Quelques réflexions sur 2022

Olivier Rigot, EMC Gestion de Fortune

3 minutes de lecture

Le concept d’un retour à l’orthodoxie financière risque de devenir un lointain souvenir. Jusqu’où pourra-t-on aller dans le système actuel à la Ponzi?

©Keystone

Le cycle économique et financier dans lequel nous sommes entrés depuis le début de la pandémie en mars 2020 est particulier à bien des égards. Le déploiement de mesures monétaires inédites dans l’histoire aura sauvé au printemps 2020 les marchés financiers d’un effondrement généralisé que certains observateurs comparaient déjà à la crise de 1929. La Fed aura préservé Wall Street, mais qu’en est-il de l’économie réelle? La caractéristique de cette pandémie est qu’elle aura créé des situations de stress uniques dans certains secteurs telles que l’aviation, le tourisme, la restauration, l’hôtellerie ou l’industrie du pétrole et en aura favorisé d’autres en accélérant la digitalisation des services et le commerce en ligne au détriment des réseaux de distribution classiques, par exemple. L’année 2021 aura démontré que le retour à une certaine normalité de l’économie mondiale est difficile dans un contexte où les vagues de contamination du COVID continuent de déferler au rythme des saisons entre les hémisphères et des variants qui surgissent et se répandent à la vitesse de l’éclair. 

D’autre part, les marchés financiers ont commencé à réaliser que les déficits budgétaires et l’endettement des Etats ne pourront plus être financés par les rentrées fiscales classiques. Le concept d’un retour à l’orthodoxie financière risque de devenir un lointain souvenir. Le relais a déjà été passé aux banques centrales, depuis la crise de 2008, avec l’instauration de politiques monétaires dites non conventionnelles ou d’assouplissements quantitatifs : les Etats émettent de la dette qui est rachetée par les banques centrales et qui impriment de la monnaie en contrepartie. Jusqu’où pourra-t-on aller dans ce système à la Ponzi ? On peut trouver une partie de la réponse dans l’observation de la politique monétaire menée par la Banque Nationale Suisse (la BNS) qui pratique une politique d’interventions sur le marché des changes depuis 2011. Une politique qui devait être temporaire mais dont, aujourd’hui, personne ne voit d’issue. Il est piquant de constater qu’en menant cette politique agressive consistant à racheter des devises étrangères contre l’émission de francs suisses, la BNS soutient très activement la dette des Etats européens et surtout participe à la frénésie qui règne depuis plusieurs années sur les bourses en acquérant des actions avec de l’argent créé ex-nihilo. Il n’est pas étonnant, et nous l’avons maintes fois mentionné, que le spectre de l’inflation, éradiquée depuis des décennies, fasse son grand retour.

L’investisseur doit également garder à l’esprit que nous avons vécu quarante ans de baisses des taux d’intérêt et d’interventions de plus en plus massives de la part des banques centrales lors de crises financières à répétition. De 1982 à 2000, c’est la désinflation, c’est-à-dire une croissance sans inflation, accompagnée d’une baisse des taux d’intérêt, qui a favorisé les actifs financiers suivants : bourse, obligations et l’immobilier. De 2000 à 2020, c’est la déflation, liées à la mondialisation, à une concurrence exacerbée et à la délocalisation d’entreprises manufacturières vers des lieux à bas coûts salariaux ainsi que l’émergence de la première phase de digitalisation de l’économie par le canal d’Internet qui a permis de juguler toute inflation naissante. Nous sommes certainement arrivés à un point d’inflexion, sachant que les banques centrales ont clairement annoncé qu’elles attendraient un retour de l’inflation avant d’agir, ce qui a été le cas l’année passée et elles se trouvent actuellement en retard pour endiguer une spirale inflationniste qui prend chaque mois davantage d’ampleur. La fameuse spirale coûts/salaires, phénomène que nous n’avions plus connu depuis les années soixante-dix a été enclenchée dans un marché de l’emploi de plus en plus exsangue de talents. Nous citerons, à titre d’exemple, l’annonce récente de la firme Ikea qui va, en moyenne, augmenter les prix de sa gamme de produits de 9%.

Politique de placement

Dans le contexte précédemment décrit, nous recommandons de construire des portefeuilles qui prennent en compte une poussée de l’inflation et qui respectent les principes fondamentaux de l’investissement, à savoir préserver la valeur des patrimoines, en assurer un certain rendement et finalement rechercher une croissance à long terme sans surpayer les actifs. C’est une stratégie dite « value » dans le jargon de notre métier. Dans le domaine des actions, il s’agit de privilégier des affaires dont les multiples de valorisation sont proches du potentiel d’appréciation des bénéfices tout en assurant un retour pour l’investisseur de dividendes versés qui demeurent attrayants. Les attentes de progression des bénéfices pour nombre de sociétés dites de croissance sont, à l’orée de 2022, très optimistes. Alors que bon nombre d’entreprises ont réussi à absorber en 2021 la hausse des coûts des matières premières ou du transport, soit par un accroissement des volumes, une amélioration de la productivité ou en répercutant les hausses de prix plus loin dans la chaîne de création de valeurs, nous estimons que cela sera de plus en plus difficile à l’avenir. Les marges de profit des entreprises vont, à notre avis, être mises sous pression par la nécessité de financer des stocks plus importants et d’adapter la rémunération du personnel qualifié qui commence à manquer cruellement face, entre autres, à l’accélération du phénomène démographique de la mise à la retraite des « baby-boomers». Dans ce contexte, l’investisseur devra privilégier des entreprises intégrées qui maîtrisent leur chaîne de création de valeurs et détiennent du pouvoir sur la fixation des prix sur leur marché respectif. Dans ce cadre-là, la sélection des titres sera cruciale; nous estimons qu’une approche individuelle de l’investissement actions sera la clé du succès à l’avenir au détriment d’une approche indicielle.

Nous sommes de plus en plus attentifs que les sociétés, dans lesquelles nous investissons, respectent les règles de bonne gouvernance sur les plans environnementaux, sociaux et des conditions de travail de leurs employés mais aussi de leurs sous-traitants. A cet égard, quelques stars de la bourse en 2021 dans le domaine de la technologie nous conduisent à nous interroger sérieusement sur leur bonne gouvernance.

Il n’est pas impossible qu’au cours des prochains trimestres, ces entreprises ne réussissent pas à atteindre les objectifs que le marché leur a assignés. Nous pourrions alors assister à des déceptions qui, dans un contexte de valorisations élevées, pourraient provoquer des reculs de cours importants. Des opportunités d’achat pourraient alors se matérialiser pour l’investisseur désireux d’acquérir des entreprises de qualité à des niveaux de prix plus raisonnables. Nous suggérons de conserver en 2022 des liquidités afin d’être en mesure de saisir ce genre d’opportunités.

Nous recommandons également des obligations structurées dites «reverse-convertibles» qui offrent un bon compromis entre le risque et le rendement dans un contexte de forte volatilité, d’incertitudes et de valorisations élevées. Certains fonds immobiliers de droit suisse dans le domaine de l’immobilier résidentiel et offrant un rendement acceptable peuvent également trouver leur place dans les portefeuilles et jouer un rôle de diversification malgré des primes de valorisation qui se situent au plus haut niveau historique. Enfin, dans un contexte de politiques monétaires extrêmement expansives, l’or, en tant qu’actif réel est également à privilégier pour protéger les portefeuilles d’une expansion des masses monétaires sans commune mesure avec la croissance économique.  

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