USA: les bons chiffres de l’emploi tempèrent l’espoir d’un virage accommodant de la Fed

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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Le S&P 500 affiche une progression de 7,7% depuis le début de l’année, porté par l’espoir d’une fin imminente du cycle de relèvement des taux de la Fed. Point de situation.

© Keystone

Comme prévu, la Fed a encore levé le pied en augmentant les taux directeurs de 25 points de base (pb) seulement, contre 50 pb en décembre et 75 pb lors de ses quatre précédentes réunions.

Lors de la conférence de presse après la réunion de début février, son président, Jerome Powell, a choisi de ne pas exclure expressément un assouplissement des conditions financières. Il a évoqué «quelques relèvements de taux supplémentaires», donnant ainsi l’impression que le cycle de resserrement monétaire touche à son terme.

Dans le sillage de la Fed

La Banque centrale européenne (BCE) et la Banque d’Angleterre ont fait écho à ce ton moins incisif, même si elles ont toutes deux relevé dernièrement leurs taux de 50 pb.

La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a ainsi estimé que les risques qui pèsent sur les perspectives économiques sont devenus plus équilibrés. La Banque d’Angleterre a pour sa part signalé que la hausse des taux directeurs ne durerait plus guère longtemps.

Un optimisme tempéré

Toutefois, les récents bons chiffres de l’emploi aux Etats-Unis ont tempéré l’optimisme des investisseurs quant à un virage accommodant dans la politique de la Fed. L’économie américaine a créé 517'000 emplois (solde net) en janvier, bien plus que les 188'000 créations prévues par le consensus. Le taux de chômage est tombé à 3,4%, son plus bas niveau depuis 53 ans.

La progression du salaire horaire moyen en glissement annuel a ralenti à 4,4% en janvier, contre 4,8% le mois précédent, mais elle s’est tout de même avérée plus forte que prévu (+4,3%).

Conjugués au rebond inattendu de l’activité dans le secteur des services (l’indice ISM a grimpé à 55,2 en janvier, tandis que son équivalent pour le secteur manufacturier est resté inférieur au seuil des 50 points, synonyme de contraction pour le troisième mois consécutif), les bons chiffres de l’emploi ont amené les marchés à intégrer un resserrement plus marqué de la politique monétaire aux Etats-Unis.

Le vigoureux rebond des actions américaines ces derniers temps est probablement davantage imputable à des facteurs techniques qu’à des facteurs fondamentaux.

Les cours des contrats à terme sur les Fed funds (fonds déposés par les banques auprès des Réserves fédérales régionales) se sont ajustés pour refléter l’hypothèse d’un taux directeur proche de 5% en juin, supérieur de 10 points de base à celui prévu il y a dix jours.

Résultats décevants des entreprises

Les résultats des entreprises restent ternes, y compris pour certaines entreprises technologiques de premier plan. Apple a fait état d’une baisse de son chiffre d’affaires plus marquée que prévu. Amazon table sur un chiffre d’affaires poussif lors du trimestre en cours et les résultats d’Alphabet se sont avérés légèrement inférieurs aux estimations des analystes.

Environ 70% des entreprises du S&P 500 (en termes de capitalisation boursière) ont déjà publié leurs résultats du quatrième trimestre. Le montant cumulé des bénéfices est inférieur aux prévisions de près d’un point de pourcentage et l’on se dirige vers une diminution de 3,4% du bénéfice par action.

A quoi faut-il s’attendre?

Il est vrai que les banquiers centraux ont récemment semblé plus conciliants. Reste à savoir si leurs décisions resteront conditionnées à l’évolution des données. Toutefois, les marchés sont peut-être allés un peu vite en besogne en spéculant sur un virage accommodant dans la politique de la Fed.

L’inflation est en train de ralentir aux Etats-Unis. L’indice des dépenses de consommation personnelle de base (le baromètre préféré de la Fed) est ressorti en hausse de 4,4% en glissement annuel en décembre. Il s’agit de sa plus faible progression depuis octobre 2021.

