Quelles perspectives pour l’économie britannique?

Stéphane Monier, Lombard Odier

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La croissance de l'économie britannique est à la traîne de celle de ses pairs. Son PIB devrait se contracter en 2023 sous l'effet cumulé de l'inflation, des grèves, des coûts élevés de l'énergie et des hypothèques.

  • Le gouvernement prévoit de porter la charge fiscale totale à son plus haut niveau depuis 80 ans, de réduire la dette et de diviser l'inflation par deux. Le prochain budget est prévu pour le 15 mars
  • Le taux directeur de la Banque d'Angleterre devrait culminer à 4,25%, avec une inflation moyenne de 5% en 2023
  • Nous avons récemment renforcé nos expositions aux valeurs financières, fortement représentées dans l’indice FTSE 100. La livre sterling devrait rester faible, avec un taux de change EUR/GBP autour de 0,92 sur un horizon de douze mois, et la paire GBP/USD évoluant dans une fourchette comprise entre 1,22 et 1,25.

La récession qui frappe le Royaume-Uni sera-t-elle courte et prononcée? Selon de nombreux critères qui vont de la productivité aux investissements dans les infrastructures en passant par les entreprises, la santé et le commerce, le Royaume-Uni accuse un retard par rapport à ses pairs. Alors que le gouvernement s’efforce de rétablir la confiance dans sa prudence budgétaire, l'augmentation du coût de la vie et les tensions liées à des infrastructures insuffisantes ont entraîné les grèves les plus massives depuis les années 1980.

Le Royaume-Uni est la seule économie du G7 dans laquelle le PIB est resté inférieur à son niveau d’avant la pandémie. C'est également la seule grande économie dont le Fonds monétaire international (FMI) prévoit qu'elle se contractera en 2023 et continuera probablement à sous-performer en 2024 (voir tableau). La Banque d'Angleterre (BoE) s’est fait l’écho de cette prédiction en déclarant le 2 février qu'elle s'attendait à une contraction de l'économie britannique de -0,5% en 2023. Un chiffre en amélioration comparativement à il y a trois mois. Nous anticipons une légère contraction de -0,2% de son économie en 2023, avant une modeste reprise en 2024.

D'autres économies avancées connaissent également – bien que de manière diverse – l'inflation, les pénuries de main-d'œuvre et les chocs énergétiques. Mais le Royaume-Uni a été touché par tous ces éléments, aggravés par les pressions inflationnistes intérieures, dont sa décision de quitter l'Union européenne et de couper l'accès à son marché principal pour le commerce, les services et la main-d'œuvre. Ces difficultés structurelles sont difficiles à gérer, que ce soit dans le délai imparti par la BoE pour lutter contre l'inflation par des taux d'intérêt plus élevés, ou dans le cadre de la législature actuelle, qui se terminera au plus tard en janvier 2025.

Le Royaume-Uni souffre d'une crise du coût de la vie due à la hausse du coût des prêts hypothécaires et à l’augmentation des prix des denrées alimentaires et de l'énergie. Trois mois après son entrée en fonction, le Premier ministre Rishi Sunak a promis de diviser l'inflation par deux, de développer l'économie et de réduire la dette du pays. Le chancelier Jeremy Hunt est revenu sur les réductions d'impôts de son prédécesseur et prévoit désormais de porter la charge fiscale totale à 37,1% du PIB, soit le niveau le plus élevé depuis près de 80 ans, selon le Bureau de responsabilité budgétaire. Plus de détails devraient voir le jour dans le nouveau budget prévu pour le 15 mars 2023.

La semaine dernière, la BoE a augmenté son taux directeur de 0,5% pour l’amener à 4%, portant les coûts d'emprunt à leur plus haut niveau depuis 15 ans. Selon les commentaires du gouverneur Andrew Bailey, le cycle de hausse pourrait toucher à sa fin, suggérant que la prochaine augmentation pourrait atteindre 25 points de base (pb) à mesure que décroîtra le risque d'une récession sévère. Nous nous attendons à ce que le taux directeur atteigne 4,25% et se maintienne à ce niveau pendant la majeure partie de 2023, avec une inflation moyenne de 5% sur l'année. Le recul de l’inflation est dû principalement à la chute des prix de l'énergie. Tandis que cette baisse réduit le coût du soutien financier du gouvernement aux ménages, les consommateurs continueront à payer des factures de chauffage historiquement élevées.

Grèves et pénuries

La hausse du coût de la vie a nourri l'agitation et provoqué des grèves. Ces dernières sont si courantes désormais que la BBC publie un calendrier indiquant quels secteurs feront grève et où. Les postiers, les pompiers, les enseignants, les fonctionnaires et, pour la première fois, les médecins et les infirmières, participent aux mouvements sociaux. Au Royaume-Uni, les salaires du secteur privé augmentent, mais ne suivent pas le rythme de l'inflation, tandis que le secteur public exige des augmentations supérieures à l'inflation. Les grévistes soulignent également l’absence d'investissement du gouvernement dans les infrastructures, ce qui a accru les exigences pour des services qui souffrent déjà d’une pénurie de personnel et de ressources. Ce problème est encore aggravé par le ralentissement de la croissance de la productivité au Royaume-Uni depuis 2008.

