L'inflation mondiale et le resserrement de la politique monétaire de la BCE devraient permettre aux taux d'intérêt suisses de redevenir positifs en 2023.
- Nous prévoyons une croissance de l’économie suisse de 2,2% en 2022 et 1,2% en 2023
- La BNS devrait réduire ses interventions sur le marché des changes visant à prévenir l’appréciation du franc. Nous nous attendons à ce que la paire EUR/CHF s’affaiblisse pour s’établir sous la parité d'ici fin 2022
- L'inflation mondiale et le resserrement de la politique monétaire de la BCE devraient permettre aux taux d'intérêt suisses de redevenir positifs en 2023. Le rendement des obligations gouvernementales suisses à 10 ans devrait atteindre 1% d’ici un an
- Les entreprises helvétiques cotées en bourse font état de difficultés logistiques et d'approvisionnement à venir
- L'offre immobilière pourrait se resserrer davantage en raison de la hausse des coûts de construction et de financement.
Les pressions inflationnistes pourraient offrir une fenêtre d’opportunité à la Suisse. En avril, les prix à la consommation y ont augmenté de 2,5% en rythme annuel, leur plus haut niveau depuis 2008. Pour la Banque nationale suisse (BNS), c’est l’occasion d’échapper à sept années de taux directeurs négatifs parmi les plus importants au monde.
L'inflation mondiale, alimentée par les pénuries dans les chaînes d'approvisionnement, la stratégie zéro Covid de la Chine et les perturbations d’approvisionnement en énergie et en matières premières dues au conflit en Ukraine, incite les banques centrales à resserrer leurs politiques monétaires. Aux Etats-Unis, les prix ont augmenté de plus de 8% en mars et en avril, et la Réserve fédérale a commencé à relever les taux d'intérêt au rythme le plus rapide depuis deux décennies au moins. De son côté, la Banque centrale européenne (BCE) devrait commencer à relever ses taux directeurs dès juillet, pour les porter en territoire positif en septembre.
Des taux d'intérêt plus élevés dans la zone euro vont creuser l'écart avec les coûts d'emprunt en Suisse. Cela atténuera la nécessité de maintenir les taux d'intérêt à un niveau bas pour dissuader les investisseurs de détenir des francs. Lors de la grande crise financière il y a quatorze ans, lorsque les investisseurs ont fortement sollicité le franc en tant que valeur refuge, la BNS a commencé à intervenir sur le marché des changes pour empêcher l’appréciation de la monnaie. En 2011, la banque centrale a fixé un cours plancher à 1,20 contre l’euro, qu'elle a ensuite abandonné en janvier 2015. Depuis lors, le franc s'est apprécié face à la monnaie commune européenne, puis la guerre en Ukraine a accentué la pression sur la devise helvétique durant les premiers mois de l’année 2022. Historiquement, l’évolution du franc a été étroitement liée au différentiel de taux avec la zone euro. Désormais, la paire euro/franc (EUR/CHF) devrait s’affaiblir pour passer sous la parité au dernier trimestre de 2022 pour d’autres raisons. La BNS affichant déjà un bilan imposant, les exportations suisses demeurant toujours solides et l'inflation relativement élevée, nous nous attendons à ce que la banque centrale ralentisse ses interventions sur les marchés des changes.
La demande de la devise américaine et la hausse des rendements des obligations du Trésor américain ont fait reculer le franc face au dollar durant le mois d'avril et la première moitié du mois de mai. Cette tendance ne devrait pas perdurer. La Suisse jouit d'une balance commerciale équivalant à 12% de son produit intérieur brut, son niveau le plus élevé depuis 1950, année où cette mesure a été effectuée pour la première fois.
Tant que la BCE n’aura pas commencé à relever ses taux directeurs, la BNS ne peut pas préconiser une hausse des coûts d'emprunt en Suisse, car elle risquerait d'accroître la pression sur sa monnaie. La politique monétaire de la BNS continue donc à reposer sur des taux négatifs et sur la volonté de limiter la force du franc, ainsi que l’a déclaré le président de la banque centrale, Thomas Jordan, la semaine dernière: «Nous ne sommes pas l’otage des politiques monétaires des autres banques centrales, a-t-il précisé. Nous avons une politique monétaire autonome axée sur la stabilité des prix.»
Historiquement, la BNS a enregistré des pertes et profits non réalisés sur ses positions en devises étrangères au gré des fluctuations des marchés. Par exemple, en 2021, la banque centrale a généré un bénéfice net cumulé de 108 milliards de francs, et distribué un dividende d'une valeur de 6 milliards de francs à la Confédération et aux cantons. Mais ses efforts visant à contenir l’appréciation du franc comportent un coût. La banque nationale a annoncé une perte non réalisée de 33 milliards de francs pour les trois premiers mois de 2022. Répéter une perte aussi importante ne serait pas soutenable à l'avenir.
Une fois que la BNS aura commencé à relever ses taux directeurs, nous pensons qu’elle adoptera un rythme progressif. Les taux ne devraient entrer en territoire positif qu'en 2023, pour la première fois depuis 2015. Plus précisément, la BNS devrait augmenter le coût d'emprunt actuel de -0,75% de 1 pour cent sur douze mois pour atteindre 0,25% en 2023. Ce processus de resserrement monétaire pourrait débuter en septembre 2022 déjà.
