L'impôt à forfait: quels enjeux?

Salima Barragan

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Pour Pablo Astengo de la banque SYZ, maintenir l’attractivité de la Suisse est primordial.

Depuis les années soixante, le climat fiscal suisse attire de riches contribuables étrangers grâce à son système de l’impôt à forfait. Attractif et simplifié, il s’agit d’un système de calcul à la dépense et non au revenu. En 2012, le parlement a voté le durcissement de ses conditions dès 2016. Cette nouvelle mouture pourrait inciter les forfaitaires à revoir leur situation fiscale, en Suisse ou ailleurs. Quels sont les enjeux de l’impôt à forfait? Éclairage avec Pablo Astengo, Senior Wealth Planner à la banque SYZ.

Cette votation du parlement répondait à l’initiative de gauche de 2011 «Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires», qui visait à abolir le forfait fiscal. Cette initiative, qui a été refusée par le peuple suisse, est pourtant révélatrice d’un changement des mentalités. «Cette initiative a démontré qu’une partie de la population voit ces systèmes d’imposition avec méfiance. Certains cantons ont même décidé d’abolir le forfait fiscal, notamment Zurich en 2009, avec comme première victime Tina Turner», explique Pablo Astengo. 

La Suisse peut toujours rivaliser avec des pays comme le Portugal ou Singapour.

A l’origine, la Suisse avait proposé cette méthode de taxation, simple et discrète, à la fin du XIXe siècle (loi vaudoise de 1862). «Ce durcissement a permis de maintenir ce régime qui est un élément important pour notre attractivité tout en adaptant les règles au climat politique actuel», ajoute-t-il.

Des enjeux politiques

Ainsi, sur le plan international, la Suisse peut toujours rivaliser avec des pays comme le Portugal ou Singapour, qui se sont inspirés de son régime innovant pour attirer de nouveaux résidents fortunés. «La Suisse doit maintenir son attractivité avec ce régime qui touche environ 6’000 personnes, pour un montant approximatif de 700'000’000 francs suisses de revenus fiscaux», explique Pablo Astengo. En revanche, les dépenses totales générées par ces riches contribuables sont difficilement calculables. Selon l’expert, elles pourraient engendrer environ 20'000 emplois supplémentaires sur tout le territoire. De plus, ce système d’imposition rejoint les enjeux de l’initiative de la RFFA, qui cherche également à conserver l’attractivité de la Suisse pour les entreprises.

Au niveau national, l’impôt au forfait permet d’éviter l’exode de ces contribuables sous des cieux fiscaux plus cléments. «La plupart des contribuables au forfait vivent dans les cantons qui ont un taux d’imposition élevé comme Genève et Vaud. Il est important pour ces cantons de garder ces contribuables afin d’éviter qu’ils s’installent ailleurs», ajoute-t-il. 

Retourner à l’impôt ordinaire?

Dorénavant, les forfaitaires pourraient bien explorer la piste de l’impôt ordinaire si leurs considérations dépassent le simple cadre fiscal. «Pour ceux qui exercent encore une activité à l’étranger, un déplacement de l’activité lucrative vers la Suisse permettrait aux forfaitaires de s’affilier à la prévoyance professionnelle et de bénéficier de tous les avantages de notre système, qui inclut des déductions quand même intéressantes telles que les rachats LPP, la prévoyance 3a, les travaux dans la maison, les déplacements professionnels ou les frais de gestion de fortune. En outre, si le forfaitaire installe son entreprise en Suisse, il va bénéficier de la RFFA avec un taux d’imposition sur le bénéfice allégé (13,99% à Genève au lieu de 24,2% auparavant). De plus, bien que les dividendes soient considérés comme du revenu, il va bénéficier d’un abattement de 40% sur la prise de dividendes. Autrement dit l’imposition ne se fera que sur 60% du revenu», explique le spécialiste de la planification patrimoniale.

L’impôt au rôle ordinaire offre une plus grande flexibilité
en matière d’investissements.

Aussi, l’impôt au rôle ordinaire offre une plus grande flexibilité en matière d’investissements car les forfaitaires ne peuvent en théorie pas investir dans des titres suisses rapportant des dividendes. «Ces dividendes sont considérés comme du revenu suisse, donc ils les pénalisent lors du calcul de contrôle», relève Pablo Astengo. Enfin, à la retraite, le forfaitaire reste imposé sur un revenu fictif calculé sur la base de ses dépenses, alors que les revenus réels ont diminués ou disparus. L’imposition au rôle ordinaire à l’avantage de ne pas considérer la consommation de la fortune privée comme du revenu et donc n’est pas imposable à ce titre. «Au passage de la retraite, la courbe des revenus s’inverse», conclut Pablo Astengo.

Ainsi, malgré le durcissement de l’impôt à forfait, la Suisse reste compétitive, tant sur le plan fiscal que pour sa qualité de vie. Car au-delà de l’aspect purement fiscal, le choix de l’établissement dépend aussi de critères qualitatifs.

 

Durcissement de l’impôt forfaitaire: les modifications
Mesures pour les deux époux (alors qu’auparavant, elles ne concernaient qu’un des époux):

   • Pas de nationalité suisse
   • Première résidence en Suisse (ou après une absence de 10 ans) 
   • Aucune activité lucrative en Suisse

Nouveaux seuils des calculs de l’imposition à la dépense.

   • Minimum de l’impôt fédéral direct fixé à 400'000 francs
   • Pour les chefs de famille, 7 fois le loyer annuel ou sa valeur locative
 

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