Les tensions commerciales mondiales se sont apaisées au cours du mois dernier avec l’annonce de l’accord commercial entre les États-Unis et le Royaume-Uni, et l’accord conclu à Genève entre les États-Unis et la Chine pour lever une grande partie des droits de douane supplémentaires pendant 90 jours, alors que les deux géants tentent de parvenir à un accord commercial. Les marchés ont accueilli favorablement ces développements, et les actifs risqués se sont en grande partie remis de la correction du «Jour de la Libération». Le dollar américain fait cependant figure d’exception notable. L’indice du dollar (DXY) a reculé de 4% depuis la fin mars, tandis que le dollar s’est déprécié bien davantage face aux devises asiatiques. Le mouvement le plus significatif s’est produit début mai, lorsque le dollar taïwanais (TWD) s’est soudainement envolé de 6% face au dollar américain en l’espace de deux séances. Ce mouvement s’explique par le fait que les exportateurs taïwanais ont converti en monnaie locale les USD figurant dans leurs bilans, et par une forte activité de couverture du TWD, alimentée par des spéculations selon lesquelles Taïwan autoriserait l’appréciation du TWD face au dollar dans le cadre des négociations commerciales en cours. Taïwan avait été frappé par des droits de douane «réciproques» de 32%, qui ont depuis été suspendus pour permettre des négociations commerciales. Le gouverneur de la banque centrale taïwanaise a depuis démenti ces rumeurs, affirmant que l’appréciation de la monnaie n’était pas à l’ordre du jour.
Ce mouvement brusque du TWD a également entraîné une réaction en chaîne sur d’autres devises asiatiques, entraînant une hausse du won sud-coréen et du dollar de Singapour (qui s’échange à un niveau proche de son plus haut depuis 10 ans). Même le dollar de Hong Kong, pourtant rattaché au dollar américain, a atteint la limite supérieure de sa bande de fluctuation autorisée, déclenchant la première vente importante de devise locale par la banque centrale de Hong Kong depuis 2020. Des devises locales plus fortes pourraient avoir un impact négatif sur les exportateurs asiatiques. Le géant taïwanais des semi-conducteurs TSMC affirme que chaque dépréciation de 1% du dollar américain par rapport au TWD entraîne une baisse de 0,4% des marges opérationnelles. Cela signifie qu’un affaiblissement de 10% du dollar réduirait les marges de 4 à 5%. Le TWD s’est apprécié de 8% par rapport au dollar américain depuis le début de l’année.
Ce mouvement soudain du TWD a également causé des problèmes aux assureurs-vie taïwanais, car la dette en USD constitue la majorité de leurs actifs étrangers. Bank of America estime que les assureurs-vie taïwanais n’avaient couvert qu’environ 65% de leur exposition en USD à fin 2024. Ce décalage entre actifs (en USD) et passifs (en TWD) entraînerait des pertes de change pour ces compagnies d’assurance-vie. L’agence de notation Fitch a ensuite placé cinq assureurs taïwanais sous surveillance négative et surveillera leur stratégie de couverture de change, leurs niveaux de fonds propres et l’impact potentiel sur les bénéfices avant de déterminer des prochaines étapes. Les cours des actions des principales sociétés financières taïwanaises, telles que Cathay Financial et Fubon Financial, ont d’abord été corrigés à la suite de l’évolution du TWD, mais se sont ensuite redressées, la monnaie s’étant stabilisée.
La bonne nouvelle est qu’un dollar plus faible peut en réalité être bénéfique pour les économies asiatiques, car cela atténuerait la pression sur les devises locales, permettant ainsi aux banques centrales asiatiques d’assouplir leur politique monétaire pour soutenir les économies domestiques si nécessaire. Les interrogations sur la fin potentielle de l’exceptionnalisme américain et sur la capacité des actifs libellés en dollars à conserver leur statut de valeur refuge dans le contexte actuel d’incertitudes politiques suggèrent probablement que le dollar continuera de s’affaiblir. Un dollar plus faible semble également s’inscrire dans le programme du président Trump visant à rendre les produits fabriqués aux États-Unis plus compétitifs dans le cadre de sa politique de relocalisation industrielle. Les banques centrales et les entreprises asiatiques espèrent simplement que ces mouvements de change évolueront de manière plus progressive que la volatilité observée début mai.