Yen japonais: quelles perspectives pour 2024?

Luca Castoldi, Reyl Singapore

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En 2023, la devise la moins performante au niveau mondial a été celle du yen, qui a connu son taux le plus bas en trente ans. Comment se présente 2024?

En 2023, tous les yeux étaient rivés sur la Chine et sa situation intérieure et extérieure, se concentrant sur la dépréciation du Renminbi. Or, la devise la moins performante au niveau mondial a été celle du yen japonais (si l'on exclut certaines circonstances idiosyncratiques comme la Turquie et l'Argentine), qui a plongé de 131 contre le dollar américain à son taux le plus bas en trente ans de 152 en novembre, terminant l'année autour de 141. Ce recul de 16% est spectaculaire pour une monnaie bien connue pour son caractère défensif et sa stabilité. Si l'on considère également l’année 2022, la dépréciation totale s'élève à plus de 30% par rapport au seuil atteint.

La raison de ce mouvement est la détermination de la Banque du Japon (BOJ) à maintenir une politique monétaire souple afin de soutenir l'économie domestique, dans une situation où toutes les autres banques centrales, principalement la Réserve fédérale américaine (FED) et la Banque centrale européenne (BCE), ont commencé à augmenter leurs taux de façon assez agressive depuis le milieu de l'année 2022, tout cela pour essayer de contrôler leur inflation domestique. La BOJ a continué à acheter une part significative d'obligations d'État nationales sur le marché afin de maintenir le taux des obligations du gouvernement japonais à 10 ans à un niveau ne dépassant pas 0,5% dans un premier temps, avant de l'ajuster modestement à 1%, dans le cadre de son contrôle de la courbe des taux (YCC). Les taux japonais étant maintenus à un niveau aussi bas, les écarts de taux d'intérêt entre les États-Unis et le Japon se sont considérablement creusés, atteignant environ 5% en 2023 pour les obligations d'État à deux ans, permettant aux investisseurs de bénéficier d'un «carry trade» important, en empruntant en yen à un taux proche de 0% et en investissant en dollar à un taux de 5%. Ce différentiel a poussé de nombreux investisseurs à poursuivre cette opération, exerçant ainsi une forte pression sur le yen.

Il semblerait que la BOJ tente de sortir de sa politique accommodante avec un décalage de deux ans par rapport aux autres banques centrales, car elle détient plus de 50% des obligations d'État japonaises.

La dépréciation du yen est positive pour le Japon, car elle permet stimuler l'inflation, qui fait défaut depuis 20 ans. L'objectif de la BOJ est de sortir le pays de cette spirale déflationniste pour atteindre un objectif d'inflation de base de 2% (la BOJ ne cible pas le marché des changes, qui relève de la compétence du ministère des finance). Cette dépréciation du yen est également positive pour les exportateurs, car elle rend les exportations plus compétitives. En revanche, une chute continue et trop rapide du yen pourrait affecter le pouvoir d'achat des ménages japonais et réduire les investissements directs étrangers (IDE) dans le pays. C'est la raison pour laquelle les autorités ont tenté de fixer des limites à différents niveaux, le plus récent étant le niveau 150, en intervenant à la fois verbalement et sur le marché pour défendre la monnaie.

L'IPC de base de Tokyo a atteint 4% en juillet de l'année dernière, en raison de l'inflation importée et des problèmes de la chaîne d'approvisionnement après la guerre entre l'Ukraine et la Russie. La pérennité reste cependant clé et les données ont récemment commencé à décevoir à nouveau, l'IPC atteignant 3,1% contre 3,4% attendus. 

À quoi faut-il donc s'attendre pour 2024? 

Il semblerait que la BOJ tente de sortir de sa politique accommodante avec un décalage de deux ans par rapport aux autres banques centrales, car elle détient plus de 50% des obligations d'État japonaises. Elle a fait quelques progrès au cours de l'année écoulée en repoussant la limite de 0,5% à 1% pour le rendement à long terme, puis en ajustant la «politique dure» de 1% à une simple «référence».

Il est très probable que la BOJ abandonne sa politique de taux d'intérêt négatifs (NIRP) de -0,1% actuellement à 0%, très probablement en mars ou en avril, mais elle ne sera pas agressive en matière de relèvement des taux par la suite, car l'économie ne peut pas se le permettre. La reprise de l'inflation et du PIB est encore assez faible et nécessite un soutien supplémentaire. Par ailleurs, les décisions de la FED seront probablement plus importantes que celles de la BOJ, afin de réduire le différentiel de taux et de soutenir le yen, bon marché du point de vue du taux de change réel. De son côté, la FED s’apprête à réduire ses taux dès que possible tout au long de l'année, à moins que l'inflation ne reste plus forte que prévu. Tous les ingrédients sont donc réunis pour une appréciation du yen japonais.

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