Rhétorique guerrière

Martin Neff, Raiffeisen

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Les impôts ont certes été abaissés aux Etats-Unis, mais un déficit budgétaire de près de 5% du PIB se dessine pour l’année prochaine.

Malgré une carrière d’entrepreneur longue de plusieurs décennies, Donald Trump était déjà loin de faire l’unanimité dans les milieux économiques, avant même d’être candidat à la présidence. L’absence de toute expérience politique et surtout le programme électoral protectionniste ont suscité un fort scepticisme jusqu’au lendemain de son élection, lorsque l’atmosphère a connu un brusque revirement.

Au début de son mandat, Donald Trump a fait preuve de modération dans les questions commerciales et bientôt il n’a plus été question que de baisses d’impôts, de dépenses d’infrastructures et d’allègement de la bureaucratie sur les marchés financiers et non de droits de douane et de murs d’enceinte. Les acteurs du marché jubilaient et les sondages faisaient état d’un optimisme inégalé des entreprises américaines. Le monde de l’économie se réconciliait avec Donald Trump.

«La pression des salaires et des prix
est toujours à peine perceptible.»

Une réforme fiscale historique et d’importantes dépenses d’infrastructures relanceraient la croissance et finiraient pas entraîner également une hausse notable des salaires et des prix, pensait-on à l’époque. Mais il n’en a rien été. Les impôts ont certes été abaissés, mais un déficit budgétaire de près de 5% du PIB se dessine en revanche pour l’année prochaine.

Et la pression des salaires et des prix est toujours à peine perceptible. La «réflation» si souvent invoquée par de nombreux économistes et qui est à mes yeux le terme barbare de l’an dernier n’a finalement pas eu lieu.

Les mesures de Donald Trump

C’est encore un peu tôt pour le terme barbare de 2018, mais je crois que «guerre commerciale» ferait un bon candidat. Depuis le début de l’année, Donald Trump a fortement accentué sa rhétorique concernant les questions commerciales et engagé des mesures dans le sillage de ses mots durs. Elles ont pour l’instant culminé dans l’augmentation des droits de douane sur les importations d’aluminium et d’acier début mars, cette mesure visant avant tout la Chine mais affectant également d’autres pays.

L’empire du Milieu a réagi par des mesures de rétorsion, les Américains ayant alors brandi la menace de restrictions supplémentaires du commerce. Le ping-pong entre les deux grandes puissances qui représentent ensemble 40% de l’économie mondiale est sans aucun doute déplaisant, mais il me semble exagéré d’y voir déjà une escalade de la guerre commerciale et un risque pour l’économie mondiale. Depuis 1947 et l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), les droits de douane ne tendent pratiquement que dans une seule direction, à savoir vers le bas.

«Les flux commerciaux internationaux progressent plus vite
d’une année sur l’autre que l’économie mondiale.»

Depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994, les obstacles commerciaux non tarifaires ont également été nettement réduits. En raison de ces décennies de politique de libre-échange, les flux commerciaux internationaux progressent plus vite d’une année sur l’autre que l’économie mondiale, avec de nombreux gagnants, mais aussi quelques perdants. Les progrès enregistrés en matière de libre-échange après des années de négociations fasti-dieuses sont si considérables que les mesures actuelles des Etats-Unis et de la Chine ne représentent qu’un léger revers. Les gros titres tels que «Trump est-il en train de tuer le libre-échange?» sont donc exagérés.

Des unités de production en Chine

Donald Trump regrette avant tout l’important déficit de la balance commerciale avec la Chine qui a atteint un nouveau record à 375 milliards de dollars l’an dernier. Cette valeur ne tient cependant pas compte d’une chose: les filiales de groupes américains réalisent des chiffres d’affaires considérables avec des unités de production sur place en Chine. General Motors et Apple vendent par exemple plus de véhicules et d’iPhones en Chine qu’aux Etats-Unis. Mais lorsque la marchandise est produite sur place avant d’être vendue, elle n’est pas comptabilisée dans les exportations. Après correction de cet effet, le déficit du commerce américain avec la Chine diminue fortement. Pour finir, ce n’est sans doute pas un hasard que Donald Trump brandisse la menace de la politique commerciale précisément maintenant. Les élections au Congrès sont prévues dans six mois et à ce jour il n’a pas eu grand-chose à offrir à ses électeurs en matière de politique commerciale.

Mais que signifie la politique commerciale de Donald Trump pour la Suisse? Pas grand-chose pour l’instant. Les quelques entreprises qui exportent de l’acier ou de l’aluminium brut vers les Etats-Unis seront durement touchées par l’augmentation des droits de douane. Dans une perspective économique globale, cet effet est cependant négligeable. Il se pourrait bien que le bras de fer entre les Etats-Unis et la Chine dure encore des mois. Mais nous sommes encore loin d’une véritable guerre commerciale mondiale.

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