Sommes-nous sur le point d'assister à une crise généralisée des émergents?

Carlos de Sousa, Vontobel

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Pour comprendre l'état actuel des marchés émergents, il est important de regarder le rétroviseur.

Après la décennie de forte inflation mondiale et de taux d'intérêt élevés dans les années 1970, plusieurs pays d'Amérique latine ont souffert d'hyperinflation dans les années 1980 et ont fini par devoir restructurer leur dette extérieure. Plusieurs pays exportateurs de pétrole ont également été contraints de rompre l'ancrage de leur monnaie en raison de la faiblesse des prix du pétrole dans les années 1980 et ont fini aussi par restructurer leur dette extérieure.

Aujourd'hui, l'inflation est élevée et les banques centrales du monde entier relèvent leurs taux de manière agressive, comme dans les années 1970. Si l'histoire ne se répète pas, elle offre quelques similitudes. L'inflation élevée que nous connaissons actuellement ressemble à celle des années 1970, et les obligations d’une grande partie des marchés émergents se négocient actuellement avec des écarts supérieurs à 1000 points de base au-dessus de ceux de la courbe du Trésor américain, c'est-à-dire à plus de 14% de rendement sur leurs obligations libellées en dollars. Cela signifie que ces pays n'ont actuellement plus accès aux marchés de capitaux mondiaux.

Les petits pays émergents agissent de manière opportuniste

Plusieurs analystes ont conclu que si un pays n'a pas accès au marché, le manque de liquidités finira par le contraindre à restructurer ses dettes. Toutefois, cette conclusion apparemment logique suppose que les pays en développement doivent constamment reconduire les échéances de leur dette comme le font les pays développés et les grands marchés émergents. Or, la plupart des pays en développement émettent généralement des euro-obligations (dette extérieure) de manière plutôt opportuniste et peu fréquente. Ils peuvent donc se permettre de rester à l'écart des marchés financiers mondiaux jusqu'à ce que les conditions financières s'améliorent.

La plupart des marchés émergents ont des taux de change flottants qui s'adaptent aux conditions extérieures changeantes.

En outre, les émetteurs souverains ont tendance à avoir plusieurs prêteurs de dernier recours sur lesquels ils peuvent compter lorsque l'accès au marché n’existe plus. Ce n’est pas le cas pour les sociétés émettrices. Dans le cas des marchés émergents, le Fond Monétaire International (FMI) et d'autres institutions multilatérales comme la Banque Mondiale et les banques régionales de développement agissent en tant que prêteurs de dernier ressort. De plus, plusieurs nations bénéficient des faveurs de partenaires bilatéraux qui peuvent également agir comme ce type de prêteurs. C’est le cas de l'Égypte avec les pays du Golfe riches en pétrodollars.

Les systèmes financiers propres couvrent le déficit

Les grands pays à revenu moyen ont également développé des systèmes financiers nationaux solides sur lesquels ils s'appuient pour couvrir l'essentiel de leurs déficits budgétaires. Ce n'était pas le cas à la fin des années 1990, lorsque le marché de la dette interne était gravement sous-développé. Dans la plupart des pays, une part importante du système financier national est constituée de ce que l'on appelle les investisseurs captifs : il s'agit généralement de fonds de pension et de banques lourdement réglementées qui n'ont d'autre choix que de continuer à refinancer la dette publique nationale, parfois à des taux d'intérêt peu attrayants pour les investisseurs étrangers.

Tirer les leçons du passé

La plupart des marchés émergents ont des taux de change flottants qui s'adaptent aux conditions extérieures changeantes. Ce n'était pas le cas dans les années 1990, lorsque la plupart des marchés émergents avaient leur monnaie fixée sur dollar américain. Lorsque la facture d'importation d'un pays gonfle soudainement – en raison de la hausse rapide des prix des hydrocarbures, par exemple – sa monnaie a tendance à se déprécier. Cela réduit le pouvoir d'achat de ses citoyens pour les biens importés et rend ses exportations plus compétitives par rapport au reste du monde. Cela semble bon du point de vue de la comptabilité externe mais c’est oublier qu’une moindre consommation de biens importés peut impliquer une récession, en particulier pour les économies très ouvertes.

Crise de grande ampleur peu probable

L'environnement macroéconomique actuel étant très difficile, il est probable que nous assisterons à des restructurations supplémentaires de la dette des pays au cours des deux ou trois prochaines années, car tous les pays ne disposent pas de fondamentaux solides. Cependant, l'existence de plusieurs prêteurs de dernier recours dans certains cas, et le fait que la plupart des pays en développement sont des émetteurs plutôt rares d'euro-obligations, permet à certains pays de rester à l’écart des marchés pendant un certain temps sans nécessiter une restructuration de leur dette. En outre, le fait que la plupart des pays à revenu moyen aient des taux de change flexibles et aient développé des systèmes financiers nationaux étendus contraste fortement avec la manière dont les marchés émergents fonctionnaient à la fin des années 1990. Cela signifie qu'une crise généralisée des marchés émergents déclenchée par des crises de la balance des paiements comme celles auxquelles ont été confrontés les pays asiatiques à la fin des années 1990 semble également peu probable.

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