Taux technique: le signal de la Chambre des experts

Emmanuel Garessus

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Les caisses de pension réagiront différemment à la forte hausse de la borne supérieure du taux technique décidée vendredi.

La borne supérieure recommandée vendredi par la Chambre suisse des experts en caisse de pension (CSPE) est nettement supérieure au précédent. Toute la question porte sur la réponse des instituts de prévoyance. Reproduiront-elles l’ensemble de la hausse? Attendront-elles pour voir? Allnews a interrogé divers spécialistes.

Reprenons d’abord l’information de vendredi. La borne supérieure au 30 septembre 2022 pour la recommandation du taux technique, selon la directive technique 4 (DTA 4), passe de 1,87% à 2,68% pour les caisses qui utilisent des tables de mortalité périodiques et de 2,17% à 2,98% pour celles qui emploient les tables de mortalité générationnelles, selon le communiqué de vendredi. La hausse s’élève donc à 81 points de base. La nouvelle borne supérieure vaut à partir du 1er octobre.

Ces nouveaux taux correspondent aux attentes formulées par les consultants contactés par Allnews ces derniers jours. Selon la Directive technique 4, «le taux d’intérêt technique doit en règle générale se situer avec une marge appropriée en dessous du rendement net attendu que l’institution de prévoyance peut escompter sur la base de la stratégie de placement».

Le taux indiqué est le résultat du calcul du taux d’intérêt au comptant moyen des obligations de la Confédération à 10 ans en francs des 12 derniers mois, majoré d’un supplément de 2,5% et diminué d’une déduction pour l’augmentation de la longévité (au moins 0,3 point de pourcentage).

L'ancien taux d’intérêt moyen s’élevait à -0,328% alors que pour la nouvelle borne il atteint 0,483%. La hausse de 81 points de base résulte donc de la hausse des rendements obligataires.

Hésitations à suivre les taux du marché

Les caisses de pension obtiennent ainsi un signal clair. Mais elles ne sont pas censées adapter leur taux technique d’une ampleur identique. Cela dépend d’abord de leur profil de risque et de la structure démographique de leurs assurés.

«Depuis une décennie, les caisses de pension s’interrogent sur leur vitesse d’ajustement de leur taux technique au taux économique reflété par le rendement des obligations de la Confédération et tardent à s’y adapter», observe Pascal Frei, associé auprès de PPCmetrics, à Nyon. Avec la décision de vendredi, nous assistons à un deuxième ajustement à la hausse, cette fois d’une assez grande ampleur. «Mais de nombreuses institutions vont hésiter à relever leur taux technique et probablement ne feront le pas que partiellement ou attendront un an avant de passer à l’acte»,  juge le consultant.

Le taux technique influence directement le degré de couverture des caisses de pensions. Une hausse du taux technique a ainsi pour effet d’augmenter le taux de couverture. «Mais une caisse de pension n’a nulle envie de laisser croire qu’elle augmente son taux technique pour améliorer son taux de couverture après une performance financière aussi négative qu’en 2022. La baisse des bourses peut ainsi constituer un frein à une réponse immédiate à l’évolution du taux recommandé par la Chambre des experts», analyse Pascal Frei. Une minorité de caisses, à son avis, devrait s’ajuster aux nouvelles donnes économiques. La politique de communication sera mise à rude épreuve, si bien que la décision sera vraiment compliquée, ajoute-t-il. En effet, certaines institutions ont versé une 13e rente après l’excellent cru boursier 2021. Comment pourraient-elles verser un supplément de rente en réponse à l’inflation si, en parallèle, la performance boursière est cause.

Prendre garde à la volatilité

«Le taux technique impacte surtout la vue comptable de l’institution de prévoyance», affirme James Mazeau, économiste au CIO d’UBS Wealth Management.

Les taux d’intérêt des obligations à dix ans en franc sont en effet très volatils depuis quelques mois. «Il serait dès lors prématuré de relever immédiatement le taux de conversion sur la seule base de l’augmentation des rendements obligataires depuis le début de l’année», ajoute-t-il.

Certaines caisses de pension préfèrent maintenir un taux technique relativement bas (moins de 1% par exemple) et un taux de conversion modeste (en-dessous de 5%), mais elles se réservent la possibilité de reverser les excédents de performance à leurs assurés (rentiers compris) en fonction de la performance annuelle. Elles disposent ainsi, selon James Mazeau, d’une grande stabilité couplée à une bonne marge de manœuvre.

«Pour une caisse de pension, les attentes de rendements à long terme sont difficiles à estimer et il faut faire attention aux promesses qu’on ne peut pas tenir», conclut-il. Par ailleurs, il importe de distinguer entre les perspectives des taux d’intérêt à court terme et les rendements obligataires à dix ans. Les premiers peuvent continuer de grimper, en lien avec la politique plus restrictive de la BNS, alors que les seconds peuvent s’arrêter plus rapidement de progresser si les attentes d’inflation et de croissance économique à long terme sont revues à la baisse.

Le taux technique joue un rôle considérable notamment sur la détermination du taux de conversion (taux auquel l’avoir de vieillesse est transformé en rente annuelle). Le taux d'intérêt technique a essentiellement deux fonctions, selon une étude du consultant PPCmetrics: «En tant que taux d'évaluation, il représente le taux d'escompte avec lequel les capitaux de prévoyance des rentiers et les provisions techniques sont évalués et, en tant que taux de financement, il détermine le rendement nécessaire pour financer les prestations futures d'une institution de prévoyance».

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