L’appréciation du dollar américain depuis un an est d’une ampleur rare et soulève des inquiétudes.
Le dollar américain est la monnaie de réserve par excellence, qui remplit trois grandes fonctions au niveau mondial. C’est un moyen de paiement utilisé pour régler une grande partie du commerce international. C’est une unité de compte dans laquelle sont libellés des biens tels que les matières premières. C’est une réserve de valeur vers laquelle se tournent les investisseurs en période d’incertitude ou les banques centrales des pays émergents pour renforcer la stabilité de leur monnaie. Certes de grands pays tels que la Chine ont réduit leur usage du dollar pour le règlement du commerce international. Mais elle conserve une grande partie de ses réserves de change en dollars américains. Aussi, depuis la crise des dettes souveraines en zone euro il y a une décennie, le concept de monnaie de réserve s’est recentré sur le dollar (lien).
L’appréciation du dollar américain depuis un an est d’une ampleur rare et soulève des inquiétudes compte tenu de son statut évoqué plus haut. La contrepartie d’un renchérissement du dollar est davantage d’inflation importée pour les partenaires commerciaux des Etats-Unis, et un assèchement de la liquidité en dollars sur les marchés internationaux de capitaux. La conséquence est un coût de financement plus élevé pour les entreprises ou états qui ont des dettes en dollars mais une source de revenus en monnaie locale et, une difficulté accrue pour se refinancer.
Cette hausse du dollar reflète la hausse agressive des taux directeurs par la Réserve Fédérale américaine depuis plusieurs mois alors que niveau d’inflation pose un problème de crédibilité à l’institution. Mais cette appréciation reflète aussi les tensions géopolitiques en Europe qui ont contribué à fortement déprécier l’euro, sans parler de la confusion politique en Grande-Bretagne qui a affaibli la livre britannique. Le dollar bénéficie donc d’une prime de risque qui est le miroir du manque de visibilité en Europe sur la crise énergétique.
Faire le pari d’une inversion de tendance du dollar c’est, en partie, faire le pari que la guerre en Ukraine va s’achever et que le déficit commercial, qui s’est creusé en zone euro en raison de la hausse des prix de l’énergie importée, va se résorber. A l’heure actuelle, c’est un pari difficile qui relève plus de l’astrologie compte tenu de l’impossibilité de prévoir l’issue du conflit après la récente escalade. Et même dans un scénario optimiste, le monde d’après en ce qui concerne la sécurité et le coût des approvisionnements énergétiques en Europe ne comptera plus avec la Russie pendant longtemps.
Pour autant, les indicateurs de valorisation, les indicateurs techniques, ou le biais acheteur très marqué des investisseurs suggère qu’un revirement marqué interviendra. Un choc exogène tel qu’une action concertée et coordonnée de nombreuses banques centrales pour vendre du dollar et faire baisser sa valeur pourrait précipiter le revirement. A l’heure actuelle il semble peu probable de revivre les accords du Plaza en 1985, mais un tel accord reste une possibilité face à la hausse du dollar.
C’est afin de se protéger contre ce scénario, dont la probabilité est faible à l’heure actuelle, mais les conséquences potentiellement significatives, que nous avons commencé à réduire notre positionnement long sur le dollar américain dans notre allocation d’actifs. Il semble trop tôt pour envisager un revirement brutal, à moins d’un imprévu, ce qui n’est pas rare dans les circonstances de marché actuelles ! Mais à nos yeux son potentiel haussier est désormais limité. Au sein des devises européennes, la livre britannique nous semble plus attrayante que l’euro pour jouer la stabilisation du dollar et un rééquilibrage des expositions de devises au sein des portefeuilles. Le décrochage récent de la livre contre le dollar ou contre l’euro, la volonté de la banque d’Angleterre de stabiliser les marchés en faisant des hausses de taux plus agressives, et après le revirement des autorités budgétaires sur certains aspects du plan de relance, il nous semble que la livre britannique a un potentiel de rebond. D’un point de vue géopolitique, la Grande Bretagne est aussi moins sensible aux ruptures d’approvisionnement en pétrole et gaz russes que l’Europe continentale.