Le talon d’Achille de l’économie mondiale

Philippe Ferreira, Kepler Cheuvreux Solutions

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Depuis plusieurs mois, un nouveau virus s’est propagé dans l’économie mondiale.

Depuis plusieurs mois, un nouveau virus s’est propagé dans l’économie mondiale. Il ne s’agit pas de questions sanitaires, même si en Chine la Covid-19 est encore une source de perturbations. Il s’agit de la flambée du prix de l’énergie qui se diffuse insidieusement à tous les secteurs de l’économie. Le Brent a progressé de 60% en dollars au cours des douze derniers mois (90% en euros!). En parallèle, le prix du gaz, de l’électricité, des biens alimentaires et des métaux industriels a explosé.

Les causes sont connues: à la réouverture des économies post-Covid s’est ajouté la guerre en Ukraine. En toile de fond, plusieurs membres de l’OPEP n’arrivent pas à produire à hauteur de leurs quotas de production. En Russie, la production de pétrole a chuté de plus d’un million de barils/ jour depuis le début de la guerre en Ukraine. Elle devrait continuer à chuter de 2millions de barils/ jour supplémentaires sous l’effet des sanctions européennes qui seront pleinement effective en fin d’année. Enfin, la pression exercée sur le secteur financier pour cesser de financer les hydrocarbures, de même que les contraintes environnementales, contribuent au sous-investissement à moyen/ long terme.

Les craintes de ralentissement économique voire de récession ne sont pas tout à fait intégrées dans le prix des actifs.

Du point de vue du consommateur, la hausse des prix de l’énergie agit comme une taxe qui ampute son pouvoir d’achat. En mai 2022, la composante énergie des indices de prix à la consommation a progressé de 40% en zone euro et de 35% aux Etats-Unis sur un an. Face à la hausse des coûts de l’énergie et du fret, les entreprises relèvent les prix pour protéger leurs marges. L’inflation sous-jacente, qui exclut l’alimentation et l’énergie, a progressé de 6% aux Etats-Unis et de 3,8% en zone euro. Les banques centrales, très loin de leur cible d’inflation, n’ont qu’une seule option pour préserver leur crédibilité: durcir la politique monétaire pour freiner la demande. Le consommateur, pris en étau entre la hausse de sa facture énergétique, hausse du prix des biens et hausse des taux d’intérêts, n’aura d’autre choix que de réduire ses dépenses. Le cercle vicieux est en place.

Des implications de marché profondes

Dans ce contexte, le risque d’une récession mondiale a fortement augmenté et les marchés financiers ont subi des ajustements violents depuis le début de l’année. La baisse des marchés actions et l’écartement des spreads de crédit à haut rendement a surtout été causée par le durcissement monétaire qui tire les valorisations à la baisse. En revanche, les craintes de ralentissement économique voire de récession ne sont pas tout à fait intégrées dans le prix des actifs. Le consensus des analystes n'a pas commencé à revoir à la baisse les attentes bénéficiaires des entreprises. Certes, les actions ont été historiquement une classe d’actif plus attractive que les obligations en période d’inflation et les entreprises ont jusqu’à maintenant montré leur capacité à passer les hausses de coûts au consommateur final. Mais l’effet contraction de la demande, exacerbé par l’effet richesse négatif lié à la chute des marchés actions, impactera in fine le chiffre d’affaires des entreprises.

Pour faire face à cette situation, nous avons privilégié deux grands axes d’investissement depuis plusieurs mois. D’une part les thématiques associées à l’énergie, qui permettent de se protéger contre la cause initiale du problème, restent porteuses. Nous préférons prendre position sur les entreprises du secteur énergétique plutôt que sur les matières premières directement, qui peuvent être très volatiles et se retourner si le risque de récession devient prédominant. D’autre part, nous privilégions les thématiques défensives: au sein des secteurs actions, nous privilégions la santé, les biens de consommation de base, les télécommunications. Les sociétés distribuant des dividendes croissants, récurrents et significatifs pour compenser l’inflation nous semblent également attractives. Dans une perspective de primes de risque, nous privilégions les paniers de valeurs à faible bêta, et/ ou à faible volatilité. Au sein du marché du crédit, nous privilégions désormais le segment investment grade, alors que la remontée des taux souverains est en grande partie derrière nous de notre point de vue.

Certes, les marchés actions et obligations se sont déjà fortement ajustés. Mais les portes de sortie de crise sont étroites. Il ne faut pas compter sur un allègement des sanctions à l’encontre de la Russie à court terme. Aussi, les confinements à répétition en Chine perturbent les chaînes d’approvisionnements. Enfin, les tensions commerciales avec la Chine vont persister, entretenant la crainte d’un mouvement de dé-globalisation qui contribuerait à une hausse des prix. Aucun de ces facteurs n’est susceptible de s’inverser au cours des prochains mois. Enfin, après la crise Covid et la crise énergétique, la capacité de l’économie mondiale à absorber un choc supplémentaire est très limitée. Les dettes publiques ont fortement augmenté au cours des deux dernières années, et des tensions sur les dettes souveraines en Italie et en Espagne commencent à réapparaître. Cela renforce le pouvoir de négociation des pays du Golfe, de la Russie et de la Chine. Dans le grand rééquilibrage des forces géopolitiques en cours, la Chine et la Russie tirent parti d’un affaiblissement durable de leurs adversaires que sont les Etats-Unis et l’Europe.

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