Elections brésiliennes: les marchés restent agnostiques sur le possible vainqueur

Thierry Larose, Vontobel Asset Management

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Les sondages annoncent un net avantage pour l'ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, tant au premier qu'au second tour.

Le premier tour des élections présidentielles brésiliennes aura lieu dimanche 2 octobre. Les sondages annoncent un net avantage pour l'ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, tant au premier qu'au second tour. Si la tendance est clairement à la victoire de Lula, l'écart entre les deux leaders ne cesse de se resserrer depuis le début de l'année. Reste à savoir si la récente amélioration de l'activité économique au Brésil et le ralentissement des pressions inflationnistes peuvent favoriser les chances de Bolsonaro et renverser les prévisions des sondages.

L'écart idéologique entre Lula et Bolsonaro est énorme et se reflète également dans leurs programmes politiques; le premier adhère au socialisme international tandis que le second embrasse les valeurs morales du conservatisme nationaliste. Néanmoins, les marchés sont pour l'instant restés relativement calmes pour deux raisons:

  • Bien que les deux candidats soient des populistes pragmatiques désireux de consacrer toute marge de manœuvre budgétaire aux prestations sociales et aux subventions plutôt qu'à la formation de capital, ils sont bien conscients des lignes rouges à ne pas franchir en termes de viabilité de la dette.
  • Aucun des deux ne devrait avoir la majorité absolue au Congrès; par conséquence, le Parti des travailleurs (PT) de Lula et sa coalition de gauche devront modérer leur discours radicalement gauchiste pour gagner le soutien de certains partis de centre-gauche. Le Parti libéral (PL) de Bolsonaro est beaucoup plus petit que le PT de Lula et devra également faire beaucoup de concessions pour obtenir le soutien des partis de centre-droit. Les marchés semblent croire que les partis du centre («Centrão») seront suffisamment forts pour jouer une fois de plus les faiseurs de roi.
Le choix du ministre de l'économie est essentiel

Le choix du ministre de l'économie sera déterminant pour les marchés. Bolsonaro conservera probablement Paulo Guedes. En revanche, le choix de Lula n'est pas évident. Les marchés accueilleront cependant favorablement un modéré qui ne mènera pas de politiques fiscalement irresponsables.

Depuis que Lula a annoncé sa préférence pour un non-technocrate, des noms comme Wellington Dias, gouverneur de Piauí, ou Alexandre Padilha, ancien ministre de la santé sous l'administration de Dilma Rousseff, sont considérés comme bien placés pour ce rôle, car ils ont les compétences politiques pour négocier avec le Congrès ainsi qu’au sein du Cabinet.

Plus récemment, Henrique Meirelles, ancien chef de la Banque centrale et ministre de l'Economie, a déclaré son soutien à la campagne de Lula. Les marchés ont immédiatement célébré cette prise de position, pariant sur la possibilité qu'il rejoigne l'équipe et reprenne un rôle qu'il a déjà assumé avec succès sous la présidence de Michel Temer entre 2016 et 2018. Toutefois, il faut considérer cet optimisme avec prudence, car il est peu probable que Lula dévoile son choix avant l'élection.

Défis pour l'économie brésilienne dans les années à venir

Le budget brésilien est très rigide, du fait du grand nombre de dépenses prescrites par la Constitution, de la répartition des rentrées fiscales à des fins spécifiques et de la désignation de certaines dépenses comme "obligatoires". Cela conduit à soustraire chaque année une très grande partie du budget à tout contrôle effectif. En moyenne, on estime que plus de 90% du budget est soumis à ces rigidités, rendant presque impossible la réorientation des ressources publiques vers de grands programmes d'investissement. Par conséquence, il faut du temps et de la patience pour qu'un président puisse tenir ses promesses économiques. Il en sera ainsi jusqu'à ce que l'on trouve un moyen de briser cette rigidité d'une manière acceptable pour la population.

L'héritage économique de Lula et de Bolsonaro

Lula a profité du boom de la mondialisation au début des années 2000, en ne commettant aucune erreur majeure et en tirant le meilleur parti de l'ouverture de la Chine au commerce mondial et de son entrée dans l'Organisation mondiale du commerce en 2001. La crise financière mondiale de 2008 a même laissé le pays relativement indemne, comparé à de nombreuses économies développées.

Sous son mandat, le pays a connu une phase de prospérité qui contraste avec les périodes plus difficiles de la présidence de Bolsonaro qui ne laissera pas d'héritage économique particulier, pour avoir confié toutes les questions économiques à son ministre de l'économie, Paulo Guedes, dès le premier jour de son mandat. Paulo Guedes laissera le souvenir d’un «Chicago boy» qui s'est efforcé de réduire la place de l'Etat dans l'économie, de diminuer les impôts et les dépenses publiques et de privatiser autant d'entreprises publiques que possible. La réforme des retraites de 2019 a été la plus importante de ses réformes. Une réalisation plus controversée (bien que nécessaire) a été la restructuration massive des paiements de la dette du gouvernement ordonnés par les tribunaux (precatórios) en 2021.

Une volatilité à court terme, mais des perspectives positives pour le début de 2023

Une certaine prudence s'impose, car la volatilité devrait augmenter jusqu'au second tour des élections fin octobre. Toutefois, l'amélioration récente des perspectives budgétaires, inflationnistes et économiques pourrait constituer un vent favorable pour les premiers mois de 2023. Les choses pourraient bien sûr changer si les économies développées subissent un ralentissement sévère, poussant les investisseurs à trouver un refuge dans le dollar américain. Au niveau brésilien, le cycle actuel de désinflation reste à surveiller de près, si les recettes fiscales continuent de se traduire par un désendettement du secteur public, et si les investisseurs étrangers reviennent en masse pour acheter des actifs brésiliens une fois que le sentiment du marché mondial s'améliore.

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