Quand la BCE ménage la chèvre et le chou

Mark Holman, TwentyFour Asset Management

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Le système des taux par paliers adopté par la BCE en septembre dernier implique un assouplissement monétaire plus massif.

Lorsque Mario Draghi a révélé l’arsenal des mesures de relance de la Banque centrale européenne le mois dernier, la reprise du programme d’achat d’obligations d’Etat pour un montant mensuel de 20 milliards d'euros a fait la une des journaux.

Entre temps, il est devenu parfaitement clair que les participants au marché sous-estiment l'impact d'une autre mesure également annoncée le 12 septembre, à savoir l’adoption d’un système de taux par paliers visant à alléger la charge d’intérêt pesant sur les banques du fait des taux négatifs.

Un durcissement du crédit involontaire 

D'après nos calculs, l'introduction du système de taux par paliers le 31 octobre, dernier jour de la présidence de Mario Draghi,  devrait permettre au secteur bancaire de bénéficier de taux zéro sur un montant d’environ 750 milliards d’euros et d’éviter ainsi la charge du nouveau taux de dépôt porté à –0,50% par la BCE. Or, il semblerait que les marchés n’aient pas encore pris la pleine mesure de l’impact de ce durcissement involontaire des conditions de crédit dans la zone euro. 

Les trésoriers des banques ne vont probablement
pas se positionner sur les emprunts d’Etat à échéance courte.

Les taux négatifs ont été l'un des principaux facteurs explicatifs de la récente compression des rendements des obligations d'État, en particulier sur la partie courte de la courbe: les trésoriers des banques ont en effet dû rechercher des alternatives plus intéressantes pour investir les réserves de liquidités que les banques doivent constituer auprès de la BCE.   

Lorsque ces trésoriers devront réévaluer leurs placements pour les adapter aux nouveaux paliers, ils ne vont probablement pas se positionner sur les emprunts d’Etat à échéance courte. Par conséquent, ces derniers devraient subir une hausse de leurs rendements. Il s’agit donc bien là d’un resserrement des conditions de crédit, dont Mario Draghi et ses collègues du conseil des gouverneurs se passeraient volontiers.

Vers un assouplissement plus marqué

Nous avions déjà évoqué ce risque de resserrement lié au système de taux par paliers et la nécessité de le contrer par un assouplissement quantitatif avant la réunion du 12 septembre. Mais maintenant que nous avons pris connaissance du détail des décisions de la BCE à ce propos, il apparaît que le volume de l’assouplissement quantitatif sera insuffisant. Il est probable que Christine Lagarde, qui va succéder à Mario Draghi, devra rapidement convaincre le conseil des gouverneurs d’aller plus loin. 

L’économie de la zone euro pourrait entrer dans une période critique.

Au Fonds monétaire international, Christine Lagarde avait la réputation d’une «colombe» et sa nomination en juillet dernier a été largement applaudie par les participants au marché. Mais seul le temps pourra dire si elle possède effectivement le doigté qui a permis à Mario Draghi de faire passer toute une série de mesures extraordinaires durant son mandat.

Selon nous, Mario Draghi savait que les 20 milliards d'euros de rachats d'obligations ne représentaient qu’une étape vers l'objectif final du dernier plan de relance de la BCE. Comme il l'a déjà montré en d'autres occasions, il amène progressivement le conseil des gouverneurs à adopter le niveau d'assouplissement qu'il juge nécessaire. Grâce à la démission surprise mercredi dernier de Sabine Lautenschläger, l’Allemande la plus ancienne du conseil des gouverneurs et une farouche opposante à la reprise de l’assouplissement quantitatif, cette tâche pourrait s’avérer plus facile que prévu.

L’économie allemande se trouve au seuil de la récession, l'issue du Brexit est incertaine et Donald Trump pourrait rediriger sa guerre commerciale vers l’Europe. Par conséquent, l’économie de la zone euro pourrait entrer dans une période critique. Suite à la réunion du 12 septembre, Philip Lane, le chef économiste de la BCE, a affirmé que le système de taux par paliers avait été institué dans le but de parvenir à un juste équilibre entre la compensation du coût des taux négatifs pour les banques et la possibilité pour la politique monétaire de se répercuter sur l'inflation et de la stimuler. Il a également précisé que la politique prévue pourrait être ajustée si son impact n'était pas celui qui était attendu. Philip Lane a enfin ajouté qu'il se réjouissait d’œuvrer aux côtés de Christine Lagarde dès son entrée en fonction le 1er novembre, car, selon lui, le président de la BCE et l'économiste en chef " travaillent toujours en étroite collaboration ». Pour tous ceux qui espèrent que le robinet du crédit sera plus largement ouvert, cette collaboration pourrait s’avérer essentielle. Mario Draghi a donné une première impulsion, il incombera à Christine Lagarde de convaincre le conseil des gouverneurs de poursuivre sur cette lancée.

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