Obligations et prêts durables: peut-on faire mieux?

Xavier Ledru, Banque REYL

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La transition vers une économie durable nécessite des efforts réels et immédiats.

Grâce à l’émergence de nouveaux instruments tels que les obligations vertes sociales et durables, le marché obligataire joue un rôle essentiel, tout comme le marché du crédit bancaire qui permet d’attirer des capitaux afin de financer ces besoins mondiaux essentiels.

Les objectifs que l’humanité doit atteindre quant à la durabilité sont nettement mieux compris qu’auparavant. La finance durable connaît de ce fait un essor rapide.

Certes, les règles imposées aux émetteurs ou aux emprunteurs n’ont pas reçu une grande attention jusqu’à présent. Toutefois, des incitations pour favorisant l’émergence d’une économie durable devraient grandement accélérer son évolution.

Rétrospective

Les objectifs de développement durable1 (ODD) ont été édictés lors de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable qui s’est tenue à Rio de Janeiro en 2012. Ils constituent un appel à agir de la part du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en vue d’éradiquer la pauvreté, de protéger la planète et de faire en sorte que l’Homme vive dans la paix et la prospérité. L’idée était de créer un ensemble d’objectifs afin de relever les défis urgents en matière d’environnement, de politique et d’économie auxquels notre monde est confronté.

Atteindre les ODD s’annonce coûteux, et nécessitera l’implication
des pouvoirs publics mais aussi du secteur privé.

Les ODD s’inspirent des Millennium Development Goals (MDG) adoptés en 2000 et y adjoignent d’autres thématiques essentielles tels que l’égalité des sexes, la vie aquatique et terrestre, la paix, la justice et les institutions efficaces.

Atteindre les ODD s’annonce coûteux, et nécessitera l’implication des pouvoirs publics mais aussi du secteur privé. Selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), la réalisation des ODD nécessitera entre 5000 et 7000 milliards de dollars d’investissements annuels2.

Les principes ESG dans la gestion d’actifs

La communauté financière s’engage et se prononce de plus en plus sur les questions durables relatives aux facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance dans la gestion de portefeuille, notamment dans l’univers des actions. Le marché obligataire, par le biais des obligations vertes, et plus récemment, les obligations sociales et durables ainsi que les prêts verts et durables ont le vent en poupe.  

Sur ces segments particuliers, les investisseurs accordent moins d’attention aux modalités de surveillance des engagements auxquels les émetteurs et des emprunteurs sont tenus en souscrivant ou en proposant des obligations ou des prêts verts, sociaux et durables.

Les obligations vertes, sociales et durables ainsi que les prêts verts ou durables sont des instruments de dette dont le produit est exclusivement appliqué à des projets environnementaux et/ou sociaux. Ces produits ne diffèrent pas des instruments standards et sont régis par les mêmes réglementations que les autres instruments obligataires.

Les prêts verts et durables pourraient à terme être assortis
d’un allègement des exigences en capital.

Cependant, ils sont attrayants pour différentes raisons. Les obligations sont un véhicule d’investissement privilégié des gestionnaires d’actifs et des investisseurs institutionnels depuis toujours. Ces derniers commencent notamment à prendre conscience du risque élevé que représente le changement climatique pour la stabilité sociale et financière. Les prêts verts et durables, traditionnellement octroyés par des banques, pourraient à terme être assortis d’un allègement des exigences en capital afin d’encourager davantage les établissements financiers à les accorder à l’avenir.

Afin d’être sélectionnés par leurs investisseurs cibles, les émetteurs et les emprunteurs doivent respecter certaines règles visant à harmoniser le marché des produits de dette verts, sociaux et durables.

L’analyse qui suit a pour objectif de recommander que des efforts supplémentaires et des règles plus strictes soient appliqués aux émetteurs et emprunteurs afin de veiller à ce que ces instruments atteignent réellement leurs objectifs.

L’émergence des obligations sociales et durables, dans le sillage des obligations vertes

Dans le cadre d’une obligation verte, le produit est alloué à des projets écologiques. Ces projets sont traditionnellement décrits dans le prospectus d’émission régissant l’obligation concernée. Tous les projets écologiques doivent présenter des avantages environnementaux clairs, conformément aux Principes applicables aux obligations vertes3 publiés par l’International Capital Market Association (ICMA). Les obligations sociales sont moins connues que les obligations vertes, mais tout aussi intéressantes. Elles suivent un principe similaire et ont pour objet des populations spécifiques, à savoir les individus vivant sous le seuil de pauvreté, les populations ou communautés exclues ou marginalisées, les personnes sans emploi, les groupes vulnérables, les handicapés, les migrants et/ou les personnes déplacées, sous-éduquées ou nécessitant l’accès aux biens et services essentiels.

