Emploi US au top, trop beau pour être vrai?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

Un FOMC pour rien, des NFP explosifs

Que retenir de la première réunion de la Fed en 2024? Aucune annonce spectaculaire n’a été dévoilée, le communiqué reprend presque mot pour mot celui de fin 2023 et Jay Powell a réaffirmé qu’une baisse de taux en mars était improbable. Quarante-huit heures plus tard, c’est celle du 1er mai qui était remise en cause par les marchés suite à des chiffres de l’emploi explosifs. Les 353'000 créations d’emplois en janvier et surtout les 216'000 de décembre révisées à 333'000 ont mis le feu aux poudres.

A se demander si ce marché de l’emploi hyper robuste, qui va donc immanquablement augmenter les pressions salariales inflationnistes, ne devrait pas inciter la Fed à …monter ses taux! Une telle extrémité serait une hérésie mais un maintien du «higher for longer» qui repousserait la première baisse de taux à plus tard dans l’année semble une hypothèse crédible et privilégiée par les marchés de taux. Le 2 ans est passé de 4,20% à 4,45% suite à la publication de ces fameux Non-Farm Payrolls. On oublie donc non seulement la baisse de taux du 20 mars (on le savait déjà) mais celle du 1er mai et potentiellement celle du 12 juin.

La semaine écoulée a ressemblé à s’y méprendre à mars 2023 lorsque New York Community Bancorp a dévissé de plus de 40% en deux jours.

Ne nous emballons pas trop tout de même. Il ne s’agit pas de minimiser l’ampleur de ces chiffres de l’emploi surprenants. Toutefois, admettons qu’ils sont difficiles à cerner et sans doute sujets à révisions. Il va falloir regarder du côté du modèle Birth/Death ainsi que du nombre de données réellement collectées pour nous faire une petite idée de l’importance de potentielles révisions.

Ensuite, nous devrons tenir compte de la situation actuelle sans miser sur une hypothétique révision de ces bons chiffres car tant que nous n’avons pas d’information relative à d’éventuelles révisions, nous prenons ces statistiques de l’emploi US telles qu’elles sont. Cela signifie qu’un bearish flattening de la courbe va se poursuivre jusqu’au moment où un autre événement va faire passer les chiffres de vendredi dernier au second plan. Comme par exemple l’état de santé de certaines banques régionales américaines et les CRE (Commercial Real Estate loans).

Un an après, un nouveau SVB?

Un banquier central a beau prétendre qu’une baisse de taux n’est pas envisagée, cette dernière peut tout à fait s’imposer à lui à tout moment par la force des choses. Il y aura bientôt un an, la crise des banques régionales US a ébranlé l’édifice sans le faire vaciller. 400 milliards de dollars avaient été nécessaires pour que la Fed arrive à transformer en quelques jours un risque systémique en risque idiosyncratique. Question: l’institution de Washington peut-elle rééditer cet exploit combien de fois?

La semaine écoulée a ressemblé à s’y méprendre à mars 2023 lorsque NYCB (New York Community Bancorp) a dévissé de plus de 40% en deux jours. Son titre, qui a clôturé à 10,38 dollars le 31 janvier a même atteint 5,51 dollars en cours de séance le lendemain. En cause, une perte sur Q4 de 260 millions de dollars (on attendait un profit du même montant) ainsi qu’un dividende coupé de 70% afin de se conformer aux exigences réglementaires. NYCB n’arrive simplement pas à digérer l’achat de Signature Bank un an plus tôt et aujourd’hui, son book de CRE loans avoisine 71% du book total de loans. C’est grave car NYCB n’est sûrement pas le seul établissement pris dans la tourmente des CRE au moment où le programme BTFP (Bank Term Funding Program) de la Fed est sur le point de prendre fin, au plus tard fin mars.

Ce qui rapproche ce début de crise des CRE avec la crise des subprimes de 2008, c’est le risque de contagion à l’international. Au Japon, la banque Aozora a connu à peu près le même sort que celui de sa consœur NYCB. Le titre a perdu 34% en deux jours à cause de l’exposition massive de la banque aux CRE américains. Dans un autre registre, si l’on ajoute, sur le même continent, la chute libre de l’immobilier chinois avec l’emblématique faillite d’Evergrande (300 milliards de dollars de pasif), les marchés, ainsi que les populations, peuvent tout à fait paniquer à un moment ou à un autre.

L’agence Reuters a récemment dévoilé que la BCE avait demandé aux grandes banques européennes de surveiller les réseaux sociaux afin de déceler d’éventuels prémices de bank run. Il n’y a pas cinquante scénarios possibles: soit le début de crise CRE illustré par NYCB est rapidement maîtrisé par les autorités et restera comme une anecdote parmi tant d’autres qui sera rapidement oubliée, soit nous sommes au début d’une crise qui fera réagir brutalement les banques centrales. Dans ce cas, ce seront les chiffres de l’emploi de vendredi dernier qui deviendront anecdotiques.

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