La difficile nécessité du temps long

Wilfrid Galand, Montpensier Finance

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La crise aigüe en Ukraine met en évidence nos fragilités économiques et la difficile nécessité de repenser le temps long en économie.

L’entrée brutale des troupes russes en Ukraine le 24 février a sonné le réveil du tragique sur le Vieux Continent. Depuis cinquante-quatre ans, et l’entrée des chars du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie, jamais l’ours Russe n’avait à ce point montré les griffes pour étendre ou consolider son influence.

L’impact a été immédiat sur les marchés financiers: le pétrole s’est envolé au-delà de 100 dollars le baril, au plus haut depuis 2014 et les autres matières premières ont suivi: gaz naturel, blé, nickel, aluminium, engrais tout ce qui abonde en Russie et alimente l’industrie mondiale.

L’impact économique va suivre, inévitablement, en particulier en Europe: poussée inflationniste, aggravation des pénuries de matières premières, montée des incertitudes quant au comportement des agents économiques.

Ces événements mettent en lumière l’immense difficulté, des pouvoirs publics comme des entreprises privées, à intégrer les scénarios du temps long dans leurs décisions économiques.

Seule l’anticipation et la gestion du temps permettent d’assurer les conditions de la prospérité, de la stabilité et, surtout, de la liberté.

L’exemple le plus frappant est celui du secteur énergétique. A ce jour, l’Allemagne dépend à 55% du gaz russe pour ses approvisionnements. L’Italie en dépend à hauteur de 40%. Pour certains pays, comme l’Autriche, la Roumanie, la Slovaquie ou les pays baltes, ce sont plus de 80% de leur approvisionnement en gaz qui proviennent de Russie.

Or ce taux a augmenté au fil des années, et en particulier après l’accident de Fukushima en mars 2011. L’Allemagne n’importait, en 2010, «que» 40% de son gaz en provenance de la Russie. La mise en service du gazoduc Nordstream 1 en 2012 a accéléré considérablement le processus tandis que les liens économiques entre la Russie et l’Allemagne ne cessaient de se renforcer, matérialisés par l’omniprésence de l’ancien chancelier Gerhard Schroder dans le secteur énergétique russe.

L’instabilité au Moyen-Orient avec la multiplication des «printemps arabes» en 2011 a également incité de nombreux pays européens à se tourner de plus en plus vers la Russie alors que les gisements norvégiens et néerlandais entamaient leur déclin, faute d’investissements.

Car c’est bien l’absence d’investissement stratégique de long terme dans le secteur, accompagné d’un incontestable aveuglement quant aux capacités actuelles des énergies renouvelables à absorber l’accroissement des besoins en électricité, qui explique la dépendance actuelle de l’Europe envers la Russie. L’absence de confiance dans l’énergie nucléaire, alimentée par les peurs générées par le très spécifique accident de Fukushima, n’a pas permis de développer en Europe une énergie décarbonée et indépendante des soubresauts stratégiques de notre puissant voisin.

La tragédie ukrainienne est d’abord une tragédie humaine et sociale. Mais ses leçons économiques devront être vite intégrées: seule l’anticipation et la gestion du temps permettent d’assurer les conditions de la prospérité, de la stabilité et, surtout, de la liberté. 

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