La tendance à long terme plaide pour la nouvelle économie et la croissance

Chris Iggo, AXA IM

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L'abandon des combustibles fossiles est en cours, malgré la contre-offensive des défenseurs de la vieille économie.

  • Le prix à payer pour la transition énergétique, la guerre d’agression russe et le rétablissement après le Covid, ce sont l’inflation et la récession.
  • Ces dernières affectent particulièrement les entreprises de la nouvelle économie qui avaient pourtant si longtemps contribué à maintenir l’inflation à un bas niveau. Les cours des actions ont réagi en conséquence : ceux du secteur énergétique ont grimpé, les titres de la technologie ont baissé.
  • Voilà de bien mauvaises nouvelles pour l’économie mondiale et le climat. Mais à plus long terme, cette tendance ne se poursuivra pas, car l'abandon des combustibles fossiles est en cours, malgré la contre-offensive des défenseurs de la vieille économie.
  • Il viendra un temps où nous miserons à nouveau sur la technologie, et non sur les (vieilles) énergies.
Des bénéfices records dans le secteur énergétique

L’évolution de la performance des actions américaines du secteur de l'énergie par rapport à l'ensemble du marché, et en particulier par rapport aux secteurs de la «nouvelle économie», a été remarquable cette année. Selon Bloomberg, le secteur énergétique a vu ses cours augmenter de 64%, tandis que les technologies de l'information et les services de communication ont perdu respectivement 32 et 44%. Cette évolution correspond à la situation économique. Les prix de l’énergie sont élevés, tandis que la demande de produits technologiques est en baisse parce que la croissance est globalement en phase de ralentissement. Le consensus actuel sur le bénéfice par action (BPA) auquel on peut s’attendre pour le secteur de l'énergie du S&P 500 durant les douze prochains mois gravite autour de 70 dollars, contre 34 dollars il y a un an. En revanche, les prévisions de croissance du BPA pour les fournisseurs de services de communication se situent à moins de 10,5%. La saison de publication des résultats financiers met en évidence cette évolution en contraste: les bénéfices réalisés dans le secteur de l'énergie ont surpris positivement, tandis que ceux des services de communication ont déçu (plus dix pour cent pour les premiers, contre moins quatre pour cent pour les seconds). La semaine dernière, les grands groupes énergétiques des deux côtés de l'Atlantique ont annoncé des bénéfices trimestriels records.

C'est frustrant pour les investisseurs en actions qui tendent à privilégier la duration longue, la nouvelle économie, la croissance et les critères ESG. Ceux qui étaient sous-pondérés dans les titres de l'énergie enregistrent une sous-performance par rapport aux indices d'actions de référence. Qui plus est, cela ne s’accorde pas avec le nouveau discours général. Les sociétés énergétiques cotées en bourse continuent de refléter la dépendance mondiale aux sources d'énergie basées sur le carbone. Mais à long terme, la demande devrait diminuer au fur et à mesure que le monde se décarbone. Les bénéfices records du secteur énergétique ne sont pas dus au fait que l’énergie aurait tout à coup acquis une plus grande valeur intrinsèque. Ils découlent bien plus du fait que les prix ont été poussés à la hausse par l’action combinée de la reprise de la croissance du PIB mondial, dans l’après-Covid, et des problèmes touchant les chaînes d'approvisionnement suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, de même que par les répercussions des sanctions qui s’en sont suivies. Mais malgré les milliards investis dans les énergies renouvelables, le monde ne parvient pas à remplacer le pétrole, le gaz et le charbon en tant que sources d'énergie dominantes. Tant que les prix de l’énergie se maintiendront à un niveau élevé, à l’échelon mondial, les bénéfices du secteur énergétique en feront de même.

Des dépenses informatiques moindres

En revanche, les secteurs de la nouvelle économie ont souffert en 2022. Après une forte augmentation des dépenses durant la pandémie, les derniers chiffres montrent un certain recul de la publicité numérique, des investissements dans le cloud et de la demande informatique générale de la part des consommateurs. Les modèles commerciaux sont remis en question, et même les plus grands commerces en ligne ne sont pas à l'abri d’une baisse de la demande de la part des consommateurs. Il est probable que compte tenu des coûts de financement accrus, les investissements des entreprises seront moins importants en 2023. Les actions des entreprises cotées en bourse qui produisent ces biens et services étaient très bien notées, car leurs cours reposaient sur l'hypothèse d'une croissance des bénéfices supérieure à la moyenne, et également plus stable. Or, cette hypothèse est remise en question par la contraction de la masse monétaire et le ralentissement de la croissance.

L’augmentation des bénéfices dans le secteur de l'énergie explique la surperformance boursière

Les prix de l'énergie ont augmenté massivement et ont fait grimper les bénéfices et les cours des actions du secteur de l'énergie, sans que cela n'affecte les multiples du secteur - ils se montent à neuf fois les bénéfices attendus pour les douze prochains mois. Toute comparaison du secteur de l'énergie avec d'autres secteurs montre clairement que la majeure partie de la performance relative est due à l'énorme augmentation des bénéfices dans ce secteur. Il est vrai que la croissance des bénéfices ralentit dans l'ensemble de l'économie et que les bénéfices attendus des secteurs de l'informatique et des communications sont revus à la baisse pour les deux domaines d’activité. Ils ont tous les deux reculé de neuf à dix points par rapport aux plus hauts PER de 2020. D'où les baisses spectaculaires des cours de certaines méga-caps.

