Quand le dollar perd de son éclat, la dette émergente brille

Mary-Therese Barton, Pictet Asset Management

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L’exceptionnalisme américain est remis en question et l’appétit pour le risque des investisseurs revient progressivement après la pandémie.

Les étoiles semblent s’aligner pour la dette émergente. Il y a de bonnes raisons de penser que ces actifs – obligations souveraines et d’entreprise – sont à l’aube d’un regain qui pourrait durer des années. Un changement de direction du dollar s’opère et la progression de ce dernier au cours de la dernière décennie s’essouffle. L’exceptionnalisme américain est remis en question et l’appétit pour le risque des investisseurs revient progressivement après la pandémie, le choc initial de la guerre en Ukraine ainsi que des années de désinflation et de politique monétaire causant des distorsions.

Avec le dollar qui joue un rôle moins important, d’autres facteurs sont susceptibles d’avoir un effet significatif sur la gestion obligataire émergente: de la volte-face spectaculaire de la Chine sur sa politique anti-covid aux actions précoces et décisives des banques centrales des marchés émergents pour juguler l’inflation, les économies en développement sont bien placées pour  largement devancer celles des marchés développés.

En effet, les mouvements de change jouent un rôle clé pour les obligations en devise locale comme pour celles libellées en USD. Ces mouvements peuvent créer des rétroactions ayant une incidence majeure sur les finances d’un pays et peuvent aussi affecter les bilans des entreprises des marchés émergents.

Pour les investisseurs, il peut en résulter des effets conjugués substantiels: l’appréciation des devises locales génère des cycles vertueux qui se répercutent sur les rendements obligataires. Un dollar plus faible est associé à une force relative des titres non US et un dollar fort à des actifs américains plus solides.

Les ressources qui devaient servir à couvrir la dette sont libérées dans l’économie, ce qui stimule la croissance.

Des années de dollar fort ont eu d’énormes conséquences pour les économies émergentes, notamment sur les marchés des changes. Les investisseurs mondiaux préférant les titres US, les investissements directs étrangers dans les pays en développement ont diminué. En même temps, la hausse du dollar a augmenté le coût du service de la dette et la charge des intérêts pour les gouvernements et les entreprises des marchés émergents qui empruntent dans cette même monnaie.

De surcroît, une devise américaine forte contribue à l’inflation dans les régions émergentes, les importations en dollars faisant grimper les prix à la consommation. Les banques centrales doivent alors durcir leur politique pour limiter la dépréciation de leur monnaie en augmentant les taux d’intérêt ou en intervenant sur les marchés des changes, ce qui a pour effet de drainer les réserves de change. Il en découle les conséquences suivantes: une hausse du coût du service de la dette intérieure et l’érosion des réserves souveraines. Au fil des ans, les devises émergentes ont perdu de leur valeur, les banques centrales de ces marchés s’efforçant de trouver l’équilibre entre la nécessité d’augmenter les taux d’intérêt et le maintien de la croissance.

Les entreprises des marchés émergents ont travaillé dur pour se protéger des effets de la volatilité du dollar et, dans de nombreux cas, elles ont été aidées par le fait que leur pays d’origine avait aligné leur monnaie sur le dollar, mis en place un régime de change flottant ou enregistré d’importants excédents courants. Néanmoins, l’affaiblissement du dollar va soulager les entreprises, en particulier au Brésil, en Inde, en Indonésie, en Turquie et en Afrique du Sud.

Avec l’exceptionnalisme américain en recul et l’inversion du cycle séculaire du dollar, la dette émergente devrait s’imposer. Une hausse de la valeur des devises nationales réduit la charge relative du financement de cette dette et diminue les ratios d’endettement – en termes de PIB et, dans le cas des entreprises, de capitalisation boursière. Comme la charge de leur dette en dollars devient plus soutenable, les emprunteurs souverains et les entreprises des marchés émergents voient leur note de crédit s’améliorer et, simultanément, le coût du capital baisser. Les ressources qui devaient servir à couvrir la dette sont libérées dans l’économie, ce qui stimule la croissance. Les capitaux affluent aussi de l’étranger, dopant le potentiel productif. L’amélioration des différentiels de croissance donne une nouvelle impulsion à la devise et un cycle vertueux – souvent pluriannuel – s’installe.

De plus, la sous-évaluation extrême des devises émergentes laisse une grande marge de manœuvre pour une appréciation durable et régulière.

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