Ne pas jeter le bébé «tech» avec l'eau du bain

Philippe G. Müller, UBS

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Les valeurs technologiques comptent parmi les principaux protagonistes de la récente correction des marchés d'actions.
     

©Max Pixel

Récemment, la révision à la baisse des prévisions de bénéfices d'un sous-traitant d'Apple a suffi à faire chuter le titre Apple de 5% en l'espace d'une seule séance. Motif: les investisseurs ont estimé que cette nouvelle impliquait un ralentissement de la production de smartphones de la marque à la pomme. 

Depuis son pic de début octobre, le cours de l’action Apple a dévissé de plus de 20%. Plus généralement, sur la même période, l'indice Nasdaq, qui fait la part belle aux valeurs technologiques, s'est replié de 10%, tandis que l'indice S&P 500 n'a baissé que de 6%.

Le secteur technologique ralentit

La baisse des valeurs technologiques est imputable à un certain nombre de facteurs qui confortent la décision prise en début d'année par les stratégistes d’UBS de ne plus surpondérer les valeurs technologiques américaines comme cela était le cas depuis longtemps.

La croissance du bénéfice par action des valeurs technologiques internationales devrait décélérer de 17% cette année à environ 10% l'an prochain. Cette croissance plus faible reflète un ralentissement généralisé dans l'informatique grand public imputable à des cycles de remplacement plus long, à un manque d'innovation produits et à des prix plus élevés. 

Le cycle du smartphone à l'échelle mondiale approche de son apogée.

Sur la question des prix, la dépréciation des devises émergentes face au dollar américain a joué un rôle et si le billet vert reste proche des niveaux actuels, la demande pour l'informatique grand public dans les pays émergents devrait rester sous pression.

Dans les pays développés, le marché du smartphone semble saturé, avec un taux de pénétration supérieure à 80% aux États-Unis et au Japon. En Chine, ce taux avoisine les 70%. L'adoption du smartphone a été plus lente dans les pays émergents, mais le taux de pénétration dépasse les 50% en Amérique latine.

Les perspectives sont également plombées
par la menace des droits de douane.

Les États-Unis et la Chine ont repris récemment leurs pourparlers, sans grands résultats, ce qui pourrait amener l'administration Trump à mettre à exécution sa menace d'instaurer des droits de douane sur 267 milliards de dollars d'importations chinoises supplémentaires. Cette nouvelle salve concernerait de nombreux appareils électroniques de grande consommation qui avaient été épargnés jusqu'ici.

Mais l'informatique grand public ne représente qu’environ 35 à 40% de la demande finale pour le secteur informatique à l'échelle mondiale. Les perspectives pour l'informatique d'entreprise, qui représente les 60 à 65% restants, sont meilleures:

La croissance s'est accélérée

Il y a encore deux ans, les dépenses d'informatique d'entreprise à l'échelle mondiale augmentaient d'environ 2 à 3% par an. Depuis 2017, la croissance a atteint 5 à 6%. Aux États-Unis, la demande des grandes entreprises, des PME et des administrations publiques est à son plus haut niveau depuis la crise financière mondiale. 

L'augmentation des dépenses des entreprises est imputable à plusieurs facteurs: le rattrapage de la demande refoulée avec le cycle de mise à niveau des parcs informatiques, l'essor de la numérisation qui alimente les dépenses informatiques discrétionnaires (cloud, applications mobiles, analyse des données volumineuses) et la décentralisation des budgets informatiques.

Les éditeurs de logiciels devraient voir leurs bénéfices
augmenter de 12 à 15% l'an prochain, contre 10% pour le secteur.

L'impact de l'accélération de la croissance du chiffre d'affaires sur la rentabilité d'une entreprise est plus important dans le domaine de l'informatique d'entreprise que dans celui de l'informatique grand public, car le premier se caractérise généralement par des marges bénéficiaires plus élevées. 

Par exemple, les éditeurs de logiciels devraient voir leurs bénéfices augmenter de 12 à 15% l'an prochain, contre 10% pour le secteur dans son ensemble.

Les dépenses résistent mieux

La prépondérance des marchés développés dans le chiffre d'affaires de l'informatique d'entreprise –engendrée par les États-Unis et, dans une moindre mesure, par la zone euro et le Japon – offre une stabilité accrue par rapport à l'informatique grand public.

Un avis neutre mais pas négatif

Dans son ensemble, le secteur technologique a des atouts à faire valoir: les cours reflètent déjà en partie le ralentissement prévu de la croissance du bénéfice par action et le ratio cours/bénéfices à l'échelle du secteur (sur la base des prévisions à douze mois) est tombé de 19x à 16x. Par ailleurs, à plus long terme, les fondamentaux des valeurs technologiques restent bons grâce à la solide croissance des dépenses des entreprises et à l'essor séculaire du cloud et des services liés à Internet. 

Les valeurs technologiques ne sont pas chères,
mais elles ne sont pas encore bon marché.

Toutefois, deux facteurs dissuadent d'émettre un avis plus favorable. Les valeurs technologiques ne sont pas chères, mais elles ne sont pas encore bon marché. Malgré la récente correction, les valeurs technologiques de l'indice MSCI affichent toujours une prime de valorisation de 15% par rapport au marché dans son ensemble, conforme à sa moyenne historique et pas encore suffisamment séduisante. 

Il faut également tenir compte du positionnement sur le marché. La Recherche d’UBS est optimiste à l'égard des éditeurs de logiciels mais, parmi ces derniers, les valeurs de croissance sont excessivement prisées. Dans ce contexte, il est probable que les valeurs technologiques américaines signeront une performance conforme à celle de l'indice S&P 500, ce qui tranchera avec la nette surperformance enregistrée l'an dernier et au premier semestre 2018.

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