Il nous faut des prix de l’énergie plus bas

Pour que le rapport entre l’énergie et la nouvelle économie se renverse, un certain nombre de choses doivent se produire. La plus importante serait une baisse des prix de l'énergie, ce qui amenuiserait le rendement économique dans ce secteur et entraînerait des BPA inférieurs à ceux que nous connaissons actuellement. En effet, des prix de l'énergie plus bas nécessiteraient une croissance économique plus faible (ce qui est d’ailleurs en train de se produire grâce aux interventions des banques centrales), mais également une certaine détente du côté de l'offre, chose à laquelle la fin de la guerre en Ukraine apporterait la contribution la plus évidente. Nous avons besoin de prix de l'énergie moins élevés, car si ceux-ci baissaient, cela atténuerait également la nécessité d’avoir des taux d'intérêt «plus élevés à long terme».

Se concentrer sur les tendances globales de longue durée

Les thèmes généraux de la numérisation croissante, du ‘cloud computing’, de l'automatisation et de la biotechnologie restent ceux qui permettront une évolution positive des bénéfices sur le long terme. Sans oublier la transition énergétique qui revêt toujours une importance capitale. Ne serait-ce que pour cette raison, il y aura une forte demande de produits et de services susceptibles de faciliter la transition vers un monde neutre en carbone. Si les prix de l'énergie baissent, les perspectives de croissance s'amélioreront et les secteurs en difficulté connaîtront à nouveau une évolution positive.

Abandonner les combustibles fossiles

A long terme, il faudra dégager le capital alloué au pétrole, au gaz et au charbon pour le réorienter vers les énergies renouvelables. Les prix pourraient rester élevés pendant encore un certain temps, mais le passé nous enseigne que les bénéfices des entreprises énergétiques traditionnelles sont fortement cycliques et tributaires des prix du marché. Quand les prix baissent, les bénéfices leur emboîtent le pas. En amont de la COP27, il convient d'insister à tous les niveaux sur la nécessité d'accélérer la transition énergétique et de réduire la dépendance aux hydrocarbures. Le secteur énergétique de l’avenir devra se caractériser par de moins fortes fluctuations des prix et des bénéfices des entreprises.

Aujourd’hui, les énergies renouvelables sont déjà moins chères

La dynamique de la voie menant vers un monde décarboné est puissante. Les capitaux doivent être investis dans les énergies renouvelables et cela requiert des mesures politiques, c'est-à-dire des engagements nationaux à réduire les émissions, accompagnés de subventions, d’incitations et d’investissements publics. L’économie apporte son soutien à la transition. Or, si nous entendons fournir du courant à une plus large portion de l’activité économique, il nous faut pouvoir recourir aux sources de production électrique les plus avantageuses. Le service Bloomberg New Energy Finance fait savoir que pour les installations éoliennes terrestres aux Etats-Unis, le coût moyen de production d'un mégawattheure d'électricité est de 43 dollars contre 128 dollars pour les turbines à gaz, selon les plus récentes estimations des coûts de production d'électricité. En Europe et en Asie, les écarts sont plus ou moins du même ordre. Afin de garantir la sécurité énergétique et de freiner le dérèglement climatique, il faut donc que le passage aux énergies renouvelables se fasse de plus en plus rapidement.

À long terme, la ‘nouvelle économie’ a les meilleurs atouts

Dans un proche avenir, les prix de l'énergie traditionnelle devraient rester élevés et il en va par conséquent de même pour les bénéfices des entreprises énergétiques. Mais il existe clairement un risque de réaction politique plus marquée, alors que les gouvernements sont en passe d’introduire des taxes sur les gains aléatoires (appelés «windfall profits» en anglais). On peut également faire valoir qu’au cours des 20 à 30 prochaines années, la demande en combustibles fossiles ira de toute façon en diminuant, dans un rapport relatif au PIB. A l’inverse, la demande globale de puces informatiques, de systèmes informatiques, de communications mobiles, de développeurs de logiciels, d'applications Internet et de services en ligne ira en augmentant, relativement au PIB mondial.

Les secteurs et entreprises à croissance séculaire assurent une augmentation régulière des bénéfices. D’un point de vue tactique, il peut sembler judicieux de maintenir son engagement dans le secteur énergétique conventionnel. Mais à long terme, nous voyons une plus grande valeur économique dans les activités et les produits qui apportent une contribution positive à la productivité et à la croissance économique, plutôt que dans les activités qui engendrent des inégalités et des catastrophes climatiques. Certes, le monde a besoin d’un secteur énergétique, mais celui-ci doit être propre, plus équitable et moins vulnérable aux manipulations géopolitiques.

La duration longue va retrouver son attrait

La ‘vieille économie’ (à savoir celle basée sur les énergies fossiles) est en grande partie responsable de l'inflation actuelle, tandis que la ‘nouvelle économie’ a largement contribué à maintenir l'inflation à un faible niveau durant les vingt dernières années. Le résultat est que les niveaux de prix ont largement dépassé l'objectif visé par les banques centrales et que la maîtrise du taux de variation des prix est désormais le principal défi politique à relever. Si l’on veut se lancer dans une interprétation optimiste de l'activité déployée par les banques centrales cette semaine, on peut en retenir qu'elles affirment toutes avoir conscience de devoir tenir compte des hausses de taux déjà effectuées, et qu’elles laissent entendre que les futurs relèvements de taux pourraient suivre un rythme plus lent. N’empêche que l’économie américaine reste forte, et la Fed la banque centrale la plus agressive sur ce plan. Cela signifie que notre évaluation positive des obligations d'État est continuellement revue à la baisse. Nous estimons néanmoins que pour le rendement des obligations à dix ans, il est approprié de tabler sur une fourchette de 4,0 à 4,5%. L'année prochaine, les échéances plus longues devraient retrouver leur attractivité, car les rendements réels atteignent actuellement leur point culminant. Et cela ne vaut pas seulement pour les obligations, mais également pour les actions de croissance.

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