Les risques des ILS exotiques: pourquoi s’en soucier?

John Seo, Fermat Capital Management

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Les ILS exotiques ne constituent pas les pondérations principales des portefeuilles. Les investisseurs sont mal à l’aise avec les risques exotiques.

Les titres assurantiels ou ILS (insurance-linked securities) sont connus principalement pour leur exposition aux risques de catastrophe naturelle, comme les tremblements de terre ou les ouragans; cependant, il existe une catégorie plus petite et moins connue d’ILS exposés à ce que l’on pourrait qualifier de risques exotiques ou d’origine humaine, comme les pandémies, le terrorisme ou les cyber-risques. En règle générale, ces ILS exotiques ne constituent pas les pondérations principales des portefeuilles ILS et, en toute logique, certains investisseurs sont mal à l’aise avec les risques ILS exotiques. Nous avons donc jugé pertinent d’étudier la question suivante: pourquoi faudrait-il se soucier des risques exotiques?

L'évaluation des risques doit souvent être
plus précise qu'il n'est pratiquement possible.

Afin de quantifier adéquatement la couverture des risques liés aux ILS, il devrait être possible d'établir une limite supérieure raisonnable pour le risque estimé et donc un ratio risque/rendement. On ne comprend pas toujours très bien si un risque est «modélisable». On prétend parfois que le risque de catastrophes naturelles peut être modélisé, mais pas les soi-disant risques d'origine humaine. Nous ne partageons pas ce point de vue. L'erreur repose probablement sur l'idée que les risques de marché complexes sont difficiles à modéliser. Bien que nous reconnaissions que cette notion est vraie, le catalogue des risques quantifiables d'origine humaine est vaste. Le principal problème, cependant, est que ces risques sont souvent mal compensés par le marché. Dans la pratique, la «modélisabilité» résulte du niveau de tolérance acceptable aux pannes, c'est-à-dire du degré d'incertitude accepté dans la modélisation. Si un risque n'est pas bien compensé, l'évaluation des risques doit souvent être plus précise qu'il n'est pratiquement possible. Si un risque est exceptionnellement bien compensé, il est possible de fixer une limite supérieure raisonnable pour le risque et de l'utiliser comme base appropriée pour une décision d'investissement saine.

Les risques d’origine humaine

Il convient de noter que les risques d’origine humaine sont une composante naturelle des marchés de l’assurance puisque les déclarations de sinistre sont elles-mêmes sujettes à des biais comportementaux importants. Si ce n’est pas le comportement humain qui déclenche un tremblement de terre, le nombre de demandes d’indemnisation remplies par les assurés individuels affectera bel et bien les montants totaux payés par les compagnies d’assurance pour ce tremblement de terre. S’agissant des risques des ILS, nous estimons que l’incertitude au sujet du comportement des assurés est relativement bien délimitée – certainement mieux que certaines grandes incertitudes inhérentes aux risques macroéconomiques mondiaux – mais il n’en demeure pas moins que le montant des remboursements en cas de sinistre sera en partie défini par des facteurs comportementaux.

Les actions des individus, aussi dramatiques soient-elles, ne sont que peu
de choses à côté des capacités de destruction de Mère Nature.

Les assureurs disent souvent que si une seule maison est détruite par un orage, il s’agit d’une catastrophe pour son propriétaire, même si ce n’est pas une catastrophe pour l’assureur. Ils ont raison. La perte d’un bien humain est toujours importante pour son propriétaire. Pourtant, si on se réfère au grand ordre des choses, les actions des individus, aussi dramatiques soient-elles, ne sont que peu de choses à côté des capacités de destruction de Mère Nature. Un tremblement de terre ou un ouragan dégage souvent autant d’énergie que plusieurs centaines de bombes atomiques. C’est pourquoi les pertes assurées liées à des événements naturels et non d’origine humaine dépassent souvent les capacités des marchés de l’assurance et de la réassurance. C’est pour cette raison que le marché des ILS couvre plus souvent des risques de catastrophes naturelles que les risques d’origine humaine. A noter toutefois qu’il s’agit là d’une tendance, certes forte, mais pas d’une règle qui s’opposerait aux risques ILS d’origine humaine. Dans certains cas, ces risques peuvent créer des opportunités de diversification intéressantes pour les portefeuilles ILS.

Le risque terroriste

Un exemple d’ILS exotique récent est l’obligation catastrophe exclusivement dédiée au risque terroriste émise par Pool Re, un pool issu d’un partenariat public-privé spécialisé sur risque terroriste chargé de la réassurance des dommages aux propriétés commerciales et des interruptions d’activités découlant d’attentats terroristes au Royaume-Uni. Cette obligation, appelée Baltic PCC Ltd, a pris la forme d’une émission de 75 millions de livres sterling au premier trimestre 2019. Cette émission, dont l’objectif était de protéger le Trésor de Sa Majesté et le contribuable britannique d’éventuels remboursements massifs en cas d’attaque(s) terroriste(s) à grande échelle, était remarquable pour deux raisons. Premièrement, elle a été mise sur le marché dans le but d’apporter une réponse extrêmement visible à un enjeu d’importance nationale. Deuxièmement, les informations fournies sur les risques étaient suffisantes pour permettre aux investisseurs de répliquer la modélisation du risque de l’obligation, et donc de réaliser leurs propres tests de résistance de sensibilité et de modèles.

Les risques exotiques resteront globalement une part mineure
du marché des ILS à brève échéance.

La seule surprise est que cette transaction soit arrivée sur le marché des ILS. Aussi repoussant que le risque terroriste puisse être, le marché traditionnel de la réassurance le couvre bien, et Pool Re profite, à juste titre, d’un fort soutien du marché privé de la réassurance. Il semble que ce soit la volonté de développer une bonne relation avec le marché des ILS qui ait motivé les promoteurs de cette émission. Le marché des ILS n’est pas seulement une poche de capital différente du marché traditionnel de la réassurance, capable de le diversifier. Le simple fait qu’il appartienne aux marchés financiers au sens large lui donne, selon nous, la capacité d’en être la poche la plus profonde, le rendant à même de supporter une perte mieux que tout autre mécanisme d’assurance.

Les perspectives d’avenir

Lors des conférences sur les ILS, les gens demandent souvent si les obligations couvrant le risque terroriste, voire les cyber-risques, vont se multiplier. Nous ne savons vers où le marché va aller, mais nous sommes convaincus que les risques exotiques resteront globalement une part mineure du marché des ILS à brève échéance – du moins en termes d’exposition au risque notionnel en circulation. Une fois encore, cette affirmation découle de nos observations: les risques de catastrophe naturelle sont bien plus élevés que les risques ILS exotiques.

Cependant, à mesure que les personnes et la productivité continuent de progresser, tant physiquement que virtuellement, de nouveaux risques vont émerger – peut-être même que certains de ces risques auront le potentiel de créer des pertes assurées égales voire supérieures aux risques naturels actuels pesant sur les biens. En conséquence, à long terme (d’ici dix ans et plus), à mesure que la demande en matière de capacité de prise de risque commencera à dépasser l’offre de réassurance disponible, ce que nous appelons aujourd’hui un risque ILS exotique, pourrait bien ne plus être aussi exotique que cela. Une telle évolution nous incite d’autant plus à observer avec la plus grande attention ces opportunités d’investissement lorsqu’elles se présentent aujourd’hui.

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