Un fauteuil pour quatre

Eric Vanraes, Eric Sturdza Asset Management

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Chronique des taux d’ESAM (Eric Sturdza Asset Management).

 

Un FOMC ennuyeux

Nous nous attendions à un statuquo de la Fed, comme 99% des intervenants de marché, mais assorti d’un discours de Jay Powell légèrement dovish afin d’ouvrir la porte à une première baisse de taux en septembre. «Too late» Jerome a non seulement évité soigneusement de nous faire de fausses joies mais a décrit un climat d’incertitude qui pourrait peser sur la politique monétaire de 2026. Nous nous sommes finalement retrouvés avec un ton neutre voire légèrement hawkish pour l’année prochaine. 

Trois moments-clés ont jalonné l’intervention du patron de la Fed, successivement pour 2025, 2026 et sur l’inflation ces prochains mois: «Il est nécessaire d’attendre encore (pour 2025), nous avons besoin de plus de données pour prendre une décision, personne n’a vraiment de conviction sur la trajectoire des taux (pour 2026) et quelqu’un va bien devoir payer ces nouveaux droits de douane». Le président Trump a immédiatement réagi en comparant l’inertie de la Fed aux dix baisses de taux de la BCE, précisant que Powell coûte des centaines de milliards puisqu’avec des taux appropriés (250 points de base plus bas), il serait moins coûteux de refinancer les dettes à court terme laissées par Biden.

Jay Powell a surtout brossé un portrait de l’état de l’économie américaine bien éloigné du spectre de la récession ou du hard landing.

Petit aparté sur l’Europe: notons au passage que la BCE devrait revenir à sa politique accommodante après une courte pause. Les messages délivrés par la Riksbank suédoise et par notre BNS nationale sont ultra dovish. Si la situation en zone euro est certes différente, les risques pointés par les Suisses et les Suédois devraient semer le doute à Francfort.

Nous retiendrons surtout que Jay Powell, tout en rappelant que l’inflation était soumise aux incertitudes liées aux «tariffs», a surtout brossé un portrait de l’état de l’économie américaine bien éloigné du spectre de la récession ou du hard landing. Bref aperçu de l’état des lieux : le marché du travail reste solide, le taux de chômage reste stable et faible, tant que nous avons un marché de l’emploi tel qu’actuellement et une inflation qui diminue, la meilleure chose à faire est de ne pas toucher aux taux d’intérêt. Pour les plus dovish, il a mentionné trois mois consécutifs de détente de l’inflation et le fait qu’à un moment donné, des baisses de taux seront appropriées. Au total, l’incertitude est grande, ils ne savent pas où ils en sont et comme si l’équation n’était déjà pas suffisamment compliquée, vient s’ajouter une crainte d’envolée des prix de l’énergie (composante certes volatile et plus ou moins éphémère) avec la situation en Iran.  

Powell out, qui pour le remplacer?

Quatre prétendants sortent du lot. Scott Bessent est un «bon» candidat mais se poserait la question de son successeur au Trésor. Kevin Warsh est notre favori depuis des mois. Son seul défaut est son allergie supposée au Quantitative Easing (QE) qui sera peut-être indispensable dans les années qui viennent. Rappelons toutefois que Warsh avait quitté la Fed sur fond de désaccord sur le QE2 mais qu’il l’avait tout de même voté, sachant qu’auparavant il n’avait pas jugé bon de critiquer le QE1. En troisième place, Chris Waller qui remet au goût du jour la chanson de Jacques Dutronc, l’opportuniste. En effet, le super hawk qui réclamait des Fed funds à 6% en 2023-2024 s’est soudainement mué en super dove en réclamant une première baisse de taux dès juillet. Enfin, c’est Howard Lutnick, Secrétaire au Commerce qui vient d’entrer dans la danse. Selon lui, Powell a peur de tout, y compris de son ombre et fait subir aux Etats-Unis les pires taux de tous les pays de première classe. Il estime que la Fed doit baisser massivement les taux. Soit il postule à la Fed, soit au Trésor pour remplacer un Bessent à la Fed. Conclusion: peu importe pour nous, investisseurs obligataires, qui sera choisi. Ce sera dans tous les cas une super colombe. Faut-il pour autant s’en réjouir et remettre de la duration?

Stratégie obligataire «powellienne»

Rester neutre n’est pas une situation que nous apprécions car nous sommes adeptes des fortes convictions. Il est toutefois important, au cours de certaines périodes délicates, de ne pas jouer avec le feu. La Fed nous délivre à de nombreuses reprises un message d’extrême prudence dans un contexte exceptionnel marqué par un niveau d’incertitude maximum. Ce qui ressort des querelles entre la banque centrale et l’administration Trump, c’est que la partie courte de la courbe des taux devrait tôt ou tard se détendre. Il faut donc sans aucun doute privilégier les obligations à maturité inférieure ou égale à 5 ans, soit en Treasuries, soit en crédits de bonne qualité. Au-delà de 5 ans, le doute est permis car si nous regardons de nouveau la liste des incertitudes énumérée par Jerome Powell, il y a autant de chances d’assister à un bullish steepening qu’à un bullish flattening. Les taux courts vont suivre la Fed, donc à plus ou moins brève échéance, ils vont se détendre. Les taux longs vont suivre l’inflation, leur évolution sera donc déterminée par l’impact des droits de douane sur les indices des prix. Si l’impact est minime, il faudra donc remettre un peu de duration. Sinon, nous limiterons notre «terrain de jeu» au 2-5 ans. Ce ne sera déjà pas si mal. L’été sera chaud!

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