Au cours des dernières décennies, le paysage mondial de la recherche technologique a connu une transformation sans précédent. Alors que les Etats-Unis dominaient autrefois ce domaine stratégique, la Chine a progressivement pris la tête, devenant aujourd'hui le leader mondial dans de nombreuses technologies dites essentielles. Un rapport récent de l'Australian Strategic Policy Institute (ASPI) met en lumière ce changement important, montrant que la Chine est désormais en tête dans environ 90% des technologies clés, dépassant de manière significative les Etats-Unis. Ce renversement des positions entre les deux géants mondiaux a des implications importantes pour l'avenir de l'innovation, de la sécurité et de l'économie mondiale.
Un changement de leadership mondial
Pendant des décennies, les Etats-Unis étaient le leader incontesté de la recherche technologique, occupant une position dominante dans presque tous les domaines stratégiques. Cependant, depuis le début du XXIe siècle, la Chine a entrepris un décollage fulgurant, inversant les positions respectives des deux pays. Le rapport de l'ASPI, basé sur une mise à jour du «Critical Technology Tracker», révèle que la Chine, qui ne dominait que 5% des technologies entre 2003 et 2007, est désormais en tête dans 57 des 64 technologies critiques suivies au cours des cinq dernières années. En revanche, les États-Unis, qui dominaient 94% de ces technologies au début des années 2000, ne sont aujourd'hui en tête que dans 11% des cas, représentant 7 domaines sur les 64.
Le tracker de l'ASPI évalue la compétitivité des pays en se basant sur la fréquence des citations dans les publications scientifiques les plus influentes de chaque catégorie technologique. Ce classement reflète non seulement le volume de recherche produit, mais aussi sa qualité et son impact mondial. La performance de la Chine dans ce domaine a été spectaculaire, lui permettant de prendre la tête dans des domaines aussi divers que les capteurs quantiques, l'informatique haute performance, les capteurs gravitationnels, les lancements spatiaux et la conception avancée de circuits intégrés et la fabrication de semi-conducteurs.
Les facteurs derrière la suprématie de la Chine
Cette montée en puissance technologique de la Chine peut être attribuée à une combinaison de facteurs interconnectés. Tout d'abord, la Chine a massivement investi dans ses infrastructures de recherche, créant des institutions de pointe comme l'Académie chinoise des sciences, qui est désormais l'organisation la plus performante dans 31 des 64 technologies critiques suivies par l'ASPI. Cette institution incarne la stratégie de la Chine consistant à combiner un volume de recherche élevé avec une excellence scientifique pour dominer les domaines clés.
De plus, la Chine a exploité son énorme base industrielle pour accélérer la transition de la recherche à la production. Alors que d'autres pays, comme les Etats-Unis, excellent encore dans la commercialisation des technologies, la Chine rattrape rapidement son retard en réalisant des investissements colossaux dans la fabrication et l'industrialisation. Les auteurs du rapport de l'ASPI notent que la solide performance de la recherche chinoise ne se traduit pas nécessairement par une domination immédiate en production, mais plutôt par un effort délibéré pour combler les écarts existants.
Cependant, cette domination croissante de la Chine dans les technologies critiques a suscité des préoccupations, notamment en ce qui concerne la concentration des capacités de recherche dans un seul pays, augmentant ainsi le risque de monopole. L'ASPI met en garde contre le risque de monopole chinois dans 10 nouvelles technologies, en particulier celles à applications militaires, telles que les moteurs d'avions avancés, les drones, les robots collaboratifs et les systèmes de positionnement et de navigation par satellite. Le nombre de technologies considérées comme présentant un risque élevé de monopolisation est passé de 14 l'année dernière à 24 cette année, soulignant la tendance à l'accélération.
Implications mondiales
L'ascension de la Chine dans le domaine technologique a des implications profondes sur la scène internationale. Alors que les Etats-Unis, à travers des entreprises technologiques comme Google, IBM, Microsoft et Meta, occupent encore une position dominante dans certaines technologies comme l'intelligence artificielle et l'informatique quantique, d'autres institutions américaines ont vu leur influence diminuer face à la concurrence chinoise. Par exemple, des organisations emblématiques comme la NASA ou le US Air Force Research Laboratory ont reculé dans les classements, toutes les 10 premières institutions performantes étant désormais en Chine.
En réponse à ce changement, certains observateurs estiment que les Etats-Unis pourraient être tentés de concentrer leurs recherches dans des espaces plus confidentiels ou classifiés pour protéger leurs avancées. Cependant, les auteurs du rapport avertissent que cette stratégie, bien qu’efficace à court terme, pourrait ne pas suffire à contrer les progrès de la Chine. En effet, la Chine continue d'accélérer ses investissements dans les secteurs stratégiques, subventionnant les industries clés et réalisant des percées technologiques, ce qui signifie que cette stratégie pourrait ne pas être efficace pour ralentir l'élan de la Chine.
La réplique internationale
En réponse à la montée en puissance rapide de la Chine dans le domaine technologique, plusieurs pays ont pris des mesures significatives pour protéger leurs industries nationales et ralentir la croissance industrielle chinoise. Notamment, les Etats-Unis et le Canada ont imposé des tarifs douaniers de 100% sur les véhicules électriques (VE) importés de Chine. Cette mesure agressive vise à protéger les constructeurs automobiles locaux contre l'afflux de VE chinois à prix compétitif, renforcés par des subventions gouvernementales substantielles et des avancées dans la technologie des batteries. Ces tarifs visent non seulement à protéger le marché local, mais aussi à réduire la dépendance à l'égard de la technologie chinoise, de plus en plus intégrée dans les chaînes d'approvisionnement mondiales.
De plus, le Japon s'est retrouvé sous pression internationale pour reconsidérer son rôle dans le soutien à l'infrastructure technologique de la Chine, notamment dans l'industrie des semi-conducteurs. Le Japon, qui est un acteur clé dans la chaîne d'approvisionnement mondiale des semi-conducteurs, a été exhorté à limiter ses exportations et la maintenance de l'équipement de fabrication de semi-conducteurs vers la Chine. Cet équipement est crucial pour la production des puces avancées qui alimentent tout, des smartphones au matériel militaire. En réponse, Pékin a émis des avertissements de représailles économiques, soulignant la fragilité des relations commerciales internationales face à la rivalité technologique croissante. Ces développements soulignent une tendance plus large des pays à mettre en place des mesures de protection et des restrictions commerciales dans le but de contrebalancer l'influence croissante de la Chine dans les secteurs technologiques critiques, intensifiant encore les tensions économiques mondiales.
Conclusion
Le rapport de l'ASPI sur la domination de la Chine dans la recherche technologique critique est un appel à l'action pour les gouvernements du monde entier. Il souligne la nécessité de repenser les stratégies de recherche et de développement à long terme pour rester compétitif face à la Chine et d'autres pays en plein essor comme l'Inde. Alors que certains pays continuent de se concentrer sur la commercialisation, la montée en puissance de la Chine dans ce domaine est non seulement un défi économique, mais aussi stratégique, avec des implications potentielles pour la sécurité mondiale. Dans ce contexte, les nations devront redoubler d'efforts pour développer leurs propres capacités de recherche et établir des partenariats stratégiques afin de contrer l'influence croissante de la Chine dans les technologies critiques de demain.
Source: Article de Tom Williams (https://ia.acs.org.au/)