Retour au calme

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Pfizer, puis Moderna

Les taux longs US semblent s’être stabilisés. Après une poussée de fièvre en début de semaine dernière, le 30 ans et le 10 ans sont repassés respectivement au-dessous de 1,65% et 0,90%. Il faut dire que tous les ingrédients pour un retour au calme étaient réunis. Un peu plus de visibilité concernant les résultats des élections US, un retour programmé de la Fed sur le devant de la scène, une pause après l’euphorie suscitée par l’annonce de Pfizer-BioNTech et surtout d’inquiétantes nouvelles à propos de la propagation du coronavirus aux Etats-Unis. Il va falloir vivre avec un peu plus de volatilité au gré des annonces de nouveaux vaccins performants. Si les marchés ont été totalement indifférents aux 92% d’efficacité annoncés par les Russes pour leur Spoutnik, les 94,5% de Moderna ont rajouté un peu de tension hier après-midi. 

La BCE sera sans doute beaucoup plus active que la Fed
dans sa communication et dans sa gestion de crise.

Mais il semblerait que le beau rêve est déjà oublié : tout le monde (gouvernements, organisations internationales dont l’OMS, banques centrales) a bien mis en garde la population. Un vaccin est une excellente nouvelle mais nous allons traverser une crise économique et sociale pendant encore une année environ. Si les plus optimistes (dont l’OFCE en France) estiment que nous retrouverons les niveaux de PIB de décembre 2019 (à la veille de la pandémie) fin 2021, il faut prendre ces projections avec la plus grande prudence. Les organismes officiels qui sortent des estimations de ce type font l’hypothèse qu’il n’y aura pas de troisième vague, qu’aucun reconfinement n’aura lieu en mars 2021 et qu’ensuite, un vaccin prendra le relais. Pour rester en France, les niveaux de dividendes versés par les membres du CAC 40 ne retrouveront les niveaux pré-COVID qu’en 2024-2025 selon les professionnels de la place interrogés par France-Info. Cela signifie que la BCE sera sans doute beaucoup plus active que la Fed dans sa communication et dans sa gestion de crise car il faut reconnaître que les situations sont bien différentes des deux côtés de l’Atlantique.

Barbell TIPS-Hybrides

Nous continuons à penser que la duration pure a toujours sa place dans un portefeuille obligataire équilibré. Toutefois, nous y ajoutons deux bémols majeurs: premièrement, cette place est moins importante que par le passé récent et deuxièmement, sur la partie longue de la courbe, nous sommes désormais investis exclusivement en taux réels. Les soubresauts de la semaine dernière nous ont d’ailleurs peu affectés car les TIPS ont extrêmement bien réagi à l’annonce Pfizer-BioNTech. Ces TIPS, combinés à un portefeuille de dette hybride corporate de bonne qualité, nous permettent de continuer à délivrer de la performance tout en présentant des caractéristiques de volatilité (standard deviation et max drawdown) de tout premier plan. Nous insistons sur l’expression «de bonne qualité» car les crédits (donc a fortiori les crédits hybrides qui sont des dettes subordonnées) présentent un risque asymétrique et idiosyncrasique qu’il faut à tout prix considérer avec le plus grand sérieux. 

KPN est noté BBB chez S&P mais pourrait très bien plonger
de plusieurs crans pour basculer dans la catégorie junk.

Nous n’investissons que dans des hybrides dont la dette senior est Investment Grade chez Standard & Poor’s et dont les fruits de notre recherche interne nous portent à croire que ce sera toujours le cas le jour du premier call de l’hybride. En cas de doute, nous n’investissons pas et si le doute s’immisce une fois que nous détenons l’obligation, nous la vendons immédiatement sans état d’âme. Cette philosophie d’investissement nous a permis d’éviter la signature KPN. Il nous est impossible de déterminer quel sera le rating de cet émetteur si la firme de private equity EQT parvient à ses fins, en rachetant ce grand opérateur télécom néerlandais. Les pourparlers sont en cours, Bloomberg évoque un accord autour d’un montant avoisinant 13 milliards de dollars. KPN est noté BBB chez S&P mais pourrait très bien plonger de plusieurs crans pour basculer dans la catégorie junk. Dans ce cas, la dette hybride serait sous pression. Il s’agit, certes, d’une pression relative car dans la plupart des cas, les covenants prévoient un put au pair en cas de changement d’actionnaire. Mais la KPN hybride cotait 109 il y a deux mois, 104,50 aujourd’hui et ce n’est peut-être pas terminé. Cela nous rappelle la mésaventure de Syngenta, un fleuron helvétique tombé en mais chinoises au printemps 2017 et puni par Moody’s qui, au cours du mois de mai l’avait downgradé deux fois, la faisant passer de A2 à Ba2. Nous devons donc rester vigilants et comme nous l’avons maintes fois évoqué, faire partie de la liste d’achats de la BCE est une condition nécessaire mais pas suffisante pour faire de bonnes affaires sur le marché des crédits en euros!

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