Les exploitants de hedge funds devraient accepter que l’on remette en question le fait qu’ils peuvent continuer à faire pratiquement tout ce qu’ils veulent, alors que ce n’est pas le cas des petits épargnants.
A présent, tout le monde connaît sans doute GameStop. Plus seulement les jeunes, qui aiment bien trainer dans les magasins et regarder toute sorte de jeux numériques, tandis que leurs parents font les courses. Vous avez certainement vu ou entendu comment les actions de GameStop ont récemment bondi en raison de la spéculation. Et que des vendeurs à découvert sont allés au casse-pipe, en perdant quelques milliards de dollars au passage.
Mais commençons par le début, à savoir les vendeurs à découvert. En quoi consiste leur activité? Pour l’exprimer simplement, ils misent sur la baisse des cours d’un actif en empruntant contre émolument de l’argent, du pétrole, de la poitrine de porc ou des actions à un autre acteur du marché. Ils les vendent ensuite dans le but de les racheter ultérieurement à un meilleur prix et de rendre l’actif emprunté au prêteur, tout en encaissant la différence sous forme de bénéfice. Ce fut précisément la stratégie de quelques vendeurs à découvert concernant GameStop. Mais l’opération est partie en sucette. Non seulement le prix des actions GameStop n’a pas baissé, il a au contraire fortement augmenté. Et comme le «prêteur» allait exiger la restitution de ses actions ainsi que la commission de prêt à l’échéance, les «pauvres» vendeurs à découvert n’ont pas eu d’autre choix que de racheter les actions à un prix plus élevé pour les restituer au prêteur à un tarif beaucoup plus avantageux. Les titans autoproclamés de Wall Street, à savoir les hedge funds et l’un ou l’autre banquier d’investissement ont enregistré des milliards de pertes, parce que leur pari aventureux n’a pas abouti. Et maintenant?
Maintenant, ils se plaignent comme des chiffes molles. Et ce qui surprend encore plus: ils réclament une réglementation plus stricte. Pas pour eux-mêmes, mais pour ceux qui jouent les rabat-joie sur Reddit. Pour simplifier, Reddit est une sorte de plate-forme de médias sociaux sur laquelle se retrouvent des millions d’utilisateurs pour faire des paris en tant que groupe «Wallstreetbets», ainsi que le font quotidiennement les titans de Wall Street. Par conséquent, les utilisateurs de Reddit n’ont pas vraiment agi autrement que les prestidigitateurs de Wall Street. Par le biais de la plate-forme de trading Robinhood, de très nombreux petits investisseurs ont acheté des actions de GameStop en grande quantité après s’être concertés sur Reddit et ont ainsi orienté les cours à l’exact opposé de ce que prévoyaient les vendeurs à découvert, à savoir à la hausse, engendrant des pertes considérables pour ces derniers. Au lieu de garder le ballon au sol, les titans se lamentent et exigent à présent une réglementation de telles pratiques, voire leur interdiction. Cette attitude est blâmable.
Ainsi, les titans voudraient interdire aux petits investisseurs ce qu’ils font eux-mêmes quotidiennement. Il est également choquant que Robinhood tout comme la plate-forme de négoce Trade Republic aient apparemment cédé à la pression des milieux de Wall Street en coupant le robinet à l’armée des spéculateurs de Reddit. Les achats d’actions GameStop ont tout simplement été bloqués, tout comme ceux des titres AMC, Blackberry, Nokia, Bed Bath & Beyond et Express Inc., autant de sociétés qui ont récemment enregistré d’importantes fluctuations de cours. Là encore, les vendeurs à découvert ont sans doute pris peur, car loin de s’effondrer comme espéré, les cours ont grimpé en flèche. Ne dit-on pas chez les spéculateurs «No risk - No fun»? Justement! Se lamenter est alors hors de propos.
Tout comme les exigences des spéculateurs, qui s’arrogent apparemment le droit exclusif de manipuler les cours, d’un surcroît de réglementation des spéculateurs privés. Car ces exigences viennent d’un milieu qui ne s’intéresse aucunement à la création de valeur au sens économique. Son modèle d’affaires consiste simplement à gagner de l’argent avec de l’argent. Il ne produit rien et surtout pas de la valeur. Et lorsque son modèle d’affaires échoue dans les grandes largeurs, comme ce fut le cas lors de la crise des subprimes en 2008, on peut même parler de destruction de valeur. Il y a une bonne dizaine d’années, bien des acteurs ont dû être sauvés avec des fonds publics après des paris ratés sur le marché immobilier, tandis que des dizaines de milliers d’Américains se retrouvaient à la rue et que des millions de petits épargnants perdaient leurs économies. Après cet épisode, un certain nombre de contraintes ont certes été imposées aux spéculateurs, mais ils se sont toujours défendus contre un surcroît de réglementation, grâce à un travail de lobbying extrêmement solide. L’ancien président américain Barack Obama y a succombé en misant sur les «mauvais» conseillers, notamment Timothy Geithner entièrement soumis à Wall Street, son ministre des finances Henry M. Paulson (ancien CEO de la banque d’investissement Goldman Sachs) qui était sur la même longueur d’onde et Ben Bernanke, l’«inventeur» de l’assouplissement quantitatif, qui a enclenché un gigantesque processus de redistribution il y a plus d’une décennie, qui perdure encore aujourd’hui. Ben Bernanke est devenu consultant (Senior Adviser) chez Citadel, un important exploitant de hedge funds, en 2015, bouclant ainsi la boucle. On peut évidemment comprendre le point de vue économique des exploitants de hedge funds qui s’engagent en faveur de la réglementation de ceux qui pourraient barrer la route à leur modèle d’affaires. Ils devraient cependant accepter que l’on remette en question le fait qu’ils peuvent continuer à faire pratiquement tout ce qu’ils veulent, alors que ce n’est pas le cas des petits épargnants. Même le porte-voix libéral de la Suisse, la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), qui ne remet pas du tout en question la raison d’être des hedge funds, en vient à la conclusion que les hedge funds ne sont que très peu réglementés, car ils ne sont pas publics. Nous avons vu dès 1998 quelles pouvaient en être les conséquences. Un hedge funds pouvait ainsi «gérer» un portefeuille de vente à découvert de 125 milliards de dollars avec seulement quelque 4 milliards de dollars. Quel levier. Recherchez donc Long-Term-Capital Management sur Google. Le premier grand destructeur de valeur de l’histoire moderne. Et il est loin d’être le dernier.