Une histoire palpitante

Martin Neff, Raiffeisen

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Les marchés observent pour l’instant les événements liés au coronavirus avec du recul, même s’ils affichent parfois de la nervosité et que les bourses chinoises y ont bien sûr laissé des plumes.

La semaine dernière, j’ai été assommé par la grippe et pas qu’un peu. C’est aussi la raison pour laquelle vous n’avez pas eu de mes nouvelles. Je n’avais pas toute ma tête. J’ai sans doute été balayé par la vague de grippe épidémique qui circule actuellement en Suisse et que des mesures de l’Office fédéral de la santé publique ont confirmé comme telle. Par définition, une épidémie n’est atteinte que si l’on suspecte 70 cas de grippe pour 100'000 habitants. Cette valeur est dépassée depuis la deuxième semaine de janvier et l’intensité a même encore augmenté par la suite. A la fin du mois, le nombre de cas suspects était trois fois supérieur à la valeur seuil. Avec de tels ordres de grandeur, ce n’est pas juste un hasard malencontreux d’être contaminé, la probabilité de l’être est loin d’être négligeable. Et quand dans votre propre foyer, le plus jeune de vos enfants est déjà atteint, tout comme sept de sa vingtaine de camarades de classes, la probabilité d’une contagion devient une quasi-certitude. 

La semaine précédente, nous étions encore en grande forme lors d’une excursion à Lucerne. Mais dès le lendemain soir, l’état de mon petit dernier s’est aggravé et le verdict du thermomètre était sans appel. La devise était «au lit» et juste avant de s’endormir, il a encore réussi à prononcer ces mots: «Papa, je crois que c’est de la faute des Chinois». C’est ainsi que cela se passe quand le monde entier s’enfièvre pour un nouveau virus inconnu. Celui-ci ne s’arrête pas non plus à la porte des écoles suisses, lorsqu’il est omniprésent dans les médias. Nous avons beau renifler ou nous racler la gorge, une vague de grippe est on ne peut plus normale, même lorsqu’elle se transforme en épidémie. Le coronavirus est en revanche sur toutes les lèvres, grâce à sa présence massive dans les médias qui le mettent parfaitement en scène. Aujourd’hui, vous avez beau souffrir parce que vous avez contracté une vulgaire grippe, vous n’échapperez pas pour autant aux propos stupides. Au lieu de vous souhaiter un bon rétablissement, on vous dira: «Tu viens juste de rentrer de Chine?» Celui qui a le dommage n’a vraiment pas à se soucier de la moquerie. Ni le patient accablé qui souffre de la grippe en Suisse, ni les Chinois qui sont victimes de raillerie et de mauvaises plaisanteries dans les médias sociaux. Même le magazine pour enfants Spick n’hésite pas à publier des blagues sur le coronavirus, comme celle-ci: «Pourquoi la durée de vie du coronavirus devrait-elle être limitée?» Parce qu’il est <made in China>!». Et j’ai même déjà entendu des gens s’exprimant à mots couverts affirmer que ce n’était qu’une question de temps pour qu’une telle chose se produise quand on pense à la manière dont les Chinois vivent (entre eux au plan de l’hygiène).

Il y a en a pour tout le monde 

Le coronavirus est en fait une aubaine pour la majorité des personnes non concernées. Pour la société par exemple, parce qu’il y a enfin un sujet de conversation passionnant. Cela permet aux gens de se rapprocher. Chacun peut y aller de son pronostic quant à savoir si l’épidémie va bientôt affecter tout le monde ou si demain plus personne n’en parlera. Pour les médias, le virus est propice aux affaires, puisqu’ils profitent par nature des catastrophes qui accroissent leur tirage. Pour les politiciens, le virus est une bonne occasion de se mettre en scène comme sauveurs, protecteurs ou même observateurs professionnels et attentifs ou pour se positionner avec des idées délirantes ou une expertise particulièrement fondée, de préférence dans les médias. Il y en a donc pour tout le monde, pour peu que la distance par rapport à la catastrophe soit suffisante. Il en va autrement des «quelques» personnes concernées. Lorsque les personnes de type asiatique sont subitement mises à l’écart, on peut se poser des questions. Le monde ne recule devant aucune généralisation. Peu importe que vous soyez Thaï ou Vietnamien, la formule est simple: Extrême-Orient = Chine = vecteur potentiel. Le coronavirus ménage en quelque sorte une ouverture au racisme. Les politiciens chinois n’apprécient pas non plus cette crise. Contrairement à leurs collègues actifs mais non concernés ailleurs dans le monde, ils ne marquent guère de points dans les médias. Quel politicien aimerait mettre des millions de ses concitoyens en quasi-quarantaine et s’en vanter dans la presse?

Du poison aussi pour l’économie?

Les marchés observent pour l’instant les événements liés au coronavirus avec du recul, même s’ils affichent parfois de la nervosité et que les bourses chinoises y ont bien sûr laissé des plumes. Les acteurs de la bourse se soucient peu des ragots et s’appuient sur des faits, tout comme les médecins. Concrètement et faute d’autres informations, il s’agit du nombre de cas, qui en dit le plus sur la violence, l’étendue et le rythme de progression du coronavirus. Sur les 20'677 personnes dans le monde dont on savait avant-hier qu’elles étaient infectées, 20'483 se trouvent en Chine. Douze cas sont connus en Allemagne.

En Suisse, il y a certes eu pour l’instant 50 cas suspects à ce jour, mais aucun n’a encore été confirmé. Et pourtant, chaque station de radio en Suisse ne cesse quotidiennement de nous seriner avec des titres tels que: «devons-nous avoir peur?» ou «quel est ledanger pour la Suisse?». J’ai une  réponse  pour vous: nous n’en savons rien et nous ne devrions donc pas nous exprimer à ce sujet. Nous parlons pour l’instant d’une épidémie régionale ou même nationale, mais non d’une pandémie. Un avis également partagé hier par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Jusqu’à mardi, 425 décès avaient été enregistrés. Cela signifie donc qu’environ un cas sur 50 a eu une issue fatale selon les observations actuelles. Tant que cette proportion ne changera pas de trop, les conséquences économiques devraient être gérables.

La situation deviendra en revanche critique si le nombre de cas augmente fortement et que le taux de mortalité progresse sensiblement. Il est par exemple inquiétant de voir que le taux de mortalité (4,9%) dans la province de Hubei qui est la plus touchée est deux fois plus élevéque le taux global de mortalité. Mais ces données montrent surtout une chose. Il faut continuer à observer, à mesurer et si possible à protéger. Il serait  bien  sûr important de pouvoir faire confiance aux Chinois, car ils sont les seuls à pouvoir donner des chiffres. Malheureusement, des critiques se font jour selon lesquelles le gouvernement chinois aurait en fait voulu cacher la propagation du coronavirus, ce qui ne représente évidemment pas une base de confiance formidable pour l’analyse des faits. La panique de l’autre côté du globe est toutefois aussi inappropriée que l’activisme exagéré. Car nous en savons encore trop peu et n’avons surtout aucune idée  des conséquences éventuelles sur l’économie réelle. La bourse a analysé la situation et ne cède pas à la panique pourl’instant. Le battage médiatique va néanmoins se  poursuivre. Le sujet est en effet encore un blockbuster.

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