Pas de panique

Nathalie Benatia, BNP Paribas Asset Management

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Les investisseurs paraissent à présent disposés à privilégier les bonnes nouvelles ou, tout au moins, à ne pas les négliger.

Les variations des actions sont restées heurtées face à la montée des incertitudes sur plusieurs fronts: croissance chinoise et mondiale, remontée des taux longs et évolution des politiques monétaires des grandes banques centrales. Pourtant, les mouvements des marchés financiers ne semblent pas refléter une nervosité extrême et les investisseurs paraissent à présent disposés à privilégier les bonnes nouvelles ou, tout au moins, à ne pas les négliger.

La baisse mensuelle des actions mondiales n’est pas négligeable (-3,7% pour l’indice MSCI AC World à la clôture du 29 septembre par rapport à fin août) et les taux à 10 ans se sont tendus d’une vingtaine de points de base aux Etats-Unis et dans la zone euro. Le prix du pétrole a augmenté de 9% pour revenir vers 75 dollars le baril de WTI et le dollar s’est apprécié de 1,8% (indice DXY). Les derniers jours du mois ont toutefois été marqués par une stabilisation après des mouvements brusques. La volatilité implicite sur le S&P 500, qui avait retrouvé le 20 septembre son plus haut niveau depuis mai à près de 26, a reflué par la suite.

Des éléments particulièrement surveillés

Face aux récents événements, les investisseurs sont perplexes mais pas paniqués. Perplexes parce que le retour à la normale après la pandémie prend plus de temps de prévu mais ils gardent confiance car, à l’heure actuelle, l’activité mondiale n’est pas pénalisée par un problème de demande mais bien au contraire, par une offre insuffisante.

Dans ce contexte, la situation en Chine est particulièrement surveillée. Les enquêtes auprès des directeurs d’achats ont divergé. Le PMI «officiel» du secteur manufacturier est retombé sous 50 en septembre (49,6) après une sixième baisse consécutive. En revanche, l’indice dans les services a fortement rebondi, passant de 47,5 à 53,2, sous l’effet de l’accélération de la demande dans les transports et l’hôtellerie-restauration. Les difficultés du secteur immobilier font peser un risque sur la demande intérieure si bien que de nombreux observateurs s’attendent à l’annonce imminente de mesures de soutien. Des marges de manœuvre existent et pourraient être utilisées à court terme pour éviter une contagion aux marchés financiers mais la mise en place de programmes structurels devrait prendre davantage de temps.

Des espoirs dans les services, des blocages dans l’industrie

Partout dans le monde, la levée des restrictions sanitaires facilite la reprise de l’activité dans les services. Elle devrait se poursuivre alors que la vague épidémique semble enfin refluer. Au niveau mondial, le nombre de nouvelles contaminations quotidiennes est retombé de 660’000 environ fin août à 450’000 fin septembre. Toutefois, la saisonnalité du virus et la rentrée scolaire dans de nombreux pays restent susceptibles de provoquer une nouvelle poussée des infections qui pèserait alors sur la confiance des ménages.

Les goulets d’étranglement dans le secteur manufacturier persistent, notamment parce que la production est restée perturbée cet été lorsque les pays d’Asie émergente ont été confrontés de plein fouet à la vague provoquée par le variant Delta. La hausse des cours des matières premières est également de nature à peser sur l’activité industrielle, surtout dans les secteurs les plus consommateurs d’énergie. En conséquence, les pressions haussières sur les prix restent elles aussi présentes, remettant en cause dans l’esprit de certains observateurs la thèse d’une accélération temporaire de l’inflation.

L’estimation préliminaire des indices de prix à la consommation dans les pays de la zone euro fait ressortir une poursuite de l’accélération de l’inflation avec des situations diverses : l’inflation en Espagne (4,0%) a surpris à la hausse alors qu’elle s’est révélée un peu moins élevée qu’attendu en France (2,1%).

Le message des Banques centrales est-il bien compris?

Dans ce contexte, et même si la communication officielle des grandes banques centrales a finalement assez peu varié, les interprétations ont évolué au cours des derniers jours au fil des nuances qui ont pu être apportées.

Aux Etats-Unis, le discours de Jerome Powell lors sa conférence de presse du 22 septembre a été clair et les réactions initiales observées sur les marchés financiers ont laissé l’impression d’un exercice de communication réussi. Dans les jours qui ont suivi, il est apparu que le comité de politique monétaire était divisé non seulement sur la date de la première hausse des taux mais aussi, plus fondamentalement, sur l’interprétation du cadre de ciblage flexible de l’inflation moyenne. Certains membres estiment que les taux directeurs peuvent rester durablement bas (autour de 1% en 2024) avec une inflation légèrement supérieure à 2,0% alors que d’autres (comme le vice-Président Richard Clarida) considèrent qu’une bonne partie du chemin vers le taux d’équilibre devra être fait à un horizon 2024. Ces divergences de vue peuvent expliquer en partie la tension observée sur les taux longs américains depuis la réunion du FOMC et le regain des anticipations de remontée des taux directeurs à un horizon assez proche.

Dans la zone euro, les dernières semaines ont été marquées par des déclarations de plusieurs membres de la Banque centrale européenne (BCE) souhaitant se démarquer des prévisions publiées en septembre en matière d’inflation qu’ils jugent trop basses. Ces commentaires ont alimenté l’idée que le climat pourrait bientôt devenir un peu moins accommodant au sein de la BCE alors que d’autres réactions montrent que les discussions sur le devenir des programmes d’achats de titres ont vraisemblablement déjà commencé et promettent d’être animées.

A l’occasion du forum économique de la BCE, Christine Lagarde et Jerome Powell ont répété que l’accélération de l’inflation devait être considérée comme transitoire. Toutefois d’autres institutions monétaires ont une opinion différente: la Banque centrale de Norvège a remonté son taux directeur (de 0% à 0,25%), indiqué qu’une hausse supplémentaire devrait intervenir en décembre et précisé que le taux devrait être porté à 1,25% d’ici fin 2022 alors que les prix immobiliers ont fortement augmenté au cours des derniers mois. De son côté, la Banque d’Angleterre a indiqué que les récents développements renforcent la nécessité d’une hausse des taux «à moyen terme».

En route pour 2022

Sur les marchés financiers, le dernier trimestre de 2021 pourrait être consacré à la transition vers 2022. Les investisseurs vont devoir se préparer à dire adieu à cette «période exceptionnelle» qui exigeait des «mesures exceptionnelles» pour reprendre l’expression utilisée par Christine Lagarde en mars 2020.

La normalisation des politiques monétaires des grandes banques centrales sera, répétons-le, prudente, graduelle et conduite dans l’esprit d’éviter tout mouvement brusque sur les marchés financiers. Des nouvelles précisions en ce sens devraient d’ailleurs être apportées avant les comités de politique monétaire cruciaux de décembre.

Il n’en demeure pas moins qu’après les soins intensifs, les économies vont devoir entamer leur convalescence et leur rééducation à des conditions financières moins exceptionnelles. Tant qu’on a la santé … et le soutien budgétaire.

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