Les conséquences des conflits commerciaux

Stéphane Monier, Lombard Odier

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Le commerce demeure le principal facteur de risque pour l’économie mondiale.

Points clés

  • Malgré les conséquences sur l’économie américaine, l’administration Trump semble déterminée à saper la chaîne d’approvisionnement de la Chine et freiner son ascension au statut de superpuissance.
  • Aucune des deux parties ne semble encline à un accord. Afin de contourner les droits de douane américains, les échanges commerciaux s’effectuent déjà via de nouvelles routes, telles que le Vietnam, la Corée du Sud et Taiwan.
  • Les États-Unis ont supprimé le traitement douanier préférentiel qu’ils accordaient à l’Inde et à la Turquie et sont sur le point d’imposer de nouveaux droits de douane à l’Union européenne au motif des subventions qu’elle accorde à son secteur aéronautique.
  • Les États-Unis ont recouru à l’arme douanière pour obtenir un accord bilatéral sur l’immigration avec le Mexique.
  • Le commerce demeure le principal facteur de risque pour l’économie mondiale.

Pour l’administration Trump, la vigueur actuelle de l’économie américaine représente une opportunité réelle de freiner l’ascension de la Chine au statut de superpuissance. Et ce, quel qu’en soit le coût à court terme pour l’économie des États-Unis. Afin d’endiguer l’essor économique chinois, l’administration américaine a instauré une guerre commerciale dont le but est de mettre la chaîne d’approvisionnement chinoise hors-jeu, même si cela contraint l’économie et les marchés américains à des ajustements difficiles.

Le président chinois Xi Jinping signe de nouveaux accords à Moscou
avec son «allié et ami de coeur», le président russe Vladimir Putin.

Lorsque la Chine a adhéré à l’Organisation mondiale du commerce en 2001, les États-Unis et l’Europe s’attendaient à la mise en place de réformes qui rapprocheraient le modèle chinois d’une économie libérale occidentale. Alors que ce mois de juin 2019 marque le 30e anniversaire du massacre de la place Tian’anmen, les tarifs douaniers appliqués par les États-Unis démontrent à quel point les relations américano-chinoises ont changé ces dernières années.

Rien n’indique par ailleurs que la Chine et les États-Unis s’acheminent vers un accord sur les différends qui les opposent. Au contraire, les choses se sont aggravées avec l’interdiction faite par les États-Unis à leurs entreprises technologiques de traiter avec la société de télécommunications chinoise Huawei, en raison de risques supposés pour la sécurité nationale américaine. Selon le calendrier officiel, les prochaines réunions entre les deux pays auront lieu durant le sommet du G20 qui se tiendra les 28 et 29 juin au Japon – où nous ne nous attendons pas à des avancées significatives. Pendant ce temps, le président chinois Xi Jinping signe de nouveaux accords à Moscou avec son «allié et ami de coeur», le président russe Vladimir Putin.

Des victoires de court terme, des cibles plus nombreuses

Les droits de douane imposés par les États-Unis à la Chine perturbent déjà les flux commerciaux mondiaux, les fournisseurs comme les importateurs exploitant de nouvelles voies commerciales afin de contourner les taxes à l’importation que les deux pays s’infligent l’un à l’autre. Les importations des États-Unis en provenance du Vietnam, de la Corée du Sud et de Taiwan se sont ainsi accrues au cours des six derniers mois, tandis que la Chine a augmenté ses exportations vers ces trois mêmes pays.

Dans un tel contexte, nous surveillons de près les menaces commerciales brandies par Donald Trump, qui a fait de la réduction du déficit commercial des États-Unis l’un des chevaux de bataille de sa présidence.

Le Fonds monétaire international a fait valoir que les droits de douane imposés mutuellement par les États-Unis et la Chine pourraient réduire le PIB mondial de 455 Md USD l’année prochaine. Les tarifs douaniers semblent donc être une mauvaise arme, qui n’atteint pas sa cible.

