Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.
Le verdict des urnes semble définitif: sauf coup de Trafalgar improbable, Biden a gagné mais il n’y aura pas de vague bleue. Par conséquent les marchés de taux n’ont pas validé le scénario « socialiste » synonyme de steepening de courbe avec tension sur les taux longs. Même si la partie longue de la courbe a temporairement souffert hier après-midi suite à l’annonce de Pfizer sur son vaccin COVID, il nous semble que nous allons assister à une stabilisation sur les niveaux en vigueur au lendemain de l’élection. La Fed est restée en retrait ces dernières semaines car il est logique qu’une banque centrale évite de s’immiscer dans le débat politique en prenant garde à ne pas donner l’impression qu’elle a eu une influence sur le vote des citoyens. L’élection est derrière nous, Jerome Powell va pouvoir revenir sur le devant de la scène et nous l’attendons de pied ferme.
que l’économie réelle est toujours souffrante du COVID.
Si les statistiques de l’emploi de vendredi après-midi ont été bonnes (donnant l’impression que nous étions moins nombreux que d’habitude à les regarder), si Pfizer a enfin une solution de vaccin à nous proposer, force est de constater que l’économie réelle est toujours souffrante du COVID. La situation dramatique en Europe fait craindre le pire pour les Etats-Unis dans les semaines à venir. En cas de besoin, la Fed va agir vite et bien: une hausse prononcée des taux est par conséquent improbable car la banque centrale fera tout pour maintenir leur niveau actuel à travers des achats massifs.
Les petites entreprises et les commerces qui sont à l’agonie et qui représentent l’économie réelle n’ont pas grand-chose à voir (pas du tout, même) avec les envolées de Wall Street. En revanche, si une PME doit conclure un emprunt auprès de sa banque pour traverser la crise sanitaire et garantir sa survie, le taux d’intérêt qui lui sera appliqué sera conditionné par les niveaux de taux. Certes, en Europe, la BCE a mis en place des systèmes comme le TLTRO pour permettre d’amortir de telles éventualités. Aux Etats-Unis, la Fed a dévoilé des mesures d’aides aux entreprises mais des taux plus élevés auront une répercussion néfaste sur l’économie réelle, y compris sur les ménages si les taux de leurs dettes hypothécaires s’envolent au pire moment. Si la Fed est bien consciente de ce risque, les marchés actions savent également très bien que si nous pouvons nous permettre une hausse homéopathique - donc quasiment indolore - des taux longs, toute tension significative ferait tousser Wall Street et peut-être plus encore que l’on imagine.
Nous clamions avant les élections US «il est urgent de ne rien faire!». En octobre, nous avions légèrement augmenté la duration à travers des achats de Treasuries à 10 et 30 ans. Pour deux raisons: adapter notre gestion à un environnement plus incertain et plus risqué mais également servir de hedge naturel à notre position en crédits high-beta et hybrides corporates. Au lendemain de l’élection, nous avons soldé toute notre position en 30 ans nominal sur un niveau de 1,53% et nous avons diminué l’allocation en 10 ans à 0,74%. Notre duration est redescendue à un niveau plus conforme avec le scénario «Biden sans vague bleue au Sénat». Nous poursuivons notre recherche de crédits de bonne qualité à spreads encore attrayants, le plus souvent dans l’univers des hybrides.
Les crédits Investment Grade en dollars vont sans doute bénéficier de deux facteurs favorables dans les semaines à venir. Premièrement, si le COVID ne baisse pas la garde aux US, la Fed va intervenir et de nombreux intervenants estiment que les achats de corporates pourraient être les principaux bénéficiaires de sa nouvelle politique. Deuxièmement, suite aux résultats des élections, plusieurs grandes maisons d’investissement déclarent leur flamme à l’Investment Grade au détriment du High Yield qu’elles passent à la vente: il y aura donc des flux acheteurs sur le marché de la dette d’entreprise de qualité.
Sur le marché en euros, l’attrait des hybrides est encore plus flagrant. Les dettes seniors sont très chères et introuvables avant même que la BCE intervienne de nouveau. Il faut donc se tourner vers la qualité qui rémunère mieux et qui n’est pas (encore) polluée par les achats massifs de la banque centrale. Finalement, la seule classe d’actifs dont nous n’avons pas modifié l’allocation est la dette du Trésor US à taux réels, les TIPS. Nous attendons en vain de voir les breakevens d’inflation s’approcher de 2%. Nous n’y sommes pas encore mais tout va très vite. Cela dit, avec Biden à la Maison Blanche flanqué d’un Sénat à majorité Républicaine, les craintes inflationnistes ne devraient pas exploser. Restons tout de même vigilants!