Leadership mondial en mutation: répercussions sur l’investissement durable

Sophie Chardon, Banque Lombard Odier & Cie SA

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La durabilité ne passera pas à l’arrière-plan. Elle pourrait simplement sembler moins dogmatique et refléter de plus près les différents argumentaires économiques.

L’élection de Donald Trump marque un changement fondamental en matière de durabilité, aux Etats-Unis et à l’échelle mondiale. Les grands gestionnaires d’actifs mettent un bémol à leurs engagements durables et les multinationales allègent leurs programmes de diversité et inclusion. Pourtant, après un recul marqué fin 2024, les thèmes de l’investissement durable se sont globalement redressés, à mesure de la réévaluation des perspectives de bénéfices.

De fait, plusieurs secteurs essentiels à l’investissement durable, tels que la santé, l’énergie et la sécurité alimentaire, prennent une importance stratégique dans un monde moins coopératif et plus compétitif. Depuis le début de l’année, notre sélection d’investissements durables et thématiques se sont généralement mieux comportés que les indices de référence traditionnels, soutenus non seulement par leur orientation vers les matériaux, l’industrie mais aussi par leur exposition aux services publics en Europe (voir graphique). Nous pensons que ces résultats découlent, d’une part, des solides engagements annoncés en dehors des Etats-Unis et, d’autre part, du maintien d’une forte croissance des bénéfices enregistrée par nos leaders de la transition.

Perspectives pour les États-Unis: de l’échelle fédérale à l’échelle étatique

Comme l’on pouvait s’y attendre, les Etats-Unis se sont retirés de l’Accord de Paris et ont révoqué leur plan international de financement climatique. Au niveau national, avec notamment la résiliation du New Green Deal, la suspension des versements de fonds dans le cadre de la loi «Inflation Reduction Act» , le nouveau gouvernement a instauré un revirement politique plus prononcé que prévu. Lee Zeldin, nouveau directeur de l’Agence américaine de protection de l’environnement, a annoncé 31 mesures historiques instituant la déréglementation la plus étendue et la plus controversée de toute l’histoire du pays. Cela étant, ses répercussions ne se feront probablement sentir qu’à moyen ou à long terme, en raison des prescriptions juridiques à respecter et parce que l’engagement de la population est nécessaire.

De toute évidence, les technologies non rentables, sans subventions ou autres mesures de soutien réglementaire, ne seront pas adoptées de façon généralisée sur le marché américain. Toutefois, certaines innovations ciblées et rentables pourraient remporter des parts de marché et prendre le pas sur d’autres solutions moins durables, car la dynamique de réduction des coûts reste le moteur dont l’impact est le plus important.

Durabilité: la Chine pourrait bientôt passer au premier plan

La Chine a déjà atteint son objectif de pic d’émissions prévu pour 2030, avec six ans d’avance sur le calendrier, et ses émissions pourraient diminuer dès cette année. Les motivations de la Chine sont d’ordre économique, mais indiquent aussi qu’elle a pris conscience de sa vulnérabilité face aux effets physiques du changement climatique. De fait, la deuxième économie mondiale consolide son avance dans des secteurs clés tels que les énergies renouvelables et les véhicules électriques. Dans cette deuxième catégorie, le pays a le vent en poupe, soutenu par une chaîne d’approvisionnement nationale robuste, des capacités de recherche de calibre mondial et une volonté politique exceptionnelle. En 2024, la Chine représentait 60% des ventes mondiales de véhicules électriques et affichait une croissance de 16% en glissement annuel dans le secteur.

Europe: un nouveau coup d’accélérateur vers la durabilité

L’Europe a dévoilé son «pacte pour une industrie propre», qui combine le Pacte vert pour l’Europe et le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité. Bien qu’il soit explicitement destiné à améliorer la compétitivité des industries locales en garantissant l’accès à une énergie abordable, ce train de mesures réitère également l’objectif « net-zéro » d’ici à 2050 de la région, ainsi que l’objectif de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre de 90% d’ici à 2040. Ces deux objectifs sont loin d’être contradictoires, car, dans la plupart des régions -en particulier celles faiblement dotées en énergies fossiles, l’éolien et le solaire onshore affichent déjà le coût actualisé net moyen le plus bas pour l’électricité produite par un générateur sur sa durée de vie. De plus, le pacte pour une industrie propre souligne l’importance de la circularité, visant à faire de l’Union européenne un leader mondial de l’économie circulaire d’ici à 2030. L’acte législatif sur l’économie circulaire (qui devrait être adopté en 2026) facilitera la transition vers les produits et matériaux circulaires, dans le but de renforcer le taux d’utilisation de matériaux circulaires de 12% à 24% d’ici à 2030.

Investissement durable en 2025

Les politiques affectent naturellement le calendrier et les intérêts nationaux déterminent le caractère urgent (ou non) de la transition. Dans un monde moins coopératif et plus compétitif, plusieurs secteurs prennent une importance stratégique : la technologie, l’énergie, l’alimentation et la santé, pour lesquels il est désormais essentiel de garantir la compétitivité, l’innovation et l’accessibilité au plus grand nombre. Il est sur ce point intéressant de noter l’annonce par Lee Zeldin à la fin du mois d’avril d’une première série de proposition d’actions et de régulations pour lutter contre la présence de PFAS (ou polluants éternels) dans l’eau aux Etats-Unis.

Ainsi, si les initiatives climatiques mondiales pourraient devenir moins pressantes, cela ne signifie pas pour autant que la durabilité passe à l’arrière-plan. Elle pourrait simplement sembler moins dogmatique et refléter de plus près les différents argumentaires économiques, à un moment où les risques physiques deviennent plus visibles et quantifiables dans la plupart des régions, secteurs et des chaînes d’approvisionnement. De nouveaux champions de la durabilité émergent, à mesure que leurs intérêts nationaux et commerciaux les hissent au rang de leader dans le domaine concerné.

Nos leaders de la transition* ont rattrapé les indices de référence traditionnels au premier trimestre


* La liste des leaders CLIC® est une liste interne des entreprises sélectionnées par notre équipe d’analystes Actions au sein de l’univers d’investissement, tel qu’il est défini par notre équipe d’analystes Durabilité. Elle vise à identifier les entreprises qui sont bien placées pour saisir la valeur inhérente à la transition, qui contribuent de manière significative à la transition durable et qui affichent des fondamentaux financiers solides et des valorisations attractives. 
Sources: Bloomberg et calculs Lombard Odier

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