Rien n'indique que l'inflation américaine a atteint un pic, et l'économie chinoise s'est contractée en avril
- Aux Etats-Unis et en Europe, les entreprises cotées ont signé des bénéfices robustes au cours du premier trimestre, sans toutefois fournir l’orientation dont les marchés ont besoin
- Les perspectives des entreprises sont assombries par les incertitudes entourant l'inflation américaine et le taux terminal de la Fed, le conflit en Ukraine et les confinements en Chine
- Nous nous concentrons sur les titres de type «valeur» et les valeurs de qualité, tout en conservant des stratégies optionnelles afin de créer des profils de rendement asymétriques dans nos portefeuilles.
«Sell in May and go away»: ce vieil adage boursier va-t-il se vérifier en 2022? Alors que les résultats du premier trimestre ont dépassé les attentes, les marchés actions américains et européens ont baissé d’un sixième depuis le début de l'année. L'inflation, les confinements décrétés en Chine, la guerre en Ukraine et la remontée des taux d'intérêt minent les perspectives d'investissement. Nous maintenons un positionnement prudent, en privilégiant les actions de qualité et les titres de type «valeur» pour garder le cap dans un contexte de volatilité.
Avant même que la saison des résultats n’ait commencé, les attentes en matière de bénéfices du premier trimestre 2022 ont été revues à la baisse, ce qui a permis aux entreprises de dépasser les estimations des analystes. En l'occurrence, les sociétés cotées à l'indice S&P 500 ont signé des bénéfices par action (BPA) en hausse de 7% en moyenne relativement à l'année précédente, plus des trois quarts affichant des ventes supérieures aux prévisions. En Europe, la croissance du BPA de l'EuroStoxx 600 a progressé de 45% comparativement à l'année précédente, avec une robuste croissance des ventes, en ligne avec celle du marché américain. Plus important encore, les dirigeants d'entreprise indiquent que, pour l'instant, la hausse des prix n'a pas nui à la demande de biens et de services et qu'ils ont pu répercuter la hausse de leurs coûts.
Néanmoins, sans vision claire de ce qui attend les entreprises en termes de rentabilité, ce dépassement des attentes indiqué dans les récents rapports importe peu. Depuis le début de l'année, le S&P 500 a baissé de 16% et l'Euro Stoxx 600 de 12%, l'euro ayant encore perdu 8% par rapport au dollar américain. Une croissance des bénéfices moyenne positive sur l'ensemble des marchés masque le fait que le secteur de l'énergie et celui des matières premières ont principalement alimenté les résultats, tandis que la plupart des autres secteurs ont vu leurs bénéfices ralentir. Si l'on exclut le secteur de l'énergie, la croissance du BPA s’est élevée en moyenne à 3% aux États-Unis et à 12% en Europe, par rapport au même trimestre de l'année précédente. Le secteur financier a lui aussi souffert de cette approche d'investissement prudente et de la même absence de visibilité économique.
Les valeurs technologiques ont été particulièrement affectées. L'indice Nasdaq Composite, où les entreprises technologiques représentent environ la moitié de la capitalisation boursière, a baissé de 25% en 2022. En effet, les anticipations de hausse de taux d'intérêt ont porté préjudice aux valorisations des entreprises technologiques: leurs modèles d’affaires reposent sur la croissance future de leurs plateformes, et dépendent donc davantage des flux de trésorerie futurs que présents, qui sont actualisés à des taux d'intérêt plus élevés. De même, certaines valeurs qui ont profité des confinements, lorsque les consommateurs sont devenus plus dépendants des technologies pour travailler, jouer et faire des achats, ont également souffert.
D'ordinaire, les marchés se basent sur l’orientation et les perspectives fournies par les entreprises. En 2021, anticipant le boom post-pandémique, une majorité d'entreprises ont systématiquement revu leurs prévisions de bénéfices à la hausse. Ces dernières semaines, le nombre de révisions est tombé bien en dessous de leur moyenne historique. Les nouvelles perspectives dépendent en grande partie de la durée des perturbations des chaînes d'approvisionnement et du niveau final des taux d'intérêt américains.
La plupart des entreprises auront du mal à se prononcer sur les perspectives pour le reste de l'année sans tenir compte des confinements chinois, du nouveau paradigme géopolitique après l'invasion de l’Ukraine par la Russie et du resserrement monétaire agressif de la Réserve fédérale américaine.
