RoRo

Martin Neff, Raiffeisen

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Sur le front du «risk», durant l’année en cours, nous sommes passés à deux reprises de «on» à «off» et retour en très peu de temps.

Non. Le titre de cet article ne se réfère ni à une espèce de perroquet, ni à une version rétrécie d’un éditeur de livres de poche, mais à l’une de ces abréviations indicibles et pléthoriques sur les marchés financiers. RoRo signifie en effet «Risk-on Risk-off» et constitue en quelque sorte un baromètre des risques boursiers. En mode «Risk-on», les investisseurs jugent positif l’environnement des placements et la soif de rendement l’emporte sur toute réserve éventuelle. C’est le cas lorsque les risques dans l’environnement économique, monétaire ou géopolitique sont jugés contrôlables ou s’estompent. En mode «Risk-off», les investisseurs se replient en revanche sur des valeurs refuge, parce qu’il pourrait y avoir ou qu’il y a eu des incidents imprévus qui pourraient ou ont pesé sur leur moral. La sécurité est alors de mise et pratiquement plus aucun risque n’est pris.

Durant l’année en cours, nous sommes passés à deux reprises de «on» à «off» et retour en très peu de temps, «grâce» au COVID-19 et aussi un peu à Donald Trump. Lorsqu’il a été définitivement établi en mars de cette année que le coronavirus n’était pas un éphémère, le goût du risque s’est effondré pratiquement du jour au lendemain et les bourses ont chuté. Les actions et les déclarations de la politique fiscale et monétaire ont remédié à cette chute brutale au point que les bourses ont même retrouvé une certaine euphorie, alors que l’économie réelle commençait véritablement à souffrir. La situation a été comparable à l’automne. Soudainement, les acteurs de la bourse ont repris conscience des risques (élections américaines, deuxième vague) qu’ils avaient précédemment occultés. Conséquence: une nouvelle plongée certes courte mais violente des marchés boursiers. Et peu de temps après, il y a trois semaines, la grande libération sous la forme d’un vaccin contre le coronavirus, suivie d’une envolée des cours. Quelle douche écossaise.

Les risques ne sont-ils pas (plus) inhérents à la vie?

Selon le Forum économique mondial (FEM), notre appréciation de la situation en matière de risques était la suivante au début de l’année 2020: les événements climatiques extrêmes, l’échec de la lutte contre le changement climatique, les catastrophes naturelles, la perte de la biodiversité, les catastrophes environnementales causées par l’être humain figuraient tout en haut de la liste. Ils étaient suivis de la falsification ou du vol de données, des cyberattaques, des crises de l’eau, de l’échec de la gouvernance mondiale et des bulles spéculatives dans une grande économie nationale. Les problèmes évoqués sont indiscutables, mais soyons francs: en comparaison avec le «pauvre homme préhistorique» qui s’extrayait de sa grotte le matin sans savoir s’il n’était pas attendu par un tigre à dents de sabre, notre vie c’est du gâteau. Peut-être le coronavirus a-t-il fait naître dans notre société si sûre une nouvelle conscience des risques. Elle ne devrait cependant pas être durable. La confiance dans la technologie et la médecine est plus forte que cet arrêt temporaire. Sans compter que nous prenons quotidiennement des risques, en nous mariant, en ayant des enfants, en déménageant, en changeant d’emploi, en prenant notre voiture ou l’autobus, chez nous ou en nous rendant n’importe où, mais nous les occultons, parce qu’ils font partie de notre quotidien. L’être humain vit entouré de risques. Certains d’entre nous prennent délibérément plus de risques que d’autres, mais il est difficile de déterminer empiriquement qui est le plus heureux au bout du compte. Prendre des risques est aujourd’hui moins important qu’autrefois en temps de guerre ou de révolution. Notre société actuelle planifiable avec précision nous met si possible à l’abri de tous les risques. Nous pouvons décider du sexe de notre enfant et nous assurer qu’il est en bonne santé. Il en résulte aussi une certaine inertie des masses, qui s’imaginent de plus en plus que rien ne peut leur arriver et qu’il n’y a jamais de problèmes. Ces masses s’indignent de tout autre chose. Même après le coronavirus, l’argent si durement gagné ne produit toujours pas d’intérêts.

Les risques font partie de l’existence 

Celui qui souhaite aujourd’hui accroître ses économies, ne serait-ce qu’un peu, ne peut plus se contenter d’attendre comme autrefois que sa fortune augmente grâce aux intérêts et aux intérêts composés. Il n’y a plus d’intérêts aujourd’hui et l’Etat exige même de l’argent quand on lui en prête. Etant donné que la politique monétaire ne devrait guère changer ces prochains temps, un risque zéro continuera donc de produire zéro intérêt. Celui qui souhaite gagner quelque chose avec son argent, va sans aucun doute devoir chercher. Il trouvera sans doute son bonheur sur le marché des actions. Le Dow Jones, le principal indice des marchés actions au monde, vient d’établir de nouveaux records et a franchi pour la première fois le seuil des 30’000 points. Il a ainsi été multiplié par six en trente ans. Entre-temps, il y a certes eu des périodes difficiles pour les acteurs de la bourse. L’éclatement de la bulle des valeurs technologiques ou la crise des subprimes ont à chaque fois entraîné un effondrement violent des cours, mais au bout du compte le vieil adage boursier s’est vérifié: à la longue aucun investisseur ne peut faire l’impasse sur les actions. Quand on dispose d’un horizon de placement long, la date à laquelle on se lance n’a finalement aucune importance. Malgré une performance convaincante des actions et un environnement toujours inchangé des taux d’intérêt, les Suisses détiennent toujours beaucoup plus d’espèces ou de dépôts que d’actions, au moins deux fois et demie plus pour être précis. De l’argent en «friche», par peur des risques. Or cela fait longtemps que d’autres assument les risques, à savoir les banques centrales et les Etats. Si un petit ménage se demande pourquoi il ne voit pas la couleur de tout cet argent qui est injecté dans le système, c’est parce qu’il n’investit pas en actions. Si c’était le cas, il en profiterait certainement.

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