Les marchés financiers jouent au chat et à la souris avec les grandes banques centrales

Jumana Saleheen, Vanguard

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Les marchés considèrent qu’une récession ferait peser une pression sur les banques centrales pour abaisser les taux.

Il peut être difficile de comprendre à la fois la politique des banques centrales et les marchés financiers tant ces acteurs jouent au chat et à la souris depuis l’été dernier. Durant tout ce temps, les banques centrales ont fait preuve de fermeté, alors que les marchés, eux, aspiraient à un assouplissement.

Lorsque la Fed s’apprêtait à publier le compte rendu de sa réunion le 4 janvier, les marchés se sont emballés, escomptant une indication que les taux approchaient de leur sommet. Ils ont été déçus. En effet, la Fed a expressément affirmé que les attentes du marché relevaient d’une «perception erronée». Les marchés ont été tout aussi surpris par l’orientation restrictive adoptée par la BCE à l’issue de sa réunion de politique du 14 décembre. Les actions européennes ont essuyé de lourdes pertes dans la foulée.

Quelles sont les raisons de cet antagonisme? Pourquoi les marchés et les banques centrales ne sont-ils pas sur la même longueur d’ondes?

Les raisons sont doubles: les marchés ont leurs propres prévisions sur l’inflation et la croissance, qui sont différentes, et ils ne croient pas à la communication des banques centrales.

En comparant les prévisions publiées par les banques centrales et celles du marché d’une future inflation, on constate effectivement une notable différence. Cela peut en partie expliquer pourquoi ils anticipent une position plus accommodante pour les taux d’intérêt.

D’après nous, l’inflation devrait ralentir en 2023, mais elle ne redescendra au niveau souhaité qu’en 2024 ou 2025. Nous voyons apparaître une légère récession aux États-Unis eu égard au dynamisme du marché du travail, et une récession plus profonde dans l’Union européenne, empêtrée dans la guerre et la crise énergétique.

Les marchés font-ils confiance à la fonction de réaction des banques centrales?

L’attitude restrictive des banques centrales tient à leur mission de lutte contre l’inflation. Avec une inflation inédite depuis plusieurs générations, les banques centrales pensent qu’une nouvelle hausse des taux d’intérêt s’impose pour retrouver le niveau cible de 2%.

Jerome Powell, le président de la Fed, et Christine Lagarde, la présidente de la BCE, sont même allés plus loin, affirmant qu’une fois les taux d’intérêt arrivés à leur sommet, ils devront y rester quelque temps – dans une politique restrictive.

Une certaine confusion règne quant à savoir ce que signifie une politique restrictive et si une telle politique est déjà en place.

Dans les termes de Jerome Powell, une politique restrictive signifie que le taux des fonds fédéraux est supérieur au taux neutre. La Fed estime que ce taux neutre théorique oscille aux alentours de 2 à 3%. Les taux effectifs se situant entre 4,25 et 4,50%, la politique actuelle est bien restrictive.

Selon d’autres interprétations, une politique restrictive signifie que le taux d’intérêt réel – soit le taux d’intérêt nominal moins le taux d’inflation – est positif. Avec une inflation à 7%, la politique actuelle n’est pas restrictive au sens de cette définition.

Les marchés considèrent qu’une récession ferait peser une pression sur les banques centrales pour abaisser les taux. Ils se souviennent que les banques centrales ont agi de la sorte par le passé, à une époque où l’inflation était faible et stable.

Mais en ira-t-il de même en 2023, alors que l’inflation dépasse obstinément le niveau souhaité? Les marchés en sont convaincus. Ils tablent actuellement sur deux réductions de 25 points de base des taux d'intérêt.

À nos yeux, les taux d’intérêt dans la zone euro et aux États-Unis devraient atteindre respectivement 3,5% et 5,0% au printemps 2023 et conserver ce niveau le reste de l’année. Nous n’escomptons pas de baisses de taux en 2023. Nous misons sur l’hypothèse que les taux ne descendront pas avant que le marché du travail ne s’essouffle et que la progression salariale ralentisse à un rythme compatible avec l’objectif d’inflation de 2%.

Les banques centrales sortent toujours gagnantes d’âpres négociations. Elles peuvent ainsi opérer impunément moins de relèvements et laisser les marchés accomplir une plus grande part du travail en ajustant leurs attentes quant à la remontée des taux. Cela amène les cours des actions à chuter et les rendements des obligations à s’accroître, ce qui resserre les conditions financières et affecte l’activité économique.

Le jeu du chat et de la souris n’est pas prêt de s’arrêter.

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