La politique monétaire fera place à la politique budgétaire en 2024

Yves Hulmann

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Les experts d’UBP Norman Villamin (photo) et Eleanor Taylor Jolidon présentent leurs prévisions pour l’économie et les marchés des actions.

L’année 2023 a été contrastée au sein des différents marchés des actions. Alors que les valeurs technologiques regroupées dans l’indice Nasdaq 100 ont bondi de plus de 55% l’an dernier, les titres, plus défensifs, de la bourse suisse figurant dans l’indice SMI n’ont, eux, gagné que 7,1% l’an dernier (à fin décembre, en devises locales). Que faut-il attendre pour l’économie et les marchés cette année? Entretien à propos des perspectives économiques et de placements de l’Union Bancaire Privée (UBP) pour 2024 avec Norman Villamin (N.V.), Group Chief Strategist, et Eleanor Taylor Jolidon (E.T.J.), Co-Head Swiss & Global Equity Franchise and Senior Portfolio Manager.

Quelles sont les grandes tendances que l’on peut anticiper pour 2024 sur le plan macroéconomique?

N.V.: Avec les nombreuses élections qui auront lieu en 2024 dans plusieurs pays, aux Etats-Unis notamment, les banques centrales devront choisir entre la lutte contre l’inflation et le fait d’accepter des politiques monétaires souples. Une pause dans la hausse des taux, qui interviendra à partir de la fin de 2023, devrait contribuer à faciliter la transformation industrielle et à soutenir la croissance économique. En 2024, on passera d’une période où les craintes liées à l’inflation dominaient les débats à une focalisation accrue sur les mesures budgétaires. Autrement dit, la politique monétaire fera place à la politique budgétaire.

Faut-il redouter une crise de la dette en 2024, notamment aux Etats-Unis?

N.V.: Il y a évidemment d’énormes quantités de dette à travers le monde et elles continuent de croître. Rien qu’aux Etats-Unis, les dépenses en intérêts effectuées par le ministère des Finances («Treasury») devraient atteindre 4% du PIB et correspondre à 22% des revenus fiscaux d’ici à 2028. Quand les Etats sont beaucoup endettés, il y a en théorie trois issues possibles: faire défaut, restructurer la dette ou rembourser la dette. Une des spécificités de la dette, c’est qu’elle ne croît pas en montant nominal. Le montant que vous devez rembourser est celui que vous avez emprunté. Dans un tel contexte, une inflation structurellement plus élevée aide les gouvernements à rembourser leurs dettes.

«Est-ce que Donald Trump va mettre fin aux mesures mises en place dans le cadre de l’Inflation Reduction Act par Joe Biden? Certainement pas!»

Un éventuel retour au pouvoir de Donald Trump lors de l’élection de novembre 2024 contribuerait-il à inciter le gouvernement américain à mener une politique budgétaire plus restrictive?  

N.V.: Je ne le crois pas. En matière d’économie et d’inflation, Donald Trump et Joe Biden mènent plus ou moins la même politique. Est-ce que Donald Trump va mettre fin aux mesures mises en place dans le cadre de l’Inflation Reduction Act par Joe Biden? Certainement pas ! 80% des investissements effectués dans le cadre de l’I.R.A. reviennent à des Etats qui sont dominés par les Républicains.  

Comment expliquez-vous le rebond marqué du cours de l’or au début du mois de décembre et que faut-il attendre?

N.V.: Il faut replacer cette hausse dans le contexte d’un monde où il y a davantage d’inflation. Même si les chiffres nominaux de l’inflation ont reculé récemment dans la plupart des pays occidentaux, cela ne doit pas faire oublier que l’on continue d’assister à une hausse de l’offre de quantité de monnaie dans de nombreux pays. La Banque du Japon imprime et injecte de l’argent dans le système. La Chine fait de même pour relancer son économie. Même si le renchérissement s’affaiblit, l’inflation monétaire est le facteur qui influe le plus sur la demande pour l’or. Dans beaucoup de pays, il y a des gens qui cherchent une alternative au dollar pour une partie de leurs placements. Quant à savoir qui achète concrètement, la demande en or provient de pays que l’on décrit comme faisant partie du Sud Global.

Beaucoup de gens s’inquiètent des niveaux stratosphériques atteints par certaines valeurs technologiques aux Etats-Unis. Qu’en pensez-vous?

E.T.J.: En termes de valorisations, certaines valeurs de la tech aux Etats-Unis se négocient effectivement à des prix très élevés. La valorisation s’est toutefois ajustée vers la baisse, car les bénéfices par actions (BPA) ont été revus à la hausse. Cela indique néanmoins que les investisseurs ne sont pas enclins à payer une prime importante pour ces titres, peut-être, car ils ne s’attendent pas à la même croissance actuelle des BPA à l’avenir.

«Les investisseurs voudront voir des résultats concrets de l’IA générative l’an prochain, ils ne se satisferont plus de promesses.»

Nvidia, par exemple, se négociait aux environs de 60 fois ses bénéfices au début de l’année mais terminera 2023 avec un ratio P/E de l’ordre de 25x. Donc, il faut parfois quelque peu relativiser les multiples de bénéfices très élevés dans la tech américaine. Malgré tout, en particulier en ce qui concerne les valeurs qui ont été fortement portées par la thématique de l’intelligence artificielle (IA) au cours de ces derniers mois, il faudra faire preuve de vigilance ces prochains mois et se montrer très sélectifs. Les investisseurs voudront voir des résultats concrets de l’IA générative l’an prochain, ils ne se satisferont plus de promesses.

Qu’anticipez-vous en termes de croissance des bénéfices pour les actions suisses en 2024?

E.T.J.: Dans l’ensemble, nous anticipons une croissance des bénéfices de l’ordre de 7% pour les actions suisses en 2024 - sans prendre en compte les résultats potentiels d’UBS, dont la visibilité, pour des raisons compréhensibles, est très faible -, à laquelle s’ajoutera une hausse des dividendes de 2%, ce qui correspondrait à une performance totale du marché suisse prévue autour de 9% en 2024.

En 2023, les actions de plusieurs entreprises pharmaceutiques, qualifiées généralement de défensives comme Lonza (-22%) et Roche (-16%), ont subi de fortes baisses. Que faut-il attendre pour ces titres en 2024?

E.T.J.: Concernant Lonza, l’action de l’entreprise a été fortement affectée par deux facteurs spécifiques au début de l’automne dernier, à savoir la fin d’un contrat avec Moderna et le départ précipité de son CEO, qui n’a pas encore été remplacé à ce jour. Hormis ces deux facteurs, la situation d’ensemble reste positive pour Lonza. Par exemple, les utilisations de capacités de manufacture interne chez Eli Lilly et Novo Nordisk, sous pression actuellement pour remplir la demande des produits contre l’obésité, font que l’industrie pharmaceutique, en général, doit faire de plus en plus appel à des partenaires comme Lonza.

S’agissant de Roche, le géant bâlois a certes subi l’impact de la perte d’exclusivité de certains médicaments ces dernières années mais il a néanmoins démontré sur le moyen terme un succès de remplacement total de ceux-ci par de nouveaux produits. Roche n’a encore pas pu absorber les niveaux plus faibles de ventes liés aux besoins de solutions diagnostiques et de médicaments introduits pour lutter contre la pandémie.

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