Le produit des obligations durables est appliqué au financement ou au
refinancement d’une combinaison de projets écologiques et sociaux.

Les obligations sociales se déclinent en plusieurs types, notamment les obligations sociales classiques, qui sont assorties de clauses de recours standards contre l’émetteur et dont le produit est utilisé dans le cadre de projets sociaux, ainsi que les obligations titrisées et garanties par un ou plusieurs projets sociaux spécifiques. Cette dernière catégorie comprend les obligations sécurisées (covered bonds), les titres adossés à des actifs, les titres adossés à des créances hypothécaires et autres structures dans lesquelles la première source de remboursement provient généralement des flux de trésorerie et/ou des actifs d’un projet social donné4.

Les infrastructures de base abordables, l’accès aux services essentiels, les logements économiques, la création d’emplois, la microfinance, la sécurité alimentaire ou le progrès socioéconomique font partie des projets admissibles dans le cadre des obligations sociales.

Enfin, le produit des obligations durables, sans doute les moins connues, est appliqué exclusivement au financement ou au refinancement d’une combinaison de projets écologiques et sociaux.

Les obligations durables reprennent les composantes essentielles des obligations vertes et sociales. Cette catégorie hybride a été créée car certains projets sociaux offrent également des avantages environnementaux, et vice versa.  

Un cadre pour les prêts verts et durables

Il est à noter qu’une nouvelle série de principes a émergé en 2018: les principes applicables aux prêts verts publiés par la Loan Market Association, la principale association professionnelle du secteur bancaire. Ils visent à créer un cadre pour le marché des prêts verts, notamment en fixant les conditions dans lesquelles un prêt peut être qualifié de «vert»5. Ils ont été suivis en mars 2019 par les principes applicables aux prêts durables.

Les émetteurs sont tenus de fournir chaque année des informations à jour
sur l’utilisation du produit jusqu’à ce que celui-ci soit alloué intégralement.

Les principes applicables aux prêts verts établissent une liste d’exemples de projets écologiques qui comprennent notamment les projets d’énergies renouvelables, la conservation de la biodiversité et la gestion des eaux usées. Bien que ces principes fassent abstraction de certains aspects des projets sociaux et de développement durable pris en compte par les obligations vertes, sociales et durables, ils harmonisent les critères utilisés par les établissements bancaires et constituent un excellent moyen d’encourager ceux-ci à être plus actifs dans les domaines de la finance verte et durable.

Ces critères et les obligations qui en découlent pour l’emprunteur suivent de près les principes applicables aux obligations vertes, sociales et durables, décrits ci-après.

La responsabilité des émetteurs

En ce qui concerne la transparence, les émetteurs d’obligations vertes, sociales et durables sont tenus, en vertu des différents ensembles de principes, de communiquer aux investisseurs les objectifs de durabilité, le processus permettant de déterminer comment les projets sous-jacents s’inscrivent dans les catégories éligibles, les critères d’éligibilité associés et le processus appliqué pour identifier et gérer les risques environnementaux et sociaux potentiels associés au projet concerné6.

Les principes applicables aux obligations vertes, sociales et durables encouragent également les émetteurs à présenter les informations qu’ils fournissent aux investisseurs dans le cadre de leurs objectifs, stratégie, politique et processus généraux relatifs à la durabilité et à déclarer toute norme ou certification verte à laquelle il est fait référence dans le cadre du projet pour lequel ils déploient les fonds levés7.

Pour ce qui est de la gestion des produits des émissions, les Principes applicables aux obligations vertes, sociales et durables prévoient que le produit net de l’émission obligataire concernée soit crédité sur un sous-compte, transféré vers un compartiment ou suivi par l’émetteur d’une manière appropriée et que cette opération soit attestée par ce dernier dans le cadre d’un processus interne formel lié à ses opérations pour sur des projets durables8.