En mars, l’administration américaine a annoncé qu’elle ne considérait plus la Turquie et l’Inde comme des pays en voie de développement, signifiant par là qu’elle allait supprimer les exemptions de droits de douane dont bénéficient leurs exportateurs vers les États-Unis. Ce changement, devenu effectif ce mois-ci, s’appuie sur le fait que la Turquie «est suffisamment développée sur le plan économique» et que l’Inde ne s’est toujours pas engagée à offrir aux exportateurs américains un «accès équitable et raisonnable à ses marchés». Les États-Unis sont le plus grand partenaire commercial de l’Inde, et représentent un sixième de ses exportations en valeur. Les États-Unis mènent également des investigations relatives à la faiblesse des devises singapourienne et malaisienne.

Donald Trump a également en ligne de mire l’excédent commercial de l’Union européenne (UE) avec les États-Unis. Il menace ainsi d’imposer de nouveaux droits de douane aux constructeurs automobiles allemands, portant sur un ensemble de pièces importées d’une valeur de 53 milliards de dollars, à moins que les négociations en cours ne progressent. En juillet, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) décidera si les États-Unis peuvent appliquer ou non de nouvelles taxes à l’importation de 21 milliards de dollars sur des produits en provenance de l’UE, sur la base d’un différend relatif aux subventions accordées à Airbus (une affaire similaire concernant Boeing est suivie par l’OMC, qui devrait se prononcer contre l’avionneur américain en 2020).

«Tariff Man» marque un temps d’arrêt

Le président Trump recourt de plus en plus souvent à l’arme douanière dans le cadre de ses négociations internationales. Les États-Unis avaient ainsi menacé en mai d’ouvrir un nouveau front commercial en appliquant une taxe de 5% sur toutes les importations mexicaines, taxe majorée de 5% au début de chaque mois suivant, pour atteindre au final 25% en octobre. Le président Trump a fait le lien entre ces tarifs et ce qu’il décrit comme une «entrée illégale d’étrangers» en provenance du Mexique.

Si l’on considère l’économie actuelle des États-Unis, la période peut paraître
mal choisie pour engager de nouveaux conflits commerciaux.

Un accord a été conclu le 7 juin entre les États-Unis et le Mexique, qui «contient, pour une grande part, des actions sur lesquelles le Mexique s’était déjà engagé lors de négociations précédentes avec les États-Unis et qu’il devait prendre au cours des derniers mois», notamment le déploiement de la Garde nationale mexicaine et la rétention des demandeurs d’asile au Mexique pendant que leurs dossiers sont étudiés aux États-Unis, a indiqué le New York Times. Que Donald Trump ait concédé cet accord portant sur des mesures frontalières à la suite de pressions exercées au sein de sa propre formation, le Parti républicain, ou qu’il ait tout simplement compris les dommages que de nouvelles taxes à l’importation causeraient, le 10 juin, il a twitté que, si le gouvernement mexicain ne mettait pas en œuvre les mesures annoncées, les droits de douane envisagés seraient bien appliqués.

Le danger, c’est que l’administration Trump «tente d’utiliser les tarifs douaniers pour résoudre tous les problèmes qui se présentent, sauf le VIH et le changement climatique», a déclaré le sénateur républicain James Lankford la semaine dernière.

Le Mexique dépend du marché américain pour près de 30% de son PIB. Par conséquent, toute nouvelle taxe sur ses exportations éroderait les marges bénéficiaires des entreprises et nuirait au marché du travail.

«Un retour massif d’emplois»

Si l’on considère l’économie actuelle des États-Unis, la période peut paraître mal choisie pour engager de nouveaux conflits commerciaux. Selon la déclaration faite par la Maison Blanche, la logique à l’œuvre derrière le bras de fer avec le Mexique serait que des droits de douane élevés exercés sur les produits mexicains inciteraient «des entreprises situées au Mexique à commencer à revenir aux États-Unis», provoquant «un retour massif d’emplois dans les villes et villages américains».

