L’escalade commerciale menace l’économie mondiale

Stéphane Monier, Lombard Odier

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Plus longtemps le différend perdurera, plus la menace qui pèse sur le PIB chinois et américain et le risque de contagion des marchés augmenteront.

Après avoir, dans un premier temps, provoqué une crise commerciale, le président américain Donald Trump vient d’augmenter les droits de douane sur des milliers d’importations chinoises, aggravant une guerre commerciale qui met en danger une économie mondiale fragile, aux prises avec une croissance faible et un crédit bon marché.

Donald Trump soutient que le déficit commercial record des Etats-Unis est économiquement dommageable et s’est engagé à le réduire. En 2018, les Etats-Unis présentaient un déficit commercial avec la Chine de 419,3 milliards de dollars. Depuis le 10 mai, ils imposent des tarifs douaniers de 25% sur 250 milliards de dollars de produits chinois. Pour sa part, la Chine a répliqué l’année dernière en taxant des marchandises d’une valeur de 110 milliards de dollars, ce qui couvre près de l’intégralité de ses importations en provenance des Etats-Unis, et a menacé d’aller plus loin. En novembre, les Etats-Unis avaient suspendu les augmentations des taxes, les deux parties ayant accepté de négocier.

Les déclarations de D. Trump semblent destinées à souligner
sa fermeté alors qu’il prépare sa candidature à la réélection en 2020.

Jusqu’à la semaine dernière, les discussions semblaient aboutir sur un accord. Cependant, peu de temps avant la réunion prévue avec le vice-premier ministre chinois Liu He, les Etats-Unis ont reçu un projet d’accord modifié dont les termes ont été jugés inacceptables par la Maison-Blanche, a rapporté Reuters. Alors que tout accord commercial de 150 pages exige des amendements une fois traduit en chinois, les Etats-Unis ont fait valoir que les changements apportés revenaient sur les engagements prévus concernant les subventions industrielles, la protection de la propriété intellectuelle et l’accès au marché.

«Ils ont rompu l’accord», a déclaré le président américain lors d’un rassemblement la semaine dernière. «Ils ne peuvent pas agir ainsi. Alors ils vont payer». Les déclarations de D. Trump, souvent diffusées sur Twitter, semblent destinées à souligner sa fermeté alors qu’il prépare sa candidature à la réélection en 2020. A l’inverse, l’agitation du président américain confère probablement à Xi Jinping une image d’homme fort aux yeux du public chinois.

«Aucune urgence»

Selon les estimations du Fonds monétaire international, les taxes infligeront à l’économie chinoise des dommages de l’ordre de 0,5-1,5% du PIB. L’institut met par ailleurs en garde contre la menace que représente ce différend commercial pour l’économie mondiale.

Dans un premier temps, les marchés ont chuté en réaction aux déclarations du président Trump. Ensuite, lorsque les droits de douane ont été confirmés, les investisseurs ont estimé avec optimisme que, puisque les taxes ne s’appliquent qu’aux marchandises expédiées à partir du 10 mai, un accord pourrait être atteint (contrairement aux hausses des taxes précédentes qui ont été mises en œuvre immédiatement) dans les semaines précédant le début du paiement par les entreprises et les consommateurs des marchandises arrivant à la frontière.

Donald Trump a envoyé un tweet le jour même affirmant qu’il n’y avait «aucune urgence» à parvenir à un accord, ces paiements massifs bénéficiant «directement au Trésor américain».

Le fait que le président américain ne considère
pas la situation comme urgente est inquiétant.

Néanmoins, il convient de souligner que ce n’est pas ainsi que fonctionnent les droits de douane à l’importation. Si ces derniers sont effectivement versés au Trésor, ce sont les importateurs américains qui s’en acquittent au port d’entrée. Habituellement, ils répercutent ces coûts supplémentaires sur leurs clients.

Le fait que le président américain ne considère pas la situation comme urgente est inquiétant, car plus le différend dure, plus les risques de contagion s’accroissent, les entreprises cherchant à remplacer les voies commerciales existantes.