Les deux premiers facteurs ont contribué à stimuler des niveaux d'inflation record aux États-Unis et en Europe ; en réponse, les banques centrales augmentent les coûts d'emprunt. La guerre en Ukraine semble présager un changement de paradigme à long terme dans les relations géopolitiques, et la probabilité d’un enlisement du conflit augmente. En conséquence, les entreprises apportent des changements plus permanents à leurs chaînes d'approvisionnement et de distribution de manière à prendre en compte l'intensification des sanctions, l'isolement économique de la Russie et le remaniement des sources d'énergie européennes.
Les investisseurs sont également très attentifs à la trajectoire de la politique monétaire de la Fed et à son taux terminal d’ici un an. En passant de l'«assouplissement quantitatif» au «resserrement quantitatif», la Fed vise à retirer les mesures de soutien de l'ère du Covid et à lutter contre l'inflation des prix à la consommation, plutôt qu'à stimuler la croissance. En outre, la banque centrale américaine prévoit de relever les taux directeurs au rythme le plus rapide depuis plus de deux décennies. Avant que le sentiment de marché ne s'améliore durablement, les investisseurs devront être convaincus du repli de l’inflation, même si elle reste à un niveau plus élevé qu'avant la pandémie. Cela permettrait à la Fed de ralentir son cycle de resserrement agressif. Mais nous n'en sommes pas encore là; l'inflation américaine a atteint un taux annualisé de 8,5% en mars et de 8,3% en avril. Nous nous attendons à une nouvelle hausse de 50 points de base lors de chacune des réunions de juin et de juillet de la Fed, le taux directeur atteignant 3% en 2023.
Le facteur déterminant pour les perspectives mondiales, et donc pour la visibilité des bénéfices des entreprises, est le ralentissement de l'économie chinoise. L'approche adoptée par le pays pour endiguer les foyers de Covid ne nuit pas seulement à sa propre économie, mais perturbe les chaînes d'approvisionnement dans le monde entier, avec des usines qui cessent leur production et des ports qui interrompent l’expédition de leurs marchandises.
En matière de croissance du PIB, la Chine s’est fixé un objectif officiel de 5,5% en 2022. Cet objectif est de plus en plus mis en difficulté par sa politique «zéro Covid». En avril, la production industrielle et les dépenses de consommation se sont contractées à des niveaux jamais vus depuis le début de la pandémie, tandis que le chômage a augmenté. Dans le meilleur des cas, nous prévoyons une croissance du PIB de 4,3% pour 2022. À moins que le pays n'inverse sa stratégie sanitaire actuelle ou ne maîtrise rapidement les contaminations, ce chiffre pourrait tomber en dessous de 4% pour l'ensemble de l'année.
À ce stade, il est difficile d’imaginer que la politique sanitaire se détende avant le Congrès du Parti communiste en novembre 2022, lorsque le président Xi Jinping devrait voir son mandat prolongé. Dans l'intervalle, le gouvernement tente de soutenir l'économie par des changements ciblés, notamment en assouplissant les conditions d'emprunt pour l’achat d’un premier logement. Afin d'augmenter les liquidités, la Banque populaire de Chine a déjà réduit la proportion de dépôts que les banques commerciales doivent garder en réserve.
Si les valorisations des entreprises semblent désormais plus attrayantes, elles ne constituent pas en elles-mêmes une thèse d’investissement et la remontée des taux d'intérêt limitera les améliorations futures.
Les résultats du premier trimestre ont démontré que les rapports d’entreprises ne sont pas en mesure de mettre les marchés à l’abri d'un sentiment négatif et de sorties de capitaux. Trois risques principaux pèsent sur les perspectives conjoncturelles. Les marchés boursiers resteront volatils jusqu'à ce que la visibilité s’améliore sur l'inflation américaine et le taux terminal de la Fed, la guerre en Ukraine et la situation pandémique en Chine.
Nous conservons un positionnement neutre sur les actions, que nous conjuguons avec des stratégies de diversification. Nous privilégions les titres, les secteurs et les régions les plus à même de gérer le contexte de taux d'intérêt plus élevés en répercutant la hausse des coûts ou en supportant une croissance plus faible. Nous apprécions en particulier les marchés boursiers américain et britannique. Nous nous concentrons sur les titres de type «valeur» et sur les valeurs de qualité, ainsi que sur les opportunités dans les secteurs de l'énergie, de l'industrie et des matériaux, de même que sur certaines actions de qualité dans les secteurs technologique et de la santé. La durabilité reste un élément clé de chaque décision d'investissement. À la lumière des risques de baisse des marchés actions, nous avons créé des profils de rendement asymétriques au sein de nos portefeuilles, en recourant à des stratégies de type «put spreads» sur indices actions américains et européens.