Le net zéro doit être pris au sérieux

Mads Nipper, Ørsted

4 minutes de lecture

En ce début d’année 2022, les grandes entreprises disposent d’une opportunité nouvelle d’établir leur crédibilité climatique.

©Keystone

On ne compte plus le nombre d’objectifs zéro émission nette à travers le monde. De plus en plus de pays, régions, villes et entreprises annoncent qu’ils ajusteront leur stratégie de croissance pour s’aligner avec l’objectif de l’accord climatique de Paris consistant à limiter à 1,5°C la hausse des températures planétaires par rapport aux niveaux préindustriels. Fin 2021, environ 90% du PIB mondial étant concerné par une forme ou une autre d’engagement net zéro, notamment de la part de plus de 680 des plus grandes sociétés au monde.

Or, en dépit de cette multiplication considérable du nombre de nouveaux engagements, l’action véritable des entreprises sur le terrain est à la traîne, dans la mesure où nous manquons d’une compréhension scientifique commune de ce que signifie une stratégie d’entreprise zéro émission nette. De trop nombreux engagements net zéro formulés par les entreprises échouent à prendre correctement en compte tous les gaz à effet de serre (GES) concernés. Nombre de promesses ne fixent par ailleurs aucune date cible claire d’ici le milieu du siècle, n’appréhendent pas l’ensemble de la chaîne de valeur de leurs produits, et ne reflètent pas l’urgence d’une réduction substantielle des émissions d’ici 2030. Pire encore, de nombreux engagements comptent beaucoup trop sur la compensation des émissions via l’achat de crédits générés par des projets de réduction et d’élimination dans d’autres régions.

Pas étonnant que le secrétaire général des Nations Unies António Guterres parle d’un «déficit de crédibilité» et d’un «excès de confusion autour de la réduction des émissions et des objectifs net zéro». La bonne nouvelle, c’est qu’avec le lancement récent de la norme Net-Zero pour les entreprises dans le cadre de l’initiative Science Based Targets (SBTi), nous disposons désormais d’un cadre permettant d’expliquer aux entreprises comment inscrire leur plan climatique en phase avec la science.

Les objectifs net zéro crédibles doivent inclure tous les GES concernés, et couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur d’une entreprise.

Cette nouvelle norme démontre qu’il n’existe pas de raccourci sur cette voie. Les objectifs net zéro crédibles doivent inclure tous les GES concernés, et couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur d’une entreprise. Ils doivent également viser une réduction de moitié des émissions d’ici 2030, pour atteindre le net zéro d’ici 2050 au plus tard. Plus important encore, le plan d’une entreprise doit consister à réduire ses émissions de 90% à 95% avant tout recours à des compensations lui permettant d’atteindre l’objectif net zéro.

Combler le déficit de crédibilité des entreprises en la matière implique d’en finir avec cette période au cours de laquelle de nombreuses sociétés pouvaient se contenter de contrebalancer leurs émissions au moyen de compensations leur permettant de prolonger leur capacité à polluer. Le secteur privé a désormais l’opportunité et l’obligation de s’aligner avec la science. En phase avec cette démarche, nous avons élaboré l’an dernier chez Ørsted un plan de décarbonation à long terme en vertu de la nouvelle norme de la SBTi, et sommes devenus la première société énergétique au monde à présenter un objectif net zéro validé et fondé sur la science.

Nous tirons d’ores et déjà plusieurs enseignements précieux de cette expérience, dont la nécessité de cartographier l’ensemble des émissions liées à la production et aux opérations énergétiques, à l’électricité achetée, ainsi qu’à la chaîne logistique en amont et à l’utilisation en aval des produits vendus. Ce n’est qu’à travers une cartographie appropriée que nous pouvons identifier et appréhender les points sensibles en termes d’émissions sur notre chaîne de valeur. Il est également essentiel d’écouter nos fournisseurs stratégiques. Maintenant que nous connaissons leurs propres points faibles en matière de décarbonation, nous pouvons travailler ensemble pour y remédier.