«La Chine regrette profondément cette décision et sera forcée de prendre les contre-mesures nécessaires», affirme un communiqué du ministère chinois du Commerce publié dans les minutes qui ont suivi l’entrée en vigueur des taxes douanières américaines. Le communiqué ne précise toutefois pas la forme que doivent prendre ces contre-mesures. La Chine ayant davantage à perdre dans une lutte des tarifs, elle pourrait choisir de riposter en rendant le climat des affaires plus hostile pour les entreprises américaines. En effet, le gouvernement chinois a une certaine expérience des représailles non tarifaires dans ses relations avec le Japon et la Corée du Sud.

Escalade rapide

La perspective d’un accord négocié était déjà largement intégrée dans le cours avant l’annonce de D. Trump, et les marchés ont chuté la semaine dernière. Toute mauvaise nouvelle supplémentaire pourrait rapidement miner davantage les marchés.

Fait inquiétant pour les entreprises qui tentent d’expédier des marchandises entre les Etats-Unis et la Chine, il s’est écoulé moins d’une semaine entre les premiers signes d’un contretemps dans les négociations et l’augmentation des tarifs. Par le passé, l’administration Trump avait annoncé les augmentations longtemps à l’avance.

Naturellement, le différend porte autant sur l’équilibre géopolitique des pouvoirs que sur le commerce. La Chine tente de mener à bien sa transformation en une économie davantage axée sur les services, et ce, sur fond de baisse du rythme de croissance, de hausse des salaires et d’augmentation des coûts sociaux liés au vieillissement de la population.

Une fois qu’un accord de retrait sera en place,
les négociations sur le Brexit deviendront plus techniques.

Les Etats-Unis soutiennent que la Chine devrait offrir davantage de soutien et de leadership au commerce mondial, et que les politiques de la Chine faussent de nombreux secteurs. En novembre 2017, le représentant américain au commerce Robert Lighthizer avait parlé d’un «défi très, très sérieux, non seulement pour [les Etats-Unis], mais aussi pour l’Europe, le Japon et le système commercial mondial». (Voir graphique 1 pour les risques d’escalade).

«Breternité»

A Londres, c’est un autre type de négociations commerciales qui est en cours. Les deux principaux partis politiques britanniques ont entamé des pourparlers sans relief pour parvenir à un consensus sur la sortie de Royaume-Uni de son principal marché. En dépit du caractère fragmenté et partisan des échanges, la personne qui finira par succéder à Theresa May au poste de premier Ministre britannique a toutes les chances de se retrouver avec l’accord de retrait qui est déjà proposé aujourd’hui. Elle blâmera alors probablement l’héritage de Theresa May et la décision démocratique prise sur la base d’hypothèses erronées en juin 2016 pour les effets qui s’ensuivront.

Comme nous l’avons déjà écrit, une fois qu’un accord de retrait sera en place, les négociations sur le Brexit deviendront plus techniques. Et il pourrait alors apparaître plus clairement que tout choix autre que celui de rester dans l’UE fait au nom d’une plus grande indépendance se traduira par un affaiblissement de l’économie britannique. Malgré son caractère déstabilisant, cette relation ne contient cependant pas les germes d’une menace plus importante pour le commerce international.

Cette affirmation ne s’applique pas au différend qui oppose les Etats-Unis à la Chine. La Chine présente une dépendance exceptionnelle à ses exportations vers les Etats-Unis, qui éclipsent celles à destination de l’Europe et de Hong Kong (voir graphique 2).

Au moment où nous écrivons ces lignes, le président Trump a déclaré que le processus avait commencé pour imposer des droits de douane de 25% sur l’ensemble des importations chinoises restantes. A moins que les Etats-Unis et la Chine ne parviennent à sauver la face pour aboutir à un compromis, ce différend commercial semble bien constituer la plus grande menace immédiate pour la stabilité économique mondiale.

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