Un parfum d’esprit animaux

Vincent Manuel, Indosuez Wealth Management

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Notre tendance naturelle est de passer du pessimisme à l’optimisme en se focalisant sur les bonnes nouvelles, même quand le présent reste complexe.

Comment faut-il interpréter l’optimisme actuel des marchés actions et jusqu’où cela peut-il progresser sans heurt? A défaut de parler de bulle, on peut parler d’optimisme voire d’euphorie sur les marchés. Quelques signes ne trompent pas: une volatilité basse, des flux d’achats records, des ratios de valorisations stellaires et des cours de bourse après lesquels les analystes semblent courir chaque jour. Les observateurs rivalisent d’explications face à cette réalité.

Une première thèse avancée: un nouvel équilibre de prix. En résumé, les marchés actions auraient trouvé un nouveau régime de valorisation, justifié par un alignement de facteurs positifs: une reprise économique mondiale, des résultats en forte hausse, des transformations séculaires conduisant à de nouvelles sources de croissance et gains de productivité. Or, nous connaissons les limites de ce refrain: à chaque fois qu’on construit une théorie pour justifier des valorisations records («cette fois c’est différent» comme dirait K. Rogoff), on est rattrapé par la réalité, miroir de notre excès d’optimisme.

Les moyens mis en œuvre pour sortir d’une crise
sont souvent à l’origine de la crise suivante.
Une autre théorie: une bulle rationnelle.

Rationnelle car les investisseurs répondent positivement au signal envoyé par les autorités fiscales (devenus les réassureurs du cycle) et les autorités monétaires (devenus les market makers des actifs financiers). La limite de ce raisonnement, c’est que cet équilibre n’est généralement que temporaire; parce que l’excès d’endettement finit par se traduire soit par plus d’impôts, soit par plus d’inflation, soit par moins de croissance, ce qui revient dans tous les cas à réduire les rendements réels nets de long terme. Une leçon de l’histoire de politique économique, c’est que les moyens mis en œuvre pour sortir d’une crise sont souvent à l’origine de la crise suivante.

Un excès de levier

Une troisième explication, dans le prolongement de la seconde: un excès de levier, subventionné par les politiques économiques et qui induit de fortes distorsions sur le prix des actifs financiers. Si les investisseurs profitent de l’aubaine des taux courts à zéro et des chèques du gouvernement américain pour acheter des actifs financiers, on peut comprendre que les marchés dépassent nos attentes. L’engouement des ménages américains pour la bourse semble valider en partie cette hypothèse.

Les investisseurs seraient simplement
en train d’extrapoler la croissance très forte de 2021.
Une myopie printanière assez classique

Une dernière interprétation: une myopie printanière assez classique. Les investisseurs seraient simplement en train d’extrapoler la croissance très forte de 2021 qui est en partie due à un effet de base important après une contraction des profits en 2020. Une sorte d’illusion mathématique et de court-termisme qui n’intègre pas le tassement probable de la croissance après 2022. Et qui prend parfois fin quand les bonnes nouvelles sont intégrées et que le ratio de surprises positives se tasse.

Ce qui nous ramène au parfum d’esprit animaux de Keynes. Après une année 2020 traumatisante sur le plan sanitaire, humain et économique, notre tendance naturelle est de passer du pessimisme à l’optimisme en se focalisant sur les bonnes nouvelles, par besoin viscéral de positiver et de se projeter, même quand le présent reste complexe et l’avenir porteur d’incertitudes. Et notre réflexe – naturel ou conditionné par l’information surabondante- est de réagir à l’actualité. Un premier pas vers une forme de rationalité serait d’en avoir conscience, pour en tirer parti sans excès, en étant prêt à réagir avant que les bears se réveillent…

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