Le climat: un enjeu réel

Christopher Smart, Barings

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Les régulateurs tirent la sonnette d’alarme et appellent à prendre en compte le risque climat à long terme.

Il faut bien reconnaître que dans un monde de la finance, où le profit prime, certains adoptent les critères ESG pour éviter l’enfer alors que d’autres, qui ne croient pourtant pas vraiment au paradis, y souscrivent également parce qu’ils sont devenus de «bon ton». Mais au-delà du débat sur la meilleure manière de faire correspondre valeurs sociétales et stratégies d’investissement, l’investisseur avisé verra poindre une aubaine, celle des actifs qui ne sont pas valorisés à leur juste prix.Parallèlement, alors que tout un chacun se préoccupe en premier lieu des questions de confinement et de vaccination ainsi que du court terme, les régulateurs intensifient les appels au marché pour qu’il examine sérieusement les impacts du changement climatique.

Mission climat pour les régulateurs

Début mars, la Banque d'Angleterre a ajouté à ses missions traditionnelles de maintien de la stabilité des prix et de promotion de la croissance, celle de la lutte contre la crise climatique. Un mois plus tôt, la Banque du Japon annonçait qu’elle allait commencer à intégrer les considérations climatiques dans ses analyses. En décembre 2020, la banque centrale américaine a rejoint le réseau pour le «verdissement» du système financier (Network for Greening the Financial System – NGFS), réseau qui regroupe des régulateurs du monde entier et qui a pour objectif l’amélioration de la gestion du risque climatique. Comme l’a déclaré en substance la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde: «il ne s’agit pas de dévier de nos missions, il s’agit simplement d’admettre la réalité».

Les opportunités qui découlent de la crise
climatique deviennent de plus en plus visibles.

Cette «réalité», c’est que le changement climatique a enclenché une formidable évolution des risques et des prix. Les preuves scientifiques sont là et démontrent que la canicule en Suède, les inondations au Bangladesh et les ouragans dans les Caraïbes sont liés à l’activité humaine. Selon certaines estimations, les catastrophes naturelles auraient causé en Europe des dégâts s’élevant à plus de 210 milliards d’euros pour la seule année 2020. C’est également une catastrophe environnementale qui est à l’origine de la faillite d’une entreprise d’électricité californienne. Et il est facile d’imaginer la crise que pourrait traverser une banque trop exposée à de l’immobilier situé en bordure des côtes ou celle que subirait une société d’assurances submergée par les demandes d’indemnisation résultant des dégâts causés par une tempête.

De nouvelles opportunités

Mais au-delà de ces risques de pertes manifestes, les banques centrales craignent que l’accélération des dommages imputables au climat n’induise des changements tant au niveau de l’évolution de la productivité qu’à celui des flux de capitaux. Le réchauffement est susceptible de peser sur la productivité des travailleurs. L’augmentation de la résilience des investissements vis-à-vis des phénomènes météorologiques extrêmes pourrait se traduire par des choix radicalement différents. Enfin, les effets de la politique monétaire pourraient devenir beaucoup plus imprévisibles du fait de la volatilité des marchés. 

Ces menaces, quoique graves, paraissent encore lointaines. En revanche, les opportunités qui découlent de la crise climatique deviennent de plus en plus visibles, notamment parce que les gouvernements s’apprêtent à investir des montants considérables pour atteindre l’objectif du «zéro émission nette» à l’horizon 2050.

Un premier aperçu du programme de l’administration Biden, qui vise à ce que le secteur de l’électricité soit exempt d’émissions dès 2035, devrait être accessible dès le mois prochain lors d’un sommet consacré au climat. Mais la situation va véritablement s’éclaircir lorsque le Congrès va se saisir de l’enveloppe dont le montant s’élève à plusieurs trillions de dollars destinés aux investissements dans les infrastructures et le climat. En Europe, le fonds de relance de l’Union européenne consacrera des centaines de milliards d’euros aux investissements verts ces prochaines années. En Chine, les projets visant à intégrer les énergies renouvelables dans le mix énergétique se préciseront lors de la mise en œuvre du 14e plan quinquennal.

Vers des scénarios réchauffement

Même si les investisseurs renâclent au motif que les changements sont trop lents et trop peu concrets pour être intégrés dans les valorisations, les régulateurs les invitent à y réfléchir et à affûter leurs crayons. Dès le mois de juin, la Banque d'Angleterre exigera des banques qu’elles entament l’élaboration de scénarios qui pourraient émerger de ces nouvelles tendances. 

La tâche première des investisseurs consiste à évaluer
les risques climatiques et à leur donner un prix.

Comme l’a affirmé en substance Andrew Bailey, le gouverneur de la Banque d’Angleterre: des investissements qui peuvent paraître sûrs par le passé sont menacés par les risques climatiques. Et, à l’inverse, des investissements autrefois considérés comme spéculatifs pourraient s’avérer très sûrs dans un contexte de transition vers une neutralité carbone. Andrew Bailey n’exige pas encore la mobilisation de capitaux supplémentaires pour faire face au risque climatique, mais il insiste pour que son impact soit pris au sérieux, car: «l’incertitude et le manque de données ne sont pas une excuse». 

La climatologie n’offrant pas de réponses définitives quant aux impacts que pourrait avoir chaque degré de réchauffement, il est difficile d’évaluer les dommages à long terme. Cependant, les politiques qui visent à améliorer le fonctionnement du marché des quotas de carbone devraient avoir un effet incitatif positif. Par ailleurs, il est presque aussi important que les entreprises fournissent des informations fiables et comparables en ce qui concerne leurs propres risques climat, et un certain nombre d’efforts vont dans ce sens. 

Le climat, une longueur d’avance

Divers indices tendent à montrer que les forces du marché gagnent du terrain pour ce qui concerne l’évaluation des risques climatiques. La BCE a annoncé à l'automne dernier qu'elle envisageait d’accepter certaines «obligations vertes» en tant que collatéral pour des opérations de refinancement. Récemment, Anheuser-Busch InBev, le géant brassicole, a annoncé la signature d’une nouvelle ligne de crédit renouvelable de 10 milliards de dollars liée au développement durable. En fait, son coût augmentera si l'entreprise n'atteint pas certains de ses objectifs de durabilité.

Même si les options à envisager pour l’avenir sont nombreuses, il n’en reste pas moins vrai que la tâche première des investisseurs consiste à évaluer les risques climatiques et à leur donner un prix. Leur perception du futur est d’ailleurs toujours relativement imprécise. Chaque calcul de cash flows actualisés repose en effet sur des hypothèses très théoriques en ce qui concerne les prix, les marges et les valeurs finales.

Bien que les hypothèses concernant les risques climatiques puissent paraître encore très provisoires aujourd’hui, la prochaine étape à franchir par les régulateurs et les banques centrales sera de les intégrer pleinement dans l’analyse des investissements. Or, comme tout investisseur averti le sait, le fait d’avoir une longueur d’avance est le meilleur garant de belles performances.

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