Inflation: chassée par la porte, elle revient par la fenêtre

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

CPI historique

Vous avez tous vu les chiffres d’inflation en fin de semaine dernière et ils ont été commenté largement par tous les experts: inutile donc de revenir dessus dans les moindres détails. On s’attendait à un effet de base important et on l’a eu. En revanche, nous n’attendions pas une si forte hausse de prix, tirée notamment par des augmentations exceptionnelles dans des secteurs comme les voitures d’occasion ou l’immobilier. Nous avions vraisemblablement sous-estimé un élément capital: il s’avère que l’inflation augmente plus fortement que prévu par le consensus et par la Fed par le simple fait que l’inflation salariale – pas encore inquiétante – a été de facto remplacée par les aides budgétaires octroyées aux ménages. 

Nous ne sommes pas en train de basculer dans le camp des «inflationnistes» mais force est de constater que les indices de prix montent plus fortement que prévu et que l’effet de base ne peut pas expliquer à lui tout seul le CPI historique publié la semaine dernière. Au-delà du chiffre global, c’est le core CPI à +3% qui est surprenant. Alors inflation temporaire ou début d’un nouveau cycle? C’est le tandem Biden-Yellen qui a la solution car l’ampleur de leur aide aux ménages conditionnera la suite des événements. Si les querelles d’économistes s’enveniment, nous devons, en tant que gérants obligataires rester pragmatiques voire agnostiques sur le sujet. 

Le comportement des taux longs
en fin de semaine dernière a été contre-intuitif.

In fine, nous serons jugés sur les performances de nos portefeuilles et pas sur nos prévisions macroéconomiques. Il est utile de rappeler cette évidence car le comportement des taux longs en fin de semaine dernière a été contre-intuitif. Après de tels chiffres de CPI, assister à un bull flattening n’était pas le scénario le plus évident. Les marchés de taux, en d’autres temps, auraient connu un sell-off à la hauteur de la mauvaise surprise. Il n’y a pas eu de panique et les taux longs US, peut-être aidés par des achats de la Fed, n’ont pas sur réagi. 

Le message de la Fed est donc passé et pour l’instant les marchés (en tout cas leur grande majorité) y adhèrent toujours. Pour combien de temps? Nous ne sommes vraiment pas à l’abri d’une deuxième vague de bear steepening et, en tant que gérants obligataires, c’est tout ce qui nous intéresse! Nous vous conseillons vivement de lire ou relire le point de vue de François Savary (Prime Partners) publié hier car nous n’avons rien à rajouter: tout est dit! Nous allons devoir affronter des courants contraires et nous creuser les méninges pour délivrer de la performance dans cet environnement compliqué et changeant. Et comme nous l’avons maintes fois répété dans ces mêmes colonnes, les TIPS sont aujourd’hui l’exemple parfait de la fausse bonne idée. Ils ont encore bien résisté grâce à un seul soutien: les achats massifs de la Fed.

Stratégie obligataire en milieu hostile

Ce qui inquiète le plus les stratèges en asset allocation aujourd’hui, c’est la forte corrélation entre Treasuries et actions qui pourrait ne pas disparaître de sitôt. Se protéger contre l’inflation est compliqué mais surtout cher. Si vous êtes convaincus que la Fed est behind the curve et que les hausses de prix ne font que commencer, le marché monétaire est pour vous. Tôt ou tard, dans un tel scénario, le Libor, ou son remplaçant le SOFR, devrait se tendre et se révéler une protection relativement efficace. 

Le marché a toujours raison et si le marché veut voir
des taux plus haut, les taux seront plus haut.

Dans un portefeuille dont la devise de référence offre des taux monétaires encore positifs, la devise «cash is king» n’est pas forcément une mauvaise idée. Nous ne sommes pas (en tout cas pour l’instant) traumatisés à ce point par l’inflation et essayons de trouver dans le marché des crédits des opportunités d’investissement. Nous estimons que la stratégie la plus adaptée à l’environnement actuel est de continuer d’investir en crédits seniors et hybrides de notation BBB-BB à duration 7-10 ans tout en maintenant la duration globale de notre portefeuille au-dessous de 4 (mais potentiellement plus bas voire même beaucoup plus bas) par le biais de positions shorts en contrats Futures 10 ans Treasuries. 

Ainsi, dans nos portefeuilles diversifiés en dollars, l’exposition en crédits de pays développés a sensiblement augmenté récemment pour atteindre 50% contre 37% fin mars et 32% fin 2020. Si l’on ajoute 19% de crédits en euros hedgés en dollars (pour la plupart des hybrides) et 13% de corporate bonds de marchés émergents, notre exposition en dettes d’entreprises culmine à 82%. Cela nous change des 64% de Treasuries en février-mars 2020! Nous ne croyons pas au scénario fin du monde avec des taux longs qui explosent et qui provoquent un krach à Wall Street (entrainant dans sa chute les spreads de crédit). Mais comme nous l’avons déjà mentionné, nous allons rester pragmatiques. Le marché a toujours raison et si le marché veut voir des taux plus haut, les taux seront plus haut. Il faudra s’adapter et mettre en place des stratégies évolutives capables d’évoluer en milieu potentiellement hostile.

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