Autre enseignement majeur, les entreprises doivent développer et exploiter les compétences appropriées dans leurs propres rangs. Compte tenu du large impact de la transition vers le net zéro dans les différents domaines d’activité, la gestion de cet impact exige un ensemble divers de connaissances et de compétences. Et bien que nous connaissions la direction et la destination de notre trajectoire de décarbonation, nous avons appris à accepter que nous ne maîtrisions pas encore chaque étape requise pour achever ce parcours. Dans nos travaux autour de notre trajectoire de décarbonation, nous avons réalisé combien les orientations et critères de la SBTi se révélaient cruciaux.

Ces enseignements ne seront peut-être pas applicables à toutes les sociétés, mais le fondement d’une action climatique d’entreprise crédible demeure pour l’essentiel le même : les solutions énergétiques vertes. Plus de 70% des émissions de GES provenant du secteur énergétique, une transition rapide vers les énergies renouvelables constitue la clé de la décarbonation au niveau mondial. Consommatrices majeures d’énergie, les grandes entreprises peuvent apporter une importante contribution en déployant ou en achetant des énergies vertes, notamment via des accords d’achat d’électricité renouvelable. Elles peuvent également mener une action directe de réduction des émissions au sein de leurs propres opérations et sur leurs propres chaînes logistiques.

Les politiques nationales actuelles nous positionnent sur une trajectoire de 2,7°C de réchauffement d’ici la fin du siècle. C’est inacceptable. 

Il y a là une opportunité majeure pour les entreprises, grâce à laquelle Ørsted aura intégralement mis un terme à sa production au charbon d’ici la fin de l’année 2023. En continuant de développer notre portefeuille d’énergies renouvelables, et en réduisant nos émissions directes de carbone, nous serons en mesure d’atteindre une réduction d’au moins 98% de notre intensité carbone d’ici 2025 (par rapport aux niveaux de 2006), ainsi que la neutralité carbone d’ici cette même année concernant notre production et nos opérations énergétiques. Pour appréhender les émissions en amont et en aval sur notre chaîne de valeur, nous mettrons progressivement un terme à nos ventes de gaz naturel, et réduirons les émissions issues de l’acier au niveau de nos éoliennes, ainsi que les combustibles maritimes utilisés pour notre logistique offshore. Ces efforts globaux de décarbonation, associés à la compensation de moins de 10% des émissions résiduelles, nous permettront d’atteindre zéro émission nette sur l’ensemble de notre chaîne de valeur d’ici 2040.
 
Des signaux gouvernementaux n’en demeurent pas moins nécessaires pour contribuer à renforcer plus largement une action climatique crédible de la part des entreprises. Les politiques nationales actuelles nous positionnent sur une trajectoire de 2,7°C de réchauffement d’ici la fin du siècle. C’est inacceptable. Les engagements climatiques des Etats («contributions décidées au niveau national») doivent être renforcés avant la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP27) de Charm el-Cheikh cette année. De plus forts engagements nationaux engendreraient à tout le moins une boucle de rétroaction positive dans le secteur privé, en mettant un terme à certaines incertitudes en matière de mesures politiques.

Mais les gouvernements peuvent également accomplir bien davantage pour dynamiser les efforts climatiques des entreprises. Une première étape essentielle consisterait à fixer des objectifs d’énergies renouvelables plus élevés, ainsi qu’à établir des cadres de marché plus transparents afin d’accélérer le déploiement de ces énergies. Les gouvernements pourraient également exiger des déclarations d’émissions plus rigoureuses, de sorte que les investisseurs puissent évaluer correctement les risques climatiques liés aux entreprises, et poursuivre une décarbonation sur l’ensemble de la chaîne de valeur. De réelles avancées dans la lutte contre le changement climatique nécessitent une réelle transparence.

Par ailleurs, la commande publique, qui représente 13% à 20% du PIB mondial, peut constituer un puissant outil d’accélération de la réduction des émissions. C’est particulièrement vrai dans le secteur énergétique. En intégrant des critères climatiques aux appels d’offres publics, les gouvernements peuvent vivement inciter les entreprises à se positionner sur une véritable trajectoire de décarbonation.

L’an dernier, la COP26 de Glasgow nous a confié une mission claire: adapter à l’objectif les cibles net zéro. En ce début d’année 2022, les grandes entreprises disposent d’une opportunité nouvelle d’établir leur crédibilité climatique. C’est ce que la science exige – comme en fin de compte leurs bénéfices.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

Copyright: Project Syndicate, 2022.
www.project-syndicate.org

A lire aussi...