Marchés, le retour des fondamentaux se précise-t-il?

François Savary, Prime Partners

3 minutes de lecture

Le mois d’octobre est mal engagé pour les actifs risqués. Et cette fois les valeurs américaines ne font pas exception!

 

Assistons-nous à un retour des fondamentaux sur le devant de la scène, après une longue période où les menaces commerciales et les déclarations intempestives des populistes de tout poil ont constitué des déterminants importants pour le comportement des marchés?

Un autre angle de réflexion consiste à se demander si les opérateurs ne sont pas en train – finalement – d’intégrer les conséquences néfastes de la politique économique de l’administration Trump. En effet, voir les taux d’intérêt se tendre alors que la bourse est sous «forte» pression constitue une configuration à laquelle nous n’étions plus habitués depuis quelques années, puisque les obligations US avaient tendance à servir de valeur refuge dans les phases de consolidation des actions. On ne peut guère parler d’un tel statut de l’obligataire américain au cours des premiers jours d’octobre!

Qui pouvait vraiment croire que les 4%
de croissance actuelle étaient durable?

De la même manière, la révision à la baisse des perspectives de croissance économique par le FMI, associée à un risque biaisé vers le bas sur ces mêmes chiffres révisés (en partie en raison du climat délétère sur le front commercial) ont pu impacter le sentiment des investisseurs. En effet, au-delà d’une certaine circonspection sur le changement de cap opéré par les Etats-Unis dans la gestion de leurs relations internationales, ces derniers n’avaient guère perçu les dangers que recèlent les orientations des politiques économiques de l’Oncle Sam. Le report sur les actifs américains, en particulier sur les titres momentum de la cote, apparaissait comme une mesure suffisante de protection; elle ne semble désormais plus suffire! Il est vrai que les doutes sur les conséquences à moyen terme de la détérioration des finances publiques américaines et les déclarations récurrentes de corporate America sur les dangers du climat de guerre commercial qui anime l’administration de Washington ont longtemps été «ignorées», pour faire un retour vengeur sur le devant de la scène.

Le fait que les indices de révisions de la croissance bénéficiaire à moyen terme aient pris une allure clairement négative depuis quelques semaines semble indiquer que les intervenants ont fini par accepter ce que l’histoire a démontré à de multiples reprises: la croissance économique d’un pays ne peut que souffrir des politiques commerciales dont le protectionnisme est la clé de voûte; n’en déplaise à Donald Trump et à ses défenseurs, l’Oncle Sam ne fera pas exception!  Tout cela est d’autant plus vrai que la surchauffe provoquée par la baisse des impôts nourrit une volonté, totalement légitime, de la Fed de poursuivre le processus de normalisation de sa politique monétaire, au risque de voir l’économie US avancer dangereusement dans la dernière phase du cycle économique et financier. Au demeurant, le FMI ne dit rien de très différent quand il mise sur un fléchissement de l’activité US à moyen terme! Qui pouvait vraiment croire que les 4% de croissance actuelle étaient durables?

Donald Trump se définit comme quelqu’un au bénéfice d’une capacité «fantastique» de générer des «deal». Cela reste à prouver. Si l’on utilise la métaphore du poker, on peut dire que le Président avait quelques cartes en mains et qu’il en largement (trop peut-être) usé au cours des derniers trimestres. La baisse des impôts a été une de ses cartes majeures. Cependant, au-delà de la stimulation de court terme qu’elle a induit, son impact ira fléchissant à moins de la rendre pérenne. Si tel devait être le cas, les conséquences pour les taux d’intérêt américains ne pourraient être que dommageables, d’autant plus que ces derniers ont déjà fortement profité des sorties de capitaux des pays émergents depuis le printemps 2018. En outre, la Fed ne pourrait pas rester insensible à tout renforcement des mesures fiscales stimulatives, au moment où le Président américain cherche à saper l’indépendance de l’organe monétaire. Heureusement que J. Powell n’est pas tombé dans le piège d’une soumission au désidérata du Président, qui continue à ignorer le principe de non intervention de l’exécutif dans l’action de la banque centrale, en utilisant des termes qui frisent désormais l’insulte.

Il faut toujours présenter un bouc émissaire
en cas d’échec de sa propre politique!

Alors que les américains vont se rendre aux urnes, le Président espère conserver une majorité républicaine dans les deux chambres, afin de pouvoir poursuivre sa politique de stimulation fiscale et nourrir ainsi (artificiellement) la croissance, mais il pourrait alors retrouver J. Powell sur sa route. Les marchés semblent s’en être convaincus après les déclarations récentes de celui-ci. Le jeu deviendrait ainsi serré et il n’est pas anodin que D. Trump multiplie les déclarations incendiaires sur la politique de la Fed, car il faut toujours présenter un bouc émissaire en cas d’échec de sa propre politique!

Une autre option qui serait encore moins favorable pour le champion des deals: une victoire des démocrates à la chambre des représentants. Un tel développement mettrait vraisemblablement fin à toute velléité de relancer le dossier fiscal d’une part et qui réduirait sensiblement l’intérêt de poursuivre l’escalade du protectionnisme. En effet, corporate America est loin d’être convaincu par l’impact positif des mesures protectionnistes adoptées sur le développement du cycle conjoncturel! En d’autres termes, sans pérennisations de la baisse des impôts, la normalisation de l’expansion américaine serait inévitable et les conflits commerciaux ne feraient qu’accélérer le mouvement. La «main de D. Trump» se révèlerait donc bien moins intéressante dans un tel cas de figure.

La correction d’octobre est peut-être «inédite» sous l’ère Trump en ce sens qu’elle affiche des causes fondamentales. La prise de conscience des effets négatifs de la stimulation fiscale – soit la hausse des taux induite par l’accroissement du déficit budgétaire –, couplée à une politique de frein au commerce, pèse sur les perspectives de croissance économique mondiale et sur celles des bénéfices à moyen terme. Les investisseurs en sont désormais davantage conscients. Cette évolution a certainement contribué à la performance négative des marchés depuis début octobre. Elle a cependant un effet positif: elle ramène le prix des actifs à des niveaux plus acceptables par rapport au fondamentaux économiques et aux incertitudes qui planent sur ces derniers.

Les élections de mi-mandat arrivent à grand pas et leurs résultats seront importants. D. Trump ne se trouvera pas dans une position plus confortable à l’issue de cette consultation populaire, pris entre une Fed qui ne semble pas vouloir baster en cas de poursuite de la politique économique actuelle d’une part et un parti démocrate désireux de bloquer toute pérennisation des baisses d’impôts d’autre part.

L’art du deal est compliqué et les investisseurs ont fait preuve d’une grande confiance à l’égard de D. Trump en la matière. Qu’ils reviennent à davantage de raison est plutôt positif car il était naïf de croire que le locataire de la maison blanche avait trouvé une martingale pour gérer les problèmes de l’économie américaine.

Il ne faut pas se voiler la face, une victoire démocrate aux législatives est à souhaiter pour les marchés financiers, afin d’éviter une poursuite des politiques économiques mises en œuvre depuis deux ans! Il nous semble que cette option serait la mieux à même de faire en sorte que la récente «correction» des actifs financiers ne soit que temporaire, puisque les investisseurs semblent enfin avoir pris conscience que la «Trumpanomics» n’est certainement pas la panacée, même pour l’Amérique!

A lire aussi...