Ayant fait preuve de résilience durant la pandémie, la croissance économique de la Suisse devrait atteindre 2,2% en 2022 et 1,2% en 2023, selon nos estimations. L'économie suisse a su résister aux périodes de ralentissement de la conjoncture mondiale de ces dernières décennies, en partie grâce à une solide création d'emplois et à l'immigration nette qui en résulte.
La BNS prévoit une inflation de 2,1% en Suisse pour 2022. Pourquoi l'augmentation du coût de la vie y est-elle à ce point inférieure à celle de ses voisins? L'explication réside en partie dans la force du franc suisse, qui agit comme un mécanisme de défense en maintenant les prix des importations bas. En outre, la Suisse est moins dépendante des importations d'énergie que les pays limitrophes, l'énergie hydroélectrique représentant plus de la moitié de sa capacité totale de production d'électricité. Le gaz naturel ne représente que 15% de la consommation totale d'énergie, dont environ la moitié provient de Russie. Tous ces éléments rendent la Suisse moins vulnérable aux perturbations géopolitiques liées à la guerre en Ukraine.
En Suisse, l'énergie représente également une part plus faible du panier de consommation utilisé pour calculer la hausse des prix que dans la zone euro et aux Etats-Unis. Partant d’une base de calcul plus basse, et compte tenu des faibles attentes en matière d'inflation des prix à la consommation, la croissance des salaires est également plus limitée.
A mesure que les taux d'intérêt remonteront, le rendement des obligations gouvernementales suivra. Nous estimons que les obligations gouvernementales à 10 ans offriront un rendement de 1% dans un an, contre 0,65% aujourd'hui. En outre, la différence, ou écart, entre les obligations de la Confédération à deux ans et à dix ans devrait s'aplatir pour atteindre environ 40 points de base (pb), soit 0,4%, contre 80 pb aujourd’hui.
Le Swiss Market Index (SMI), un indice fort de 20 entreprises regroupant les actions les plus liquides du pays, a signé une baisse de 12% depuis le début de l'année, en ligne avec le Stoxx Europe 600 (-11%) et surperformant la chute de -18% de l’indice américain S&P 500. L'indice suisse des petites et moyennes capitalisations (SPI Extra) a reculé de 19% en 2022, entraîné par les secteurs cycliques tels que le secteur industriel et celui des matériaux.
Dans leurs rapports sur les résultats du premier trimestre, les entreprises suisses ont exprimé des inquiétudes quant aux perturbations des chaînes d'approvisionnement. Cela exercera une pression sur les marges, à mesure que les entreprises répercuteront la hausse de leurs coûts sur les clients. Toutefois, les augmentations de prix sont inévitablement en retard sur la hausse des coûts. Reste à voir quelle sera l’incidence de cette tendance sur la demande tandis que les approvisionnements en matières premières et la logistique pourraient être les plus touchés. Ces effets seront probablement moins ressentis dans les secteurs de la santé et des biens de consommation de base, qui sont les mieux placés pour répercuter la hausse de leurs coûts sans affecter significativement la demande. Au fur et à mesure que ces facteurs se concrétisent, les entreprises devraient commencer à réviser leurs perspectives.
Sur le marché immobilier, l'offre pourrait se réduire encore si les coûts de construction des logements se combinent à la hausse attendue des coûts de financement. A moins que les prix du marché ne reflètent cette situation, nous pourrions voir l'attrait des investissements immobiliers affecté par des rendements devenus plus intéressants dans d'autres classes d'actifs. Dans ces circonstances, la demande de logements locatifs restera élevée.
Sur le segment résidentiel, nous pensons que les prix élevés pèseront sur la demande, avec le risque que la hausse des taux d'intérêt ne mine l’accès à la propriété, en particulier chez les primo-accédants. Au niveau régional, la région du lac Léman, Zurich et Zoug sont les plus limités en termes d’offre de logement. Par conséquent, les prix devraient y rester stables, même si la demande faiblit quelque peu. D’autres régions ont connu un excédent d’offre, ce qui a accru la demande, les acheteurs profitant de la baisse des prix.
Sur le marché commercial, les taux de vacance s’améliorent avec la fin de la pandémie, même si le segment reste faible à l'exception des emplacements centraux et de certains centres commerciaux phares.
Les investisseurs dont les portefeuilles sont basés en francs bénéficieraient d'une diversification internationale couvrant toutes les classes d'actifs. Si le marché des fonds immobiliers suisses cotés semble désormais plus attrayant après la récente correction, nous conservons notre sous-pondération. En effet, nous voyons de meilleures opportunités dans l'immobilier européen de qualité, qui offre une plus forte croissance des loyers, notamment dans les segments résidentiel et logistique.
En ce qui concerne les actions, nous pensons qu'il est judicieux de compléter les expositions aux valeurs suisses défensives des secteurs de la consommation de base et de la santé par des allocations aux marchés boursiers britannique et américain, ainsi que aux titres mondiaux de qualité issus des secteurs de l'énergie et des matériaux. Enfin, les allocations au crédit d’entreprise suisse peuvent être diversifiées par des positions en bons du Trésor américain et d'autres emprunts souverains de marchés développés.