Qui dit afflux de liquidités, dit plombier

Christopher Smart, Barings

3 minutes de lecture

Les craintes inflationnistes paraissent exagérées, mais attention aux risques cachés dans les bilans.

©Keystone

Alors que les marchés montent en puissance grâce aux aides publiques et à un accès élargi aux vaccins, seul le spectre de l’inflation semble en mesure de faire vaciller l’enthousiasme ambiant. Mais plutôt que de s’inquiéter d’une flambée durable des prix dans un monde à la capacité excédentaire, les investisseurs devraient s’intéresser d’un peu plus près à leurs portefeuilles pour s’éviter de très mauvaises surprises. L’heure est également venue pour les régulateurs de réévaluer tout risque «macro-prudentiel» susceptible de venir gripper le système. 

La prochaine crise pourrait ne pas frapper avant de nombreuses années, mais on en trouve déjà les germes dans des bilans qui semblent sains et sans relation apparente les uns avec les autres. C’est là le propre de l’effet de levier, qui relie des investisseurs censément indépendants les uns des autres, et ce d’autant plus lorsque les paris sont peu visibles ou mal compris. En 2008, des prêts facilement accordés à des propriétaires dans l’Arizona malgré leur incapacité de remboursement ont abouti deux ans plus tard à l’effondrement de la Grèce – en passant par une ingénierie financière américaine complexe, un afflux d’épargne en Allemagne et quelques banques françaises insuffisamment capitalisées. 

Avec autant de liquidités circulant dans le système,
le moment est venu de vérifier tous les tuyaux et de resserrer les joints.

Il est impossible de savoir ce qui déclenchera la prochaine cascade de défauts de paiements, mais on peut être certain qu’elle impliquera des pratiques de prêt opaques, des bilans déséquilibrés et des risques mal évalués. Avec autant de liquidités circulant dans le système, le moment est venu de vérifier tous les tuyaux et de resserrer les joints.

Credit Suisse: un cas unique?

Jusqu’à présent, les récents déboires du Credit Suisse semblent avoir été contenus. Des erreurs ont été commises, des têtes sont tombées et le cours de son action s’est effondré. Mais le Credit Suisse est-il vraiment la seule banque qui finance des paris aussi importants et concentrés pour des fonds spéculatifs? Elle n’est certainement pas la seule à avoir subi des pertes en accordant des prêts dans le cadre de ce qui ne devait être qu’une simple activité d’intermédiation et qui s’est en fin de compte avérée beaucoup plus risquée. 

Fort heureusement, la banque – de même que ses concurrents - dispose d’importantes réserves de capital, rendues obligatoires après la dernière crise de manière à pouvoir absorber des pertes importantes sans déclencher des répercussions systémiques. De même, l’interdépendance entre les différents établissements qui, en 2008, découlait de leurs expositions à un ensemble de dérivés, est devenue beaucoup plus transparente grâce aux chambres de compensation qui veillent à ce que les risques restent contenus. Cependant, les récents événements devraient inciter les investisseurs à s’interroger. 

Le facteur chinois

Toute une série de nouveaux risques pourraient apparaître dans les différents pays, du Sri Lanka à la Zambie, qui ont bénéficié des prêts massifs proposés par la Chine autour de son projet de Nouvelle Route de la Soie. Pékin insiste sur le fait que ce financement est destiné à soutenir des économies en difficulté et qui ont désespérément besoin d’infrastructures pour se développer, mais des regards plus critiques le voient avant tout comme un moyen d’étendre son influence. 

Il est certain que les fermetures d’établissements liées à la pandémie ont généré
des résultats surprenants au niveau des comptes dans les entreprises du monde entier.

Considérations géopolitiques mises à part, ce sont l’absence de coordination et l’opacité qui entourent l’attribution de ces prêts qui constituent un véritable risque pour la stabilité financière mondiale. Une étude inédite, publiée récemment par un consortium d’universitaires, étudie 100 accords de prêts signés dans le cadre de la Nouvelle Route de la Soie. Les documents, laborieusement collectés dans les registres officiels et les bases de données parlementaires des emprunteurs, mettent en lumière deux grandes tendances préoccupantes: l’insistance de la Chine sur le maintien d’un certain secret autour de ces prêts, et l’octroi de conditions préférentielles particulières, indépendantes de mécanismes de restructuration des dettes tels que ceux proposés par exemple dans le cadre du Club de Paris. Au mieux, cela complique l’octroi de prêts supplémentaires à ces pays dans le besoin. Au pire, cela ouvre la voie à une contagion et à des faillites en cascade.

Des marchés sous tension

De manière plus générale, il est certain que les fermetures d’établissements liées à la pandémie ont généré des résultats surprenants au niveau des comptes dans les entreprises du monde entier. Le dernier rapport du FMI concernant la stabilité financière conclut que: «le soutien sans précédent des pouvoirs publics pourrait avoir des conséquences imprévues: la prise de risques excessifs sur les marchés alimente une surévaluation des actifs et la hausse des facteurs de vulnérabilité pourrait, en l’absence de remèdes, laisser derrière elle des problèmes structurels».

Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire s’efforce de mettre en œuvre
ses dernières normes, Bâle III (et IV!), mais le travail n’est jamais véritablement terminé…

Soyons clairs: rien de ce qui précède ne signifie que les marchés se trouvent au bord de l’effondrement. Les analystes les plus attentifs trouveront toujours de belles opportunités dans les entreprises qui ont établi des modèles résilients. Mais même si les économistes du FMI ont revu leurs prévisions à la hausse, ils soulignent le fait que, malgré la reprise, les résultats seront fortement différenciés selon les pays et les secteurs et les poches de risque élevé ne disparaîtront pas.

C’est là qu’une vigilance renouvelée de la part des banques centrales et des régulateurs de marché sera particulièrement importante pour assurer une surveillance macro-prudentielle à même de minimiser les dommages systémiques causés par des mauvais choix qui restent, pour l’heure, inévitables. Les capitaux destinés à absorber les pertes sont-ils suffisants? Les marges prises sur les collatéraux sont-elles réalistes? Serait-il possible d’obtenir une meilleure visibilité au niveau de cet ensemble interconnecté de banques, maisons de courtages, investisseurs et autres acteurs du marché? Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire s’efforce de mettre en œuvre ses dernières normes, Bâle III (et IV!), mais le travail n’est jamais véritablement terminé…

Les marchés financiers peuvent parfois impressionner par leur efficacité à déployer les capitaux nécessaires à la création d’emplois et de richesse. Mais ils peuvent aussi ressembler à une étrange machine, comme celles de Rube Goldberg qui réalisent une tâche simple d’une manière délibérément complexe au travers d’une réaction en chaîne. Tant qu’on ne voit pas et qu’on ne comprend pas toutes les interconnexions existantes, on est incapable de s’imaginer à quel point les choses peuvent mal tourner. 

A lire aussi...