Forte augmentation des rendements réels

Chris Iggo, AXA IM

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Récemment, la Banque d'Angleterre (BoE) a fait l'objet de critiques de la part du monde politique, alors qu’elle a pourtant évité un désastre pour les fonds de pension.

  • À cela sont venus s’ajouter des spéculations sur une possible révocation de la Première ministre, ainsi que la prise de conscience publique du personnel politique quant au fait qu’ignorer les marchés et lutter contre l’inflation ne représente pas forcément la meilleure solution.
  • Le récent effondrement du marché britannique du gilt n'a pas non plus contribué utilement à la définition d’une stratégie d'investissement.
  • Par ailleurs, les valorisations favorables continuent à se trouver contrebalancées par des fondamentaux incertains. Cette tension n'est pas près de se résoudre.
  • Un recul ou une stabilisation des rendements réels serait un signal positif pour les marchés. Pour l'instant, les obligations à court terme restent cependant l'un des rares endroits sûrs.
Les premiers acheteurs d'obligations

Les investissements obligataires deviennent de plus en plus intéressants. Les ventes importantes d'obligations d'État et d'entreprises britanniques au cours des dernières semaines indiquent qu'il existe d'autres acheteurs que la Banque d'Angleterre (BoE). Ce serait une lapalissade de dire que ce qui s’est vendu a été acheté par quelqu'un qui, à plus long terme, voit de la valeur dans des actifs ayant fait l'objet d'une vente au rabais. Le marché est extrêmement volatile, mais les niveaux de rendement actuels sont attrayants. Comme l’illustre l’exemple britannique, les banques centrales souhaitent éviter que les marchés se désorganisent (ou que les rendements prennent l’ascenseur).

Nous parvenons de plus en plus souvent à la conclusion que nous nous approchons de la fin du cycle des taux d’intérêt et que, selon les chiffres dont nous disposons, une bonne partie des données fondamentales sous-tendant l’inflation sont réellement en train de s’améliorer. La pression sur les prix en amont s'atténue – baisse des prix des matières premières, baisse des coûts de transport – et cela devrait se répercuter favorablement sur les prix finaux. Aux États-Unis, l'inflation des prix à la consommation pour le mois de septembre a – une fois de plus – surpris à la hausse. Mais une interprétation optimiste des statistiques nous porterait à dire que la hausse des prix des marchandises semble ralentir. Dans le secteur des services, l'inflation reste forte, mais dans des domaines comme le marché du logement, nous verrons certainement un ralentissement de l'activité lorsque les taux d'intérêt plus élevés auront commencé à faire leur effet. Malgré un taux d’inflation plus important que prévu, lorsqu’il s’agit d’anticiper jusqu'à quel point la Federal Reserve (Fed) relèvera ses taux, le sentiment du marché n’a guère varié. De manière générale, on y est d’avis que la Fed peut faire baisser l’inflation en agissant sur la demande. Ce n’est plus seulement une question relative à l’offre.

Un marché du gilt agité

Il serait fort surprenant si le passage d’une attente de «taux d’intérêt bas pour un bon moment» à celle de «politique monétaire restrictive» n’entraînait pas de volatilité. Un grand nombre d’emprunts et d’opérations de couverture de ces dernières années étaient en effet fondés sur l'hypothèse que les taux d'intérêt resteraient bas. Or, ils ont augmenté et cela crée des problèmes. C’est au Royaume-Uni que cela se voit le plus clairement. Le fait que les fonds de pension ayant recours à l'investissement basé sur le passif (LDI) doivent de se procurer des superpositions de produits dérivés en espèces afin de satisfaire aux exigences en matière de garanties, a encore aggravé la hausse des rendements du marché. Une grande partie de cette activité LDI se concentre sur les obligations à plus longue échéance, et cela provoque quelques mouvements étonnants. Ainsi, l'obligation d'État britannique à échéance octobre 2050 est passée d'un cours au comptant de 95,5, en juillet, à 39,7% actuellement, ce qui correspond à un écart de 350 points de base (pb) sur la même période. Au cours des trois dernières semaines, les obligations britanniques à long terme se sont négociées comme des actions fortement valorisées.

En dépit des protestations du gouvernement britannique, le marché est globalement d’avis que c’est l’annonce irréfléchie d’allègements fiscaux non compensés qui a déclenché les turbulences du marché. On spécule actuellement qu’en fin de compte, le gouvernement devra revenir sur de nombreuses propositions faites fin septembre. La BoE met fin à ses mesures temporaires de soutien au marché obligataire, mais le drame politique est loin d'être terminé. Les obligations d'État britanniques pourraient donc continuer à évoluer dans une large fourchette.