S’agissant du reporting, les émetteurs sont tenus de fournir chaque année (ou immédiatement en cas d’évolutions importantes) des informations à jour sur l’utilisation du produit jusqu’à ce que celui-ci soit alloué intégralement9.

Les emprunteurs sont encouragés à développer
des structures de gouvernance internes.

La transparence est particulièrement importante s’agissant de la communication de l’impact attendu des projets écologiques, sociaux ou durables10. Par exemple, les principes applicables aux obligations vertes recommandent l’utilisation d’indicateurs clés de performance et, lorsque c’est possible, des mesures quantitatives telles que la capacité énergétique, la production d’électricité, la réduction/l’absence d’émissions de gaz à effet de serre, le nombre de personnes ayant accès à une source d’énergie propre, la diminution de l’utilisation de l’eau, la limitation du nombre de véhicules requis, etc.

En ce qui concerne les prêts verts et durables, l’emprunteur concerné devrait, au titre des principes applicables aux prêts verts, préciser à ses prêteurs ses objectifs environnementaux et de durabilité ainsi que le processus par lequel le projet concerné correspond à ces critères. Le produit du prêt doit être crédité sur un compte dédié et correctement suivi, à l’instar des modalités régissant les obligations vertes, sociales ou durables.

Les emprunteurs sont également encouragés, en vertu de ces principes, à développer des structures de gouvernance internes permettant le suivi de l’allocation des fonds et doivent toujours maintenir un niveau d’information approprié sur l’utilisation du produit, y compris concernant les impacts attendus ou les retombées du prêt. Les indicateurs clés de performance, les mesures et la communication de la méthodologie sous-jacente sont recommandés.

Certes, ces principes constituent des avancées, mais ils ne sont toujours pas contraignants.

De grands principes certes... mais que se passe-t-il si…?

Le risque existe que les fonds levés dans le cadre d’une obligation ou d’un prêt vert, social ou durable ne soient pas appliqués conformément à leurs termes, ou qu’une organisation donnée affirme que ses activités ou politiques ont des répercussions positives pour l’environnement même si ce n’est pas le cas. Cette pratique, connue sous le nom d’éco-blanchiment, constitue l’un des principaux obstacles du marché de la finance verte et durable.

Un manquement aux clauses contractuelles relatives à l’utilisation du produit
n’est généralement pas considéré comme une déchéance du terme.

Les principes applicables aux obligations vertes précisent que les investisseurs en obligations vertes ne sont pas responsables si les émetteurs ne tiennent pas leurs engagements, notamment concernant l’utilisation du produit net, et que ces obligations ne feront pas défaut si les recommandations relatives aux obligations vertes ne sont pas appliquées.

Il en va de même pour les prêts verts, où aucune déchéance du terme n’est déclenchée en cas de non-suivi de l’utilisation des fonds ou de non-respect d’un quelconque des engagements décrits ci-dessus.

Un manquement aux clauses contractuelles relatives à l’utilisation du produit ou à l’atteinte d’indicateurs clés de performance spécifiés n’est généralement pas considéré comme une déchéance du terme, ni même comme une circonstance susceptible d’entraîner le remboursement anticipé du prêt.

De nombreux acteurs du marché sont favorables à ce que les banques qui octroient le plus de prêts verts ou durables bénéficient d’exigences en capital allégées. Ce serait un excellent moyen de promouvoir ces instruments.

Pour ce faire, ces instruments doivent toutefois être clairement définis et assortis d’exigences strictes en vue d’atteindre leurs objectifs. Si nous voulons qu’ils soient attrayants, des mesures d’incitation appropriées doivent être mises en place pour les émetteurs (ou les emprunteurs) et pour les souscripteurs.

Si un défaut constitue peut-être une mesure trop drastique, le fait de ne pas signaler ni justifier que le produit d’une obligation ou d’un prêt donné est utilisé conformément aux engagements pris pourrait justifier une augmentation du spread de l’instrument concerné ou l’ajout de clauses contractuelles ou d’engagement financiers (ou autres), ce afin de compenser la perte de sa qualification verte, sociale ou durable.

Ces mesures devraient être prises compte tenu du statut privilégié accordé aux émetteurs et aux emprunteurs. Ainsi, la finance serait à même de contribuer encore plus activement au développement durable et écologique.

 

1 Pour une description complète des ODD: https://sustainabledevelopment.un.org

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