La souveraineté européenne, un nouveau narratif pour les marchés actions

Roland Kaloyan, Société Générale Private Banking

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Les relations transatlantiques, longtemps considérées comme un socle de stabilité européenne, se sont érodées.

©Keystone

 

L’Union européenne est à un tournant. Ce qui relevait hier d’une politique un peu floue – la souveraineté européenne – semble s’imposer aujourd’hui comme une urgence stratégique. Les crises successives, qu’il s’agisse de la pandémie de Covid-19, de la crise énergétique ou de l’invasion de l’Ukraine, ont mis en lumière les fragilités d’un continent trop dépendant d’acteurs extérieurs. Simultanément, la rivalité croissante entre Washington et Pékin place l’Europe dans une position inconfortable, prise entre deux géants. Ces enjeux ont été soulignés par Mario Draghi dans son rapport sur la compétitivité européenne. Un nouveau tournant dans la politique européenne pourrait favoriser une réallocation durable en faveur des actions européennes, qui ont longtemps été négligées par des investisseurs internationaux en quête d’un catalyseur crédible en Europe.

Les relations transatlantiques, longtemps considérées comme un socle de stabilité européenne, se sont érodées. L’incertitude autour de l’avenir de l’Otan ou la tentation isolationniste des Etats-Unis, notamment à travers leurs politiques tarifaires, suscitent des doutes profonds dans les capitales européennes. La guerre en Ukraine a agi comme un électrochoc: les budgets de défense connaissent dorénavant une hausse significative. En 2024, les Etats membres de l’UE ont consacré 326 milliards d’euros à la défense, soit 1,9% de leur PIB. Cette tendance devrait se poursuivre. L’Otan envisage de revoir à la hausse son objectif de dépenses militaires, actuellement fixé à 2% du PIB. C’est dans ce cadre que des initiatives ambitieuses, tel le programme «ReArm Europe», ont été mises en place pour mobiliser jusqu’à 800 milliards d’euros et renforcer les capacités militaires du continent.

Au-delà de la défense, la guerre en Ukraine a également révélé la fragilité énergétique de l’Europe. Avant le conflit, plus de 40% des importations de gaz de l’UE provenaient de Russie. En 2022, cette dépendance a été réduite. Pour compenser, l’Europe s’est tournée vers le gaz naturel liquéfié des Etats-Unis et du Qatar, créant de nouvelles dépendances. Cependant, des avancées significatives sont en cours. La transition énergétique, essentielle pour atteindre les objectifs climatiques, s’accélère grâce à des investissements dans les technologies vertes – batteries, panneaux solaires, éoliennes – et dans des infrastructures critiques. Plusieurs États membres, dont la France, misent également sur l’énergie nucléaire comme pilier de leur stratégie, soulignant son rôle clé dans la réduction des émissions de carbone et l’indépendance énergétique. Le plan REPowerEU et le Critical Raw Materials Act s’inscrivent dans le cadre du Green Deal européen, qui vise à faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone d’ici 2050. Ces efforts montrent que l’Europe tente de construire activement les bases d’une souveraineté énergétique durable.

Le retard technologique constitue un autre défi majeur. La crise du Covid-19 a révélé la dépendance européenne aux puces électroniques et souligné l’urgence de réduire cette vulnérabilité. l’UE a lancé le European Chips Act, visant à mobiliser 86 milliards d’euros d’investissements.

Cependant, les défis restent nombreux: coûts élevés de l’énergie, dépendance aux matières premières, pénurie de main-d’œuvre qualifiée et domination des géants asiatiques et américains. Malgré cela, la part de marché européenne devrait passer de 9,8% en 2022 à près de 12% d’ici 2030.

Sur le numérique, les efforts se multiplient. L’Europe reste dépendante des fournisseurs américains pour le stockage et le traitement des données, mais des initiatives prometteuses voient le jour. Lors du sommet «Choose France», plusieurs entreprises ont annoncé des investissements majeurs dans l’intelligence artificielle et les infrastructures numériques. Ces annonces s’ajoutent au projet révélé en février 2025, prévoyant la construction de data centers en France en partenariat avec les Émirats arabes unis, pour un investissement entre 30 et 50 milliards d’euros. Ces initiatives témoignent de la volonté de l’Europe de renforcer son autonomie technologique et de combler son retard.

Face à ces défis, l’Europe s’active. Les initiatives comme ReArm Europe, REPowerEU ou le European Chips Act montrent que le continent prend conscience de ses vulnérabilités et s’organise pour y remédier. Cette année, la Commission Européenne a aussi lancé l’Union pour l’épargne et l’investissement, qui vise à faciliter la création d’un écosystème de financement pour bénéficier aux investissements dans les objectifs stratégiques de l’UE. De son côté, l’Allemagne prévoit un plan massif de 500 milliards d’euros d’investissements dans l’énergie, l’armée et les infrastructures. Malgré des défis significatifs, si l’Europe parvient à maintenir cet élan, elle pourra non seulement réduire ses dépendances, mais aussi renforcer l’attractivité des actions européennes, en particulier dans certains secteurs stratégiques essentiels à son autonomie et à sa souveraineté.

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