Des vents contraires persistants pour les actifs britanniques

Il est important que le marché britannique parvienne à se stabiliser. La hausse des taux d'intérêt du marché a déjà fait grimper le coût des crédits hypothécaires, ce qui sera un choc important pour les ménages lorsqu’il leur faudra refinancer les crédits à taux fixe existants. Pour les entreprises, la volatilité du marché n’est pas non plus un bienfait. En outre, les propositions visant à soumettre les entreprises du secteur des énergies renouvelables à un impôt sur les bénéfices sont en contradiction avec les incitations nécessaires au développement des énergie renouvelables en Grande-Bretagne. Ne pas savoir combien de temps un gouvernement détiendra les rênes du pouvoir n’est pas une situation idéale pour les entreprises qui s’efforcent de venir à bout du choc de l’inflation et du ralentissement global de la croissance. Même si le marché britannique est avantageux et la devise attrayante, les vents contraires continueront à y souffler encore un bon moment.

Bien plus de facteurs de risque que les seuls taux d’intérêt

Globalement, on semble s’accorder sur le fait que le cycle d'inflation atteindra bientôt son point culminant (une supposition qui se maintient depuis bientôt près d'un an déjà) et que cela marquera la fin du cycle des taux d'intérêt. Au-delà, les prévisions sont hasardeuses, car il reste incertain quand cela se produira effectivement. Et il y a encore bien d'autres impondérables: notamment l'ampleur du ralentissement économique mondial - et ses conséquences sociales, économiques et politiques –, le potentiel d'une escalade inquiétante de la guerre en Ukraine, ou encore une détérioration des relations entre les États-Unis et la Chine à l'approche des élections présidentielles de 2024. Si l’évolution des taux d’intérêt était la seule chose dont nous devrions nous préoccuper, nous n’aurions pas à nous plaindre outre mesure. Mais il n’en est rien. La proposition, émanant du gouvernement de Joe Biden, de limiter les exportations américaines de semi-conducteurs vers la Chine, a déjà fortement grevé les cours des fabricants de puces électroniques.

Les obligations à court terme constituent l'un des rares ports abrités

La tension qui règne entre des valorisations bon marché (et de plus en plus avantageuses) et des fondamentaux incertains n'est pas près de se dissiper. C'est précisément lorsqu'un portefeuille a déjà subi des dommages considérables cette année, et que la volatilité reste prononcée, qu’investir des liquidités en s’appuyant sur une perspective à long terme représente un défi. D'autres situations de stress financier sont probables – si cela a pu se produire dans le secteur des retraites britannique, habituellement plutôt tranquille, cela peut se produire partout ailleurs. Pour l'instant, les titres à revenu fixe à court terme semblent être l'un des seuls endroits sûrs.

La baisse des bénéfices a-t-elle été anticipée dans les prix?

La saison actuelle des comptes rendus sur les marchés boursiers devrait apporter des révélations intéressantes. L'évolution des cours, tant au niveau du marché - et ce, dans toutes les régions – qu’à celui des titres individuels, semble déjà avoir pris en compte une grande partie de ce qui devrait constituer une proche baisse des bénéfices. Notre équipe spécialisée dans les actions britanniques pourrait en citer de nombreux exemples. Et compte tenu de ce qui s'est passé avec la livre sterling, le marché britannique reste avantageux, aussi bien en termes absolus que par rapport aux actions à l’échelle mondiale.

Augmentation exagérée des rendements réels

On trouvera consolation dans le fait que la hausse des rendements réels semble exagérée. Par rapport à la tendance sur le long terme, la hausse du rendement réel américain à dix ans – enregistrée sur le marché des obligations d'État protégées contre l'inflation – est désormais encore plus extrême que celle observée durant la dernière grande crise financière mondiale. Le rendement réel actuel de 1,6 pour cent est bien supérieur aux estimations précédentes pour le taux d'intérêt réel d'équilibre à long terme. Si le rendement réel se stabilisait ou diminuait, ce serait un très bon signe pour l’ensemble des marchés: les multiples des actions cesseraient de baisser, les actions de croissance se porteraient mieux que les titres ‘value’ et les rendements obligataires se stabiliseraient. Les rendements réels à long terme ne devraient pas repasser de beaucoup en zone négative – les banques centrales sont aujourd'hui des acheteurs d'obligations d'État moins importants, car elles se retirent graduellement des mesures d'assouplissement quantitatif, et la croissance des réserves mondiales a ralenti – mais en tous les cas, ils ne devraient pas continuer à augmenter.

Des ondes de choc moins violentes?

Les multiples forces à l'origine du niveau actuel de volatilité des marchés ne peuvent être guère comprises ou expliquées par les analystes, et à plus forte raison, leur évolution future. Ces dernières années, l'économie mondiale a subi des chocs violents: Covid-19, le choc énergétique et la transition vers un nouveau régime de taux d'intérêt. Il est impossible d’avancer une date à laquelle ces facteurs cesseront de produire leur effet sur l’économie et sur les marchés. Mais l'amplitude de leurs ondes de choc devrait diminuer, et une bonne valorisation sur les marchés devrait nous permettre de retrouver des rendements d'investissement positifs.

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