Quel état des lieux pour la tokenisation?

Albert Dessaint, Blockchain Partner Suisse

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Chronique blockchain. Sujet financier par excellence, la tokenisation promet de réduire les coûts d’émission et d’échange de titres.

La tokenisation est l’un des sujets émergents suivis de près par les acteurs financiers depuis plusieurs mois. En quelques mots, ce procédé permet de créer la représentation numérique d’un actif tangible ou intangible, avec exécution automatique des droits et restrictions attachés à celui-ci. Pour y parvenir, la tokenisation s’appuie sur des smart contracts: des programmes informatiques hébergés et exécutés sur une blockchain qui permettent d’inscrire dans le marbre les caractéristiques de l’actif représenté numériquement.  

La proposition de valeur de la tokenisation pour la finance traditionnelle se situe dans sa désintermédiation: ce procédé contourne les tiers de confiance habituellement au cœur de ces échanges. Dorénavant, avec la tokenisation, quelques lignes de code informatique - visibles et auditables par tous - permettent de remplacer un certain nombre d’organisations humaines impliquées traditionnellement dans ces processus. A la clef, des gains de temps et de ressources humaines qui conduisent ainsi à des économies considérables.  

Outre les gains pour les acteurs en place, la baisse drastique des coûts d’émission et d’échange de titres financiers peut ouvrir l’accès aux marchés de capitaux à de plus petites entreprises. Cette option peut être intéressante pour les PME - formant 99% des entreprises en Suisse - qui bénéficieraient dès lors d’un accès abordable, facile, et rapide aux marchés des capitaux.

Tant qu’il n’y a pas de marché secondaire développé,
la tokenisation ne gagnera pas en adoption.

En pratique, aujourd’hui, les PME ne sont pas (encore?) les grands bénéficiaires du phénomène; ce sont plutôt… les intermédiaires qui accompagnent les entreprises en la matière, notamment sur les aspects techniques et juridiques de la tokenisation. La faute à une grande absente de l’équation: la liquidité. Sans liquidité sur le marché secondaire, les réductions de coûts ne seront que peu spectaculaires.

C’est le problème classique de l’œuf et la poule: tant qu’il n’y a pas de marché secondaire développé, la tokenisation ne gagnera pas en adoption. Mais sans un minimum de traction et d’appétence pour la tokenisation, il est difficile pour les acteurs traditionnels d’avancer vite sur la construction de ce marché secondaire. Pourtant, ce qui est aujourd’hui théorique deviendra bientôt réel et les acteurs suisses l’ont bien compris.

Plusieurs d’entre eux s’efforcent de construire les différentes briques nécessaires en termes d’infrastructure, avec en premier lieu, les solutions de custody. Ces solutions de conservation d’actifs numériques, dont les titres financiers font partie, seront nécessaires pour les banques et autres prestataires de services d’investissement.

Sur ce premier marché prometteur, trois noms suisses reviennent souvent: Taurus, Metaco et Crypto Storage. Au-delà de l’équipe et des choix technologiques, le plus important point de distinction entre ces solutions de custody est le lieu d’installation: sur site (On-Premise) ou à distance (SaaS).

Concernant les acteurs qui utilisent déjà ces solutions, la Suisse est bien armée avec la création des deux premières «Crypto banques» - Sygnum et SEBA Bank, qui viennent d’obtenir le feu vert de la FINMA - ou encore avec l’Arab Bank - une des premières banques traditionnelles à avoir pris position sur le sujet.

Un franc suisse numérique est absolument nécessaire
pour tirer parti des possibilités offertes par la tokenisation.

La custody ne constitue toutefois que la première brique pour voir émerger un marché secondaire: l’étape suivante est de construire une infrastructure d’échange de titres financiers qui connecte les différents prestataires de services d’investissement. De ce côté-ci, nous n’en sommes qu’aux prémices, mais nous savons déjà que c’est dans la feuille de route d’acteurs tel que Taurus.
Une fois les infrastructures en place, il est probable que la demande des investisseurs ne se porte pas, dans un premier temps, sur les titres financiers qui étaient jusqu’alors non-côtés mais plutôt sur les titres financiers poussés par les grandes banques et entreprises.

De fait - et c’est un tournant majeur de l’année 2019 dans l’écosystème blockchain - les grands acteurs traditionnels reconnaissent et défendent désormais l’intérêt de la tokenisation, et s’en approprient leurs usages. Ces derniers mois, la Banque Mondiale, la Société Générale et Santander ont expérimenté, chacun de leur côté, la tokenisation d’obligations.

Une dernière limite forte reste aujourd’hui à lever: l’absence d’un «Crypto-Franc». Un franc suisse numérique est absolument nécessaire pour tirer parti des possibilités offertes par la tokenisation. 2019 marque là aussi un tournant à cet égard avec l’arrivée fulgurante du sujet des «stablecoins» dans les discussions et analyses des grandes institutions monétaires et des économistes. Sur le sujet, la banque nationale suisse a décidé de prendre les devants en communiquant récemment sur une expérimentation avec SIX, l’opérateur de la bourse Suisse.

Avec ces avancées poussées par différents acteurs suisses, l’arrivée de la tokenisation à grande échelle n’est donc qu’une question de temps.

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