Néanmoins, les chiffres de l’emploi sont encore trop bons pour justifier un arrêt du cycle de resserrement monétaire. Même si l’inflation salariale semble ralentir – le baromètre des salaires de la Fed (qui repose sur une moyenne mobile sur trois mois) est tombé à +6,1% en décembre après avoir culminé à +6,7% en août – son niveau reste incompatible avec l’objectif d’inflation de 2% de la Fed.

Le dernier rapport JOLTS (Job Openings and Labor Turnover Survey) fait état d’une hausse du nombre de postes à pourvoir. En décembre, il y avait ainsi 1,9 poste vacant pour 1 demandeur d’emploi.

Encore du chemin à faire

Même si les marchés ont estimé que les déclarations des banquiers centraux après les récentes réunions étaient conciliantes, d’autres éléments étaient davantage empreints d’orthodoxie. Jerome Powell a réaffirmé qu’il était trop tôt pour crier victoire, tandis que Christine Lagarde a estimé qu’il y avait «encore du chemin à faire» et qu’il était important de «garder le cap».

L’inflation annuelle des prix à la consommation dans la zone euro est tombée à 8,5% en janvier, contre 9,2% en décembre, mais l’inflation sous-jacente est restée inchangée à 5,2%. La BCE entend relever une nouvelle fois ses taux de 50 pb en mars. La Recherche d’UBS prévoit également un relèvement de 25 pb en mai.

Les résultats poussifs des entreprises américaines au quatrième trimestre confortent dans l’idée qu’une contraction des bénéfices est probable en 2023. Les résultats dans le secteur technologique montrent que les segments en forte croissance, comme celui des services cloud, ne sont pas épargnés par la baisse des dépenses des entreprises. L’érosion de la consommation des ménages semble également avoir un impact sur le secteur.

Se recentrer sur les fondamentaux

Le vigoureux rebond des actions américaines ces derniers temps est probablement davantage imputable à des facteurs techniques qu’à des facteurs fondamentaux. De nombreux investisseurs ont démarré l’année 2023 avec une faible exposition aux actifs risqués face au spectre d’une récession mondiale et d’une possible crise énergétique en Europe.

Au fil du temps, les investisseurs devraient se recentrer sur les fondamentaux. Le contexte reste marqué par un ralentissement de la croissance, des taux directeurs en hausse et une inflation supérieure aux objectifs des banques centrales.

Comment investir?

Dans l’immédiat, malgré le récent rebond, l’environnement de marché devrait rester difficile. Certains pans du marché atteindront sans doute les points d’inflexion plus tôt que d’autres, avec à la clé une dispersion qui devrait être élevée entre les différents marchés géographiques et secteurs. La sélectivité devrait être récompensée, ce que reflète le positionnement de la Recherche d’UBS.

On appréciera les stratégies qui procurent une exposition au marché des actions à la hausse, tout en ajoutant une protection à la baisse. On incorporera un mélange de valeurs défensives (biens de consommation de base et santé), décotées et de rendement, qui devraient surperformer dans un environnement caractérisé par une forte inflation et par un ralentissement de la croissance.

Quelques positions sur des valeurs cycliques devraient également bien se comporter lorsque les marchés commenceront à anticiper les inflexions.

Du côté des actions…

S’agissant des actions, l’avis Least Preferred à l’égard des actions américaines, notamment les valeurs technologiques, reste d’actualité. On privilégiera plutôt les marchés émergents (y compris la Chine), ainsi que les actions allemandes qui devraient compter parmi les principales bénéficiaires du déconfinement en Chine et du redressement de la croissance mondiale en 2023.

… et des obligations

Sur les marchés obligataires, la préférence pour les obligations high grade et investment grade reste d’actualité étant donné leur rendement total attrayant et les risques qui pèsent toujours sur la croissance mondiale.

On s’intéressera également aux obligations des marchés émergents, qui devraient profiter du déconfinement de la Chine et de la modération du rythme du relèvement des taux directeurs aux Etats-Unis.

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