Les problèmes du Royaume-Uni concernant son marché du travail sont exacerbés par le Brexit. Une étude réalisée le mois dernier a estimé qu'entre 2019 et septembre 2022, le Royaume-Uni a connu une perte nette de 460 000 travailleurs de l'UE, avec une augmentation de 130'000 travailleurs non européens. Ces chiffres indiquent au total une pénurie nette de 330'000 travailleurs.

Le gouverneur de la BoE, Andrew Bailey, a déclaré la semaine dernière que le taux de participation au marché du travail ne s'était pas rétabli et que c’était «ce qui démarquait véritablement le Royaume-Uni» (voir graphique 1). L’une des causes de la pénurie de travailleurs au Royaume-Uni provient des absences prolongées pour maladie. Selon le Bureau de la statistique nationale (ONS), plus de 2,5 millions de personnes n'avaient pas d'emploi en novembre 2022 pour ce motif (voir graphique 2), un chiffre à comparer avec les 2 millions de personnes comptabilisées début 2019.

Accidents et urgences

Cette situation reflète l'état actuel du système de santé publique, le NHS (National Health Service). Dans le classement des «décès évitables et traitables», il reste à la traîne de ses voisins les plus proches. L’ONS incrimine les effets du Covid, du vieillissement de la population et de l'allongement des listes d'attente: en Angleterre, le délai de traitement a bondi de sept semaines en avril 2019 à près de quatorze semaines en août 2022, selon son rapport.

Le budget du NHS stagne depuis 2010, ce qui signifie qu'il n'a pas suivi le rythme de l'inflation, ni répondu à la nécessité d'investissements à long terme. En janvier, M. Sunak a dévoilé un programme destiné à régénérer le NHS. Il prévoit d'améliorer le temps de réponse des ambulances, de réduire les délais d'attente pour les traitements et d'introduire des interventions d'urgence le jour même. Ce programme prévoit également des lits d'hôpital «virtuels» sous la forme d'un suivi en ligne à domicile, afin de réduire le nombre d'admissions. Le gouvernement s'est engagé à augmenter les dépenses par habitant de 2% par an. Toutefois, son programme ne s'attaque pas directement aux plus de 133 000 postes vacants au sein du NHS durant les trois mois précédant septembre 2022.

Impact du Brexit

Le Brexit vient s'ajouter à cette liste de complications. La semaine dernière a marqué le troisième anniversaire de l'entrée en vigueur des premières dispositions liées à la sortie du Royaume-Uni de l’UE. La BoE estime que le commerce britannique a chuté de 14% depuis janvier 2021, et que les investissements sont inférieurs de 8% à ceux de 2019. Certains effets du Brexit restent à venir, notamment des contrôles douaniers complets au Royaume-Uni dès 2024.

En dépit des sondages d'opinion démontrant qu'une majorité d'électeurs s’accordaient à dire que «la Grande-Bretagne avait eu tort de quitter l'UE», aucun des deux principaux partis politiques britanniques ne souhaite raviver ce débat national houleux. À court terme, le Royaume-Uni négocie de nouveaux accords commerciaux avec l'UE sur le statut de l'Irlande du Nord, qui bénéficie d'un accès préférentiel au marché unique à travers la République d'Irlande, au prix de complications douanières avec le reste du Royaume-Uni.

Indice mondial

Le rendement des gilts (obligations d'État britanniques) reste supérieur à celui de leurs équivalents allemands et français. La semaine dernière, le rendement des gilts à 10 ans se montait à 3,1%, soit 100 pb et 50 pb de plus que leurs équivalents allemands et français.

Du point de vue des investisseurs internationaux, l'indice britannique FTSE 100 demeure très exposé aux entreprises qui tirent une part importante de leurs revenus des marchés mondiaux. Les problèmes politiques ont mis à mal la notation des entreprises cotées au Royaume-Uni, et les valorisations de l'indice restent parmi les plus attractives au monde, malgré une forte performance relative en 2022. Soutenu cette année-là par la faiblesse de la livre sterling et une importante exposition sectorielle aux matières premières et aux titres défensifs, l'indice a surperformé les actions mondiales de 25% en monnaie locale, et de 13% en monnaie constante.

Jusqu'en septembre 2022, nous avons privilégié les actions britanniques, anticipant leur surperformance relative. Toutefois, au fur et à mesure de l’accroissement des difficultés économiques, et sur fond de sorties des fonds de placement, nous avons réduit cette position. Récemment, nous avons renforcé nos expositions aux valeurs financières, fortement représentées dans le FTSE.

Dans l'environnement actuel, et face à une telle quantité de défis structurels, nous nous attendons à ce que la livre sterling reste faible. La paire EUR/GBP devrait atteindre 0,92 au cours des douze prochains mois, tandis que le taux de change GBP/USD devrait évoluer dans une fourchette comprise entre 1,22 et 1,25 durant cette même période. Nous pensons que la juste valeur de l’EUR/GBP reste plus élevée suite à l’érosion de la part du Royaume-Uni dans le commerce mondial.

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