID II et se tenir prêts à remettre à tout moment de la duration pure tout en espérant que ce scénario catastrophe ne se matérialisera pas.

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