Si les États-Unis espèrent stimuler ainsi leur secteur manufacturier national, il semble cependant peu probable que des emplois soient automatiquement transférés sur le sol américain, où la pénurie de main-d’œuvre risque plutôt de faire grimper les salaires. Le taux de chômage américain est à son plus bas niveau depuis 50 ans, à 3,6%, et ce sont les secteurs les plus susceptibles d’être affectés par les droits de douane qui pâtiraient le plus du manque de main-d’œuvre. La première cible à être touchée serait le matériel de transport (principalement des pièces automobiles), secteur qui représente plus du tiers des exportations du Mexique vers les États-Unis, pour une valeur de 120 milliards de dollars en 2018, et qui a généré le déficit commercial américain le plus important avec le Mexique l’année dernière.

Selon les prévisions, les tarifs douaniers imposés à la Chine devraient déjà accroître l’inflation aux États-Unis, la hausse des coûts des importations affectant les dépenses des ménages et les chaînes d’approvisionnement des entreprises. Cela pourrait avoir des répercussions sur le PIB américain, qu’aggraverait encore tout affaiblissement des marchés actions.

Le droit de douane moyen appliqué par les États-Unis
à leurs partenaires commerciaux était de 1,7% en 2017.

La menace de droits de douane appliqués au Mexique a également créé la surprise puisque, le 17 mai, les États-Unis avaient convenu avec le Canada et le Mexique de lever leurs droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium de ces derniers, et de porter les différends qui les opposaient devant l’OMC. Les nouvelles taxes ont été accusées de bloquer la ratification de l’accord États-Unis-Mexique-Canada (USMCA) signé en novembre dernier.

En vertu de l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), toujours en vigueur entre le Mexique, le Canada et les États-Unis, la plupart des échanges commerciaux entre les trois économies sont exempts de droits, tandis que le droit de douane moyen appliqué par les États-Unis à leurs partenaires commerciaux était de 1,7% en 2017, selon la Banque mondiale.

Une crédibilité entamée

Le Mexique est le principal fournisseur des États-Unis dans les domaines de la construction et de l’équipement automobile, ainsi que de l’équipement industriel. Il est donc difficile pour les fabricants américains de trouver des fournisseurs alternatifs pour des pièces qui, dans le cours de leur production, traversent la frontière plusieurs fois (entraînant le paiement de droits de douane à chacun de leurs passages).

Il semble probable que le président Trump souhaite que l’électorat
de son pays ne le perçoive plus seulement comme «Tariff Man».

En outre, et contrairement aux exportateurs chinois vers les États-Unis, les fabricants dont les pièces automobiles transitent par la frontière américano-mexicaine disposent de moins d’itinéraires alternatifs pour dévier leurs activités.

Ces nouvelles incertitudes induites par les droits de douane ont d’importantes conséquences à court terme, car elles minent la crédibilité de l’administration Trump dans ses négociations avec la Chine. Les États-Unis sont censés être sur le point de ratifier l’USMCA, mais le différend qu’ils ont créé avec le Mexique indique qu’on ne peut plus leur accorder une totale confiance dans la tenue des engagements déjà pris avec leurs plus proches voisins. Cela détériore la réputation des États-Unis en tant que contrepartie fiable dans les négociations internationales et accroît la volatilité des marchés.

Alors que le calendrier politique américain se rapproche de l’élection présidentielle de 2020, il semble probable que le président Trump souhaite que l’électorat de son pays ne le perçoive plus seulement comme «Tariff Man» mais aussi comme un bon négociateur. Son approche est néanmoins dangereuse car la production manufacturière et économique reste tributaire des flux commerciaux ininterrompus qui ont été établis au cours des dernières décennies.

Bien que Donald Trump semble être plus réticent à traiter ses partenaires économiques et ses alliés les plus proches de la même manière que la Chine, le commerce mondial demeure extrêmement sensible aux perturbations. Comme nous l’avons déjà souligné, il reste la plus grande menace pour l’activité économique mondiale, dont l’impact continue de surprendre par sa vitesse et